CNAM…
Si nous nous étions trompés d’interlocuteur ?
Jacques Melet
Depuis des décennies la CNAMTS (Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés) a essayé d’attirer les professionnels de santé dans des conventions. Au début, les contraintes tarifaires étaient largement compensées par des avantages sur les cotisations. Depuis maintenant trente ans, les avantages ont été rognés et les contraintes tarifaires ont augmenté. Le dentaire a toujours été le parent pauvre de ces conventions.
La CNAMTS a été un vecteur d’accès aux soins en généralisant à toute la population, en 1945, ce que des mutuelles avaient déjà fait depuis bien longtemps pour leurs bénéficiaires. Elles en ont été remerciées en conservant la gestion du régime obligatoire et du régime complémentaire (Mutuelle Générale de l’Éducation Nationale, MGEN ; Mutuelle Nationale des Hospitaliers, MNH ; etc.).
La CNAMTS a privilégié la maîtrise comptable des dépenses par la limitation des prix des actes médicaux. L’Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie (ONDAM), qui fixe le taux d’évolution des dépenses de l’assurance maladie obligatoire, est tellement limité qu’il ne faut pas espérer, dans les négociations conventionnelles médicales et dentaires, une quelconque évolution significative de l’augmentation de l’enveloppe financière dédiée.
Nos représentants syndicaux, même unis, n’auront au mieux qu’à gérer la pénurie. Depuis plus d’une décennie, c’est souvent le maigre butin qu’ils nous rapportent au prix de concessions toujours plus importantes.
La quasi-totalité des confrères provinciaux s’astreint à respecter le contenu conventionnel. Mais comme il est vrai que les conventions n’engagent, comme les promesses, que ceux qui les veulent, il est bien connu que dans certaines régions à fort pouvoir d’achat (Ile de France ou Provence-Alpes-Côte d’Azur) les règles conventionnelles ne sont pas respectées.
Le caractère libéral qui est l’apanage de nos professions médicales est battu en brèche pour une obsédante montée des réglementations et des obligations. Nous sommes à quelques pas de devenir les factotums d’une assurance maladie qui décidera de tout.
La mise en place de la Classification Commune des Actes Médicaux (CCAM) a été programmée à enveloppe financière constante. L’introduction de la couronne sur implant n’a pas créé d’impact fort sur l’évolution des dépenses (seulement 2,5 %).
Fin mai, la Cour des comptes a laissé transparaître un avenir où la CNAMTS souhaiterait recentrer ses prestations sur les seuls soins de base conservateurs et chirurgicaux en se désengageant des soins prothétiques. C’est au moins le 3e rapport ou prérapport paru en dix-huit mois (Inspection Générale des Affaires Sociales, Cour des comptes) qui préconise le même désengagement. Nous avons envie de dire « chiche », pourquoi pas ? De toute façon, cela ne pourra pas être pire que maintenant.
D’autres caisses nationales ont conservé leur indépendance (caisse des Mines, de la Marine, SNCF, RATP) en gérant le régime obligatoire et en créant pour leurs assurés des œuvres sociales (cabinets médicaux, dispensaires, hôpitaux) qui permettaient à ces populations un réel accès aux soins.
Les mutuelles et les institutions de prévoyance ont elles aussi misé sur les œuvres sociales : centres de santé dentaires, centre de cure et de soins postchirurgicaux, cliniques. Elles sont sûrement les plus importants propriétaires de cliniques, donc les plus importants prestataires de soins, donc d’accès aux soins.
Les complémentaires, sous toutes leurs formes, participent à la solvabilisation de l’ensemble des soins dentaires pour 30 % au même niveau que la CNAMTS. Pour les soins conservateurs, la participation de la CNAMTS est de 70 %. En revanche, pour ce qui est de la prothèse, la CNAMTS finance seulement 10 % et les complémentaires 30 %. Le solde restant toujours et encore à la charge du patient. Pour ce qui est des actes « modernes » (parodontologie, implantologie, occlusodontie, etc.), la CNAMTS est absente du remboursement et seule l’assurance complémentaire aide à leur solvabilisation.
Il faut sortir de nos esprits que seule la CNAMTS est garante de l’accès aux soins. Elle s’est désengagée de tout ce qui concerne les soins coûteux pour les patients, en laissant aux complémentaires la prise en charge au premier euro de tous les soins modernes. Ces dernières sont les plus importants financeurs de ces soins coûteux.
Certaines complémentaires malveillantes cherchent à suivre la voie royale tracée par l’assurance maladie en pratiquant une politique tarifaire du moins-disant. Le style de communication, voire la provocation adoptée par certains ont donné une image désastreuse de l’assurance maladie complémentaire, qui est loin d’être représentative de cette branche.
La plupart des autres organismes complémentaires sont fiers de leur rôle dans l’accès aux soins et restent souvent trop attachés au rôle de « tiers payeur ». Mieux, à leur rôle de payeur malheureusement aveugle.
Les contrats ponctuels signés par exemple entre la Confédération Nationale des Syndicats Dentaires (CNSD) et la MGEN ont fait la preuve de leur efficacité, même s’ils ne plaisent pas à toute la profession. Des réseaux se sont créés sur des dispositifs différents de prix contraints, par exemple « Carte blanche », qui fonctionnent très bien au plus grand bénéfice des confrères et des patients.
Depuis la loi de réforme de l’assurance maladie, le regroupement des trois grandes familles* de complémentaires de l’Union Nationale des Organismes d’Assurance maladie Complémentaire (UNOCAM) a fait émerger un organisme qui pourrait être un interlocuteur pertinent de futures négociations conventionnelles. À plusieurs reprises, l’UNOCAM a su prendre ses responsabilités et s’opposer aux caisses d’assurance maladie.
