es techniques de chirurgie guidée signent l’application de la CAO (conception assistée par ordinateur) en implantologie. Grâce à la superposition ou fusion des fichiers numériques issus de différentes sources d’acquisition, elles permettent en effet d’additionner les données tomographiques numériques relatives aux volumes osseux et aux obstacles anatomiques aux éléments des arcades dentaires. La planification implantaire permet alors le positionnement idéal d’implants selon un projet prothétique prédéterminé comme nous le rappellent dans leur introduction, les auteurs de l’article rapporté. Ils soulignent en outre que ces techniques permettent de mieux anticiper l’émergence prothétique idéale et de réduire potentiellement les complications d’ordre esthétique ou prothétique. De plus, une technique d’implantation sans lambeau permise par les dispositifs de chirurgie guidée mais aussi une mise en charge prothétique immédiate permettent le rétablissement de l’esthétique et de la fonction, y compris pour les cas complexes. Les auteurs nous rappellent alors les deux approches classiquement disponibles en chirurgie guidée implantaire : la chirurgie guidée statique assistée par ordinateur (CGSAO) et la navigation dynamique (ND).
Dans la CGSAO, la planification prothétique est reproduite par un guide chirurgical physique imprimé ou usiné dans lequel des cylindres métalliques sont insérés pour guider les forets lors de la préparation du site implantaire. La confection de ces guides, qui peuvent être dento- muco- ou osséo-portés, implique un temps de fabrication et un coût non négligeables. De plus, la place occupée par ce type de dispositif réduit considérablement la visibilité du site opératoire et représente un obstacle à la bonne irrigation de la zone de forage. Cette technique nécessite aussi l’emploi de forets spécifiques assez longs, ce qui en limite les possibilités dans les zones les plus postérieures ou en cas d’ouverture buccale réduite. Enfin, le passage des forets au travers d’un guide prive le chirurgien des sensations de résistance de l’os et d’appréciation de sa qualité. La technologie de navigation dynamique (ND) consiste à utiliser un système optique avec des caméras externes de haute performance capables de localiser dans l’espace la position et les mouvements de l’instrument chirurgical dynamique porteur des forets, dont la position par rapport au site opératoire et représentée en temps réel sur un écran. Sans guide physique, les sensations du praticien, de même que l’irrigation projetée, ne sont pas entravées. Toutefois, la visualisation du site sur un écran déporté augmente le risque d’erreur puisque le travail est réalisé « à main levée ». Les auteurs insistent sur une importante courbe d’apprentissage pour maîtriser ce système qui requiert par ailleurs un investissement matériel très important (caméras stéréographiques, systèmes de localisation sur l’instrumentation, logiciel et ordinateur puissants).
C’est donc une troisième voie dont l’équipe internationale (Israël, Italie, Russie) auteure de cet article essaie de nous apporter la preuve du concept par la présentation de ses premières applications cliniques. Baptisée navigation guidée en réalité mixte (ND-RM), cette nouvelle technologie est présentée comme susceptible de surmonter toutes les difficultés ou inconvénients précédemment évoqués. Elle repose sur la superposition d’un hologramme de haute définition sur l’environnement buccal afin de guider la mise en place des implants. L’opérateur porte un masque visuel de réalité augmentée au travers duquel il regarde directement le site opératoire sur lequel se superpose une cible verte avec un axe et des données numériques de positionnement des forets ou de l’implant par rapport à l’objectif visé. Seuls le casque de réalité augmentée et un petit « marqueur » (type QR code) plaqué sur l’instrument rotatif sont nécessaires comme matériel spécifique à cette technique. Les patients sélectionnés pour l’étude présentent un édentement unitaire ou partiel avec un volume osseux suffisant pour la mise en place d’implants avec des dimensions minimales respectives de diamètre et de longueur de 3,5 et 8 mm. La planification implantaire est réalisée à partir de l’acquisition tomographique et des arcades dentaires en occlusion en y incluant aussi tous les paramètres d’intégration prothétique. Le fichier STL est alors importé dans le logiciel pilote du système ND-RM. Le jour de la chirurgie, une série de points bleus réalisés à la résine composite fluide sur les faces vestibulaires de l’arcade concernée donne lieu à une nouvelle acquisition par un scanner intra-oral (caméra). Ce fichier est fusionné avec la modélisation préopératoire pour permettre l’utilisation de l’application pour la chirurgie. Une commande vocale permet toutes les opérations d’activation des hologrammes qui vont guider toutes les étapes de la chirurgie. À la fin, le positionnement d’un scanbody sur l’implant permet de vérifier précisément son positionnement par rapport à celui planifié dans le logiciel. Les paramètres considérés dans cette étude concernent la précision de la position de l’implant et le temps d’intervention