« Docteur, j’ai peur du dentiste ! »

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 62-65)
Information dentaire
La peur ancestrale du chirurgien-dentiste et des soins dentaires se répercute dans la société moderne. Malgré l’évolution constante que connaît la médecine bucco-dentaire, une image délétère et anxiogène semble perdurer.
La stomatophobie touche en priorité les plus jeunes, âgés de moins de quarante ans.
Comment le chirurgien-dentiste doit-il alors se saisir de cette douleur pour tenter de la contrôler ?
Quels sont son rôle comportemental et son devoir éthique de soignant dans la prise en charge de cette angoisse, de cette phobie, de cette anxiété ou de ce trouble ?

Situation
« Ma patiente, âgée de trente-cinq ans, vient de s’installer sur le fauteuil. Elle tremble et me signale qu’elle n’a pas dormi la nuit dernière en raison de son rendez-vous à mon cabinet. Pourtant, elle reconnaît n’éprouver aucune douleur au cours de mes soins. Malgré cela, elle reporte ses visites du fait de son anxiété. Que puis-je faire pour lui venir en aide ? Dois-je prendre en compte cette souffrance morale dans le cadre de mes traitements ? L’orienter vers un psychothérapeute ? Je recherche une solution pour l’apaiser, sans aggraver sa gêne, et protéger sa dignité. »


Réflexions du Docteur Jean-Baptiste Bohl
Service d’odontologie de l’hôpital Albert Chenevier – Groupe Henri Mondor – APHP
Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale – Faculté de médecine de l’Université Paris Descartes

Selon de nombreuses études, environ un patient sur deux connaît une anxiété modérée à l’idée d’une consultation chez le chirurgien-dentiste. Pourtant, comme dans l’exemple présent, les soignés savent et reconnaissent aujourd’hui que les soins dentaires sont indolores : « Ce n’est plus comme avant, où l’anesthésie ne marchait pas », ai-je souvent entendu. Mais chaque jour, le chirurgien-dentiste reçoit au moins un patient qui tremble, qui hyperventile, qui se plaint de palpitations cardiaques. Face à eux, que faire ?
Il s’agit avant tout de comprendre cette anxiété dentaire, et parfois cette phobie du chirurgien-dentiste. C’est par un travail communicationnel, fondé sur l’écoute et la considération de l’autre, que le praticien va pouvoir créer la confiance permettant de saisir le désarroi du patient. Cette confiance, socle de la relation praticien-patient, est le premier pas vers une solution : je vois que vous avez peur, je suis là pour vous soigner et vous aider, alors nous allons nous y mettre tous les deux et je ne vous laisserai pas seul. La démarche du thérapeute se doit en effet d’être avant tout éthique.