Pourquoi continuer à passer sous les Fourches Caudines d’un interlocuteur méprisant et mal disposé à notre égard ? Pourquoi continuer à discuter avec la CNAMTS pour d’hypothétiques avancées tarifaires qui sont, à terme, toujours refusées et qui porteraient au mieux sur un panier de soins très limité ? Pourquoi ne pas engager de discussions avec les seuls vrais financeurs de nos soins dentaires prothétiques parodontaux et implantaires ?
Il est temps de dédiaboliser le monde de l’assurance complémentaire et d’aborder sereinement des relations constructives avec ces institutions. Nous avons beaucoup à y gagner, sous réserve qu’elles veuillent bien saisir cette opportunité.
En cette période de Brexit, si révélatrice du mal-être de tout un pays ami, et alors que les syndicats professionnels se retrouvent tant les perspectives sont ternes, pourquoi n’oserions-nous pas un Dexit, prometteur de nouvelles aventures et de nouvelles avancées pour notre belle profession ?
Laissons à l’assurance maladie sa responsabilité dans l’échec annoncé de la future négociation de la convention dentaire. Laissons-lui gérer les soins de première intention conservateurs et chirurgicaux à condition qu’elle y réinvestisse tous les moyens libérés par l’abandon de la prothèse.
Au nom de notre haute conception de la santé publique et pour offrir à nos jeunes confrères un exercice libéral digne de ce nom. Courage…
* Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF), Fédération Française des Sociétés d’Assurance (FFSA), Institutions de Prévoyance (IP).
Les chirurgiens-dentistes dans l’espace médico-social
Marc Sabek
Le texte de mon confrère est une prise de position tranchée en faveur d’une « migration » de la couverture assurantielle du risque bucco-dentaire, de l’Assurance maladie obligatoire (AMO, branche de la sécurité sociale), vers une couverture assurantielle privée qui serait gérée par l’UNOCAM.
Personnellement, je suis d’un avis contraire.
Bien sûr, on peut critiquer certaines imprécisions avancées par mon confrère, concernant des chiffres, certaines inexactitudes confondant des sociétés de courtage avec des assurances, etc. Ces approximations restent marginales dans le sens où elles n’altèrent pas l’idée développée par l’auteur qu’on peut résumer, même si cela paraît caricatural, par une formule : « La Sécu nous a laissés tomber, laissons tomber la Sécu ! »
Je suis surtout critique envers ce plaidoyer, car il n’appréhende la question qu’à travers le prisme financier de la participation effective de l’Assurance maladie obligatoire. Il délaisse cruellement le poids moral d’une présence des chirurgiens-dentistes dans l’espace sanitaire et social en France pour les déplacer exclusivement vers l’espace marchand.
Certes, la participation de l’AMO a beaucoup régressé au cours des quatre dernières décennies, mais l’effet d’un désengagement total – proposé – n’est absolument pas analysé. Ne serait-ce qu’une comparaison sérieuse avec les pays de l’Europe occidentale où le schéma souhaité par mon confrère est en application, il aurait découvert que les seuls bénéficiaires d’un tel système sont les grands groupes financiers, au détriment des patients et des professionnels médicaux.
Négocier et conclure avec l’UNOCAM est bien plus complexe et incertain que de négocier avec la CNAMTS (plutôt l’UNCAM, qui comprend également la MSA et le RSI). Ces hypothétiques négociations avec l’UNOCAM, pour lesquelles il plaide, seraient surtout l’occasion d’un morcellement des prises en charge, d’une balkanisation de la profession, et d’une partie de chausse-trappes entre assureurs, où les dindons seront d’abord les professionnels de santé. De nombreux exemples de négociations collectives non abouties et de protocoles individuels asservissant le praticien libéral en témoignent.
Car il ne suffit pas de faire le bilan – certes très négatif, au regard de nos attentes – des conventions dentaires pour conclure que les assurances complémentaires feraient mieux. Leurs dérives constatées au cours des dix dernières années n’ont apparemment pas été appréhendées dans leur gravité : implosion du coût des complémentaires, violations du secret médical, marchandisation des actes médicaux, détournement de patients au mépris du libre choix, multiplication de consultants violant la liberté thérapeutique, etc. Mon confrère se contente, à ce niveau, de faire une référence à la marge, qui reste anecdotique en termes d’impact sur la santé bucco-dentaire des Français.
Au-delà, il convient de rappeler que si l’UNOCAM est une association « imposée » par la loi, ses trois composantes, bien que relevant de textes législatifs et réglementaires distincts, font le même métier et exercent dans le même champ concurrentiel et commercial défini par les règles européennes et le droit interne.
Enfin, structurellement, mon confrère se trompe en dotant l’UNOCAM d’une puissance de négociation pouvant être mise au service de la santé publique. Les trois familles de l’assurance complémentaire en santé ont, à la base, des intérêts divergents, financiers et politiques. Elles s’accordent sur des lignes claires lorsqu’il s’agit d’encadrer, voire de contraindre, les professionnels de santé. Mais se livrent une lutte acharnée pour gagner des parts de marché, d’ailleurs comme toute entreprise commerciale. On ne peut le leur reprocher, c’est leur métier. Mais on ne peut l’ignorer lorsque l’on plaide pour en faire l’unique partenaire des chirurgiens-dentistes dans la perspective d’une meilleure prise en charge de la santé bucco-dentaire des Français.
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