Faire preuve de cette sollicitude est perçu par le patient, il comprend donc qu’il reste digne malgré la honte qu’il ressent et sa vulnérabilité.
Cette main tendue ouvre la voie vers une compréhension de la peur éprouvée par le patient. En ciblant le problème, nous commençons d’ores et déjà à prendre en considération cette anxiété. Est-ce un traumatisme passé ? Est-ce l’aiguille de l’anesthésie ? Est-ce l’instrumentation ? Le bruit ? La conversation engagée par le praticien permet alors d’évaluer le niveau d’anxiété du patient.
Il existe en effet des anxieux modérés, voire faibles, pour qui une discussion rassurante peut être suffisante. Mais nous pouvons faire face à des patients extrêmement anxieux ou phobiques, ceux-ci constituent 5 % des patients, et leur prise en charge peut être ponctuée de crises de panique, situation épineuse.
L’anxiété dentaire est évaluée par des questionnaires, le plus connu étant l’échelle d’anxiété de Norman Corah, mais le praticien peut l’estimer si celui-ci est fin psychologue. C’est alors qu’un processus décisionnel doit être mis en œuvre. Des solutions thérapeutiques existent, mais ai-je la compétence ? Suis-je capable de choisir la plus pertinente ?
Le chirurgien-dentiste possède en effet un arsenal thérapeutique de plus en plus vaste, dans ce cas présent de nombreux moyens s’offrent à lui. En général, c’est le traitement des symptômes de l’anxiété que l’on combat. Pour cela, la prémédication de sédatifs, les benzodiazépines ou l’hydroxyzine, donne de bons résultats si la posologie est respectée. La sédation consciente par le protoxyde d’azote est également une solution intéressante, mais qui demande une formation. De même, mettre en œuvre une bonne anesthésie la plus indolore possible et efficace est incontournable pour maintenir le patient détendu pendant les soins.
D’autres solutions, plus simples à mettre en œuvre, peuvent concourir à réconcilier le patient avec les soins : un cabinet chaleureux, diffusant de la musique d’ambiance au tempo lent, des gestes rassurants, des sourires, une équipe conviviale sont les éléments clés d’une mise en confiance qui permet la détente. L’invitation à la relaxation, aux exercices respiratoires et une bonne information du déroulement des soins avant de débuter le traitement constituent des petits plus supplémentaires afin d’apaiser le patient.
Il existe, pour les patients les plus touchés, des traitements sur la durée pouvant être réalisés par le chirurgien-dentiste sous réserve de formations et de temps ! La psychothérapie, l’hypnose et l’acupuncture peuvent aider le patient à surmonter sa forte anxiété. Mais il ne faut pas oublier que parfois adresser à un spécialiste est le meilleur service que l’on puisse rendre au patient.

Réflexions de Marie-Noëlle Teynier
Psychologue clinicienne
Intervenante dans les groupes de parole Relation Praticien Patient à l’Université Paris Descartes

La chirurgie dentaire, comme la médecine actuelle, tient un discours essentiellement informatif, en termes techniques. Dès lors, le chirurgien-dentiste peut se sentir inopérant quand l’expression de l’anxiété ou de l’angoisse des patients entrave le déroulement des soins qu’il prodigue.
En dépit des progrès médicaux dans la prise en charge de la douleur, la peur du dentiste demeure. Le message véhiculé par l’inconscient collectif l’assimile à un “arracheur de dents” qui, tout en soignant, fait nécessairement mal. Les craintes des sujets par rapport aux actes bucco-dentaires procèdent d’abord de leurs représentations de la douleur et de l’atteinte corporelle ou des mutilations dont ils pourraient être l’objet.
Ces peurs prennent plusieurs formes : anxiété anticipatoire n’empêchant pas de consulter, qui diminue au cours des soins ; peur avec sensations corporelles et désir de fuir un danger circonscrit et ressenti comme réel ; anxiété sévère dans laquelle le sujet dans un état de vigilance et de tension, en attente d’une menace dont les causes sont imprécises, est la proie d’un malaise, d’une agitation, voire, en cas d’angoisse, de réactions neurovégétatives ; stomatophobie quand la peur de consulter est persistante, ne diminue pas durant l’intervention et entrave toute possibilité de mener un traitement tant les conduites d’évitement en contrarient le cours.
L’appréhension des soins dentaires peut avoir d’autres causes. Les modèles familiaux et une expérience passée sont souvent déterminants. Les bruits, les odeurs et les goûts, le matériel, les piqûres sont plus inquiétants car ils concernent des soins dans la bouche. Celle-ci symbolise la frontière entre l’intérieur du corps et le monde externe. Siège de plusieurs fonctions, elle est une zone érogène remémorant les toutes premières sensations. Le patient en position passive et régressive peut subir les soins dentaires comme une violente intrusion dans sa bouche, un grand danger.
Un cercle vicieux se forme alors : la désertion des soins est responsable d’une dégradation de la denture qui requiert des prises en charge longues, l’anxiété va croissant et abaisse le seuil de la douleur.
Il n’y a pas de réponse unique, sinon favoriser la qualité de la relation avec le patient. Il faut distinguer l’accueil de la peur au moment de l’intervention par le praticien et la prise en charge d’une angoisse massive en amont des soins.
Dans la situation énoncée, la patiente fait part de son anxiété. Établissez une relation de confiance avec elle et prenez le temps d’en parler avant d’entamer les soins. Aidez-la à en identifier les origines et les raisons. Les traitements actuels la rassurent-elle ? Veut-elle que vous lui expliquiez chaque acte ? Assurez-vous que vos explications ont bien été comprises. Peut-elle distinguer sensation déplaisante et douleur et vous en informer ? Engagez-vous à observer une pause en cas de trop grand inconfort. Progressez ensemble dans le traitement, de sorte qu’elle ne se sente pas réduite à l’impuissance, mais ait sa part dans les soins techniques qui s’accompagnent d’une ouverture au dialogue. Une première rencontre positive avec vous sera sans doute décisive pour la suite des soins dentaires.
Des formes de soutien psychologique ou de prise en charge de la douleur peuvent réduire l’anxiété.
L’hypnose agit globalement sur les plans psychique, sensoriel et physique (hypno-analgésie). C’est une thérapie brève centrée sur l’ici et maintenant, dont se rapprochent le travail sur les images mentales et les pensées positives ou la relaxation musculaire.
Les thérapies cognitivo-comportementales recourent à des mécanismes de déconditionnement progressif pour modifier les réactions anxieuses. Après avoir analysé la situation anxiogène, le patient est exposé à celle-ci par le biais d’une vidéo puis en situation réelle. La phobie ne disparaît généralement pas totalement, mais des aménagements sont trouvés pour contourner les évitements et les crises de panique.
Le psychiatre peut prescrire des médicaments psychotropes visant à diminuer l’anxiété. Ils n’agissent pourtant pas toujours, tant l’ancrage de l’angoisse, même si celle-ci handicape le sujet, a du sens pour le fonctionnement psychique.
Aucune de ces thérapies n’apporte de solution complète, mais elles ont le mérite d’amener un mieux-être mental.
L’écoute psychanalytique s’inscrit différemment de ce qui précède. Nul effet de suggestion dans ce cas. La rencontre avec un thérapeute en position de psychanalyste permet au sujet de se reconnaître dans sa propre parole. Le patient ne s’engagera pas nécessairement dans une thérapie sur le long terme, mais la prise en compte de sa parole sur un mode d’écoute différent amène un changement parfois subtil, un déplacement de l’anxiété dont il a une perception différente parce qu’il en a resitué l’expression dans son histoire de vie.
Si l’instauration d’une relation de confiance avec la patiente échoue à limiter l’anxiété, vous pouvez donc l’informer sur les thérapies et l’écoute psychanalytique.

Réflexions d’Aude Lugué
Psychologue clinicienne de l’université Paris 5

La phobie est une peur bien connue des psychologues. Elle se définit comme la peur irrationnelle de certains objets, actes, situations ou idées lorsqu’il n’existe pas de danger réel. La phobie, souvent associée à un ressenti d’angoisse, peut aller jusqu’à la crise de panique dans les cas où l’angoisse déborde le patient. La peur du chirugien-dentiste, ou stomatophobie, n’est pas toujours reliée à un événement traumatique pour le patient : on peut être paralysé à l’idée d’aller chez le dentiste sans avoir eu d’expérience négative. Cette situation se révèle peu confortable pour le praticien, car il ne peut contrôler les peurs d’un patient. Néanmoins, à travers la relation de confiance tissée avec le patient, il peut tenter de le rassurer pour l’aider à calmer son angoisse. Les bonnes relations praticien-patient facilitent la prise en charge et peuvent éviter de multiples désagréments, tant pour le patient que pour le praticien. En effet, le spécialiste n’a pas pour obligation de s’attarder sur les troubles psychiques de son patient ; cependant, il peut être judicieux de s’y intéresser s’ils viennent perturber le bon déroulement de l’intervention.
Il n’existe pas de procédure type à suivre lorsque l’on est face à un patient phobique. Mais faciliter l’alliance thérapeutique entre le chirurgien-dentiste et le patient est une première piste. Lors des soins dentaires, le patient se retrouve en position de passivité et de vulnérabilité vis-à-vis du praticien : il n’a que peu de prise sur ce qui lui arrive. Il peut être difficile, pour certaines personnes, de ne pas pouvoir contrôler les actes qu’effectue le chirurgien-dentiste dans leur bouche, de lâcher prise pour faire pleinement confiance à un professionnel.
Dans la situation décrite ici, la patiente est bien phobique, son anxiété transparaît dans sa difficulté à s’endormir, et elle adopte par conséquent des conduites d’évitement où elle reporte ses rendez-vous. Nous comprenons rapidement que sa peur n’est pas rationnelle. En effet, elle rapporte qu’elle n’éprouve pas de douleur durant les soins. Sa peur n’en est pas moins légitime. Ses multiples reports ne sont pas dus à un manque de volonté de sa part : la peur et l’anxiété ressenties par les patients phobiques sont bien réelles, elle peut être très handicapante, voire paralysante. La première démarche du praticien est tout simplement de reconnaître la peur de la patiente comme existante, ne pas la dénier ni la sous-estimer. Un préentretien sans acte, où vous expliquez au patient votre démarche soin, peut être une piste intéressante pour les patients très angoissés. Dans la pratique, ces préentretiens sont souvent utilisés pour les enfants.
Il est important de rassurer le patient en lui expliquant les gestes qui vont être effectués et de lui demander à plusieurs reprises au cours de la séance s’il va bien. Expliquer la démarche de l’opération lui permet d’anticiper et de désamorcer ses peurs. Plus la personne aura confiance en son praticien, plus elle pourra se laisser aller dans les soins. Le chirurgien-dentiste peut également demander si la phobie est consécutive à des traitements antérieurs afin d’éviter des gestes qui ont pu être traumatiques. Il n’y pas une solution, elles sont multiples, c’est à chaque praticien de créer la sienne, celle avec laquelle il se sentira à l’aise. Tout simplement, le praticien peut demander au patient ce qui le rassure. Ce dernier sait mieux que quiconque ce qui peut le détendre : écouter de la musique, avoir un proche présent à ses côtés, parler régulièrement avec le professionnel…
Il peut parfois être nécessaire de diriger un patient vers un psychologue. Mais quand ? Tout dépend ici de la gravité de la phobie, à quel point celle-ci envahit la vie du patient. Si nous prenons la situation qui nous est présentée, la phobie de la patiente, bien que gênante, semble néanmoins gérable. Elle a réussi à venir jusqu’au cabinet, ce qu’elle n’aurait pu faire si la phobie avait été trop invalidante. Si, malgré sa réticence et ses multiples reports, elle parvient à se faire soigner, l’intervention d’un psychologue ne sera pas nécessaire. Cependant, la redirection d’un patient vers un psychologue est à envisager lorsque :
– la phobie empêche tout soin dentaire et amène un risque sanitaire pour le patient ;
– le trouble psychique envahit la vie du patient et devient néfaste dans sa vie quotidienne ;
– se fait sentir une souffrance morale chez le patient.
La pratique clinique confronte sans arrêt à de nouvelles situations, se révélant parfois complexes, que ce soit dans la technique des soins ou avec les patients. La formation universitaire ne nous prépare pas toujours à ces situations qui peuvent nous atteindre. Il faut retenir qu’il est important de ne pas rester seul lorsque l’on est trop en difficulté. Faire appel aux confrères pour pouvoir s’appuyer sur leur expérience se révèle être une grande ressource.

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