depuis l’anesthésie jusqu’aux sutures finales. Les résultats présentés révèlent que le site implantaire a été préparé avec succès sous guidage holographique. La chirurgie est aussi qualifiée de rapide et facile, d’une durée totale de 30 minutes. Au niveau de la précision, qu’ils qualifient de haut niveau, les auteurs rapportent un écart inférieur à 0,5 mm de positionnement dans les trois plans de l’espace par rapport à la planification et de moins de 2° concernant la différence d’axe pour ces premiers résultats cliniques. Dans leur discussion, ils citent plusieurs études précédentes réalisées in vitro qui ont conclu que ce nouveau système ND-MR est démontré significativement plus précis qu’une mise en place à main levée et d’un niveau comparable à la technique de chirurgie guidée classique avec guide physique statique (CGSAO). La précision de la technique est aussi rapportée pour la mise en place de minivis orthodontiques par rapport à la technique à main levée. Comparé aux deux techniques classiques de chirurgie guidée, contrairement à la CGSAO, le système ND-RM ne nécessite pas de kit chirurgical de forets spécifiques, ni de fabrication d’un guide physique, ce qui constitue une économie notable de temps et d’argent. Il n’y a donc pas de limitation de place, y compris dans les secteurs postérieurs. L’irrigation est permise dans un espace chirurgical dégagé et les sensations tactiles préservées. Comparé à la navigation guidée conventionnelle avec caméras externes, le ND-MR ne nécessite pas d’investissement important en termes de matériel et de logiciel. Parmi les autres avantages, les auteurs avancent une courbe d’apprentissage plus rapide sans calibrage préalable et une vision directe sur le site opératoire. Ils insistent sur le fait que la méthode chirurgicale est la même que dans la technique à main levée avec, en plus, la superposition d’un guide holographique. Mais les auteurs relativisent aussi leur enthousiasme en rappelant que leur travail ne représente qu’une preuve de faisabilité (proof of concept) et que leurs conclusions positives doivent être confirmées par des études cliniques prospectives. Aussi, ils concèdent que pour l’heure, le système ND-RM n’est pas opérationnel dans les cas d’édentement complet. En perspective, ils estiment que, couplé à une intelligence artificielle, il devrait permettre de faciliter la planification implantaire préinterventionnelle et de simplifier ce flux des opérations permettant une réduction notable des temps et coûts de traitement.
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Cette troisième voie de chirurgie implantaire guidée semble vraiment séduisante en raison de ses avantages ergonomiques, du peu de matériel spécifique nécessaire et de sa relative « adaptabilité » à un protocole chirurgical qui demeure classique. Ici, l’hologramme est un élément visuel ajouté comme un super assistant ou un moniteur qui corrigerait en temps réel le placement de la main et le geste du chirurgien avec des données complémentaires utiles, à la manière des casques utilisés par les pilotes d’avion de chasse. Si divers flux d’acquisition numériques (CBCT, modélisation 3D des arcades par un scanner intra-oral (SIO)) sont nécessaires à la planification, ce système permet de passer directement à la chirurgie sans fabrication de dispositif complémentaire comme en chirurgie guidée statique, ce qui représenterait effectivement un gain de temps et une réduction des coûts. La vision directe du site opératoire grâce au masque de réalité augmenté est un avantage considérable, mais encore faudrait-il savoir si la vision du site opératoire est réellement directe ou s’il s’agit d’une image filmée projetée dans l’écran du masque avec l’hologramme, ce qui peut être beaucoup plus perturbant. Les auteurs précisent aussi que le système a fait ses preuves sur des cas d’édentement unitaire ou de petits édentements partiels, mais ils ne détaillent pas vraiment combien de cas ont été traités avec ce système. On comprend que la présence des plots bleus sur les faces vestibulaires des dents adjacentes est déterminante pour le repérage spatial. Seulement, l’utilité d’un système de chirurgie guidée est-elle vraiment requise dans les cas d’édentement unitaire à l’exception des défauts osseux particuliers ? Se pose alors la question plus générale de la chirurgie guidée et de sa juste indication. En effet, les surcoûts de temps et surtout d’argent impliqués ne doivent être envisagés que si le système apporte réellement un bénéfice au traitement et pas seulement pour utiliser une technologie afin de « faire moderne ».
En implantologie comme dans tous les domaines, chaque décision et chaque investissement doivent être raisonnés et discutés. Toutefois, si le modèle économique du système devient efficient, que son utilisation est aisée, ergonomique, et qu’il apporte une sécurisation de l’acte chirurgical, en particulier pour des cas difficiles, cette technologie de la réalité augmentée pourrait rapidement s’imposer en chirurgie implantaire et, pourquoi pas, dans d’autres domaines de nos activités. S’il est efficace, on peut gager que les restrictions liées aux édentements unitaires ou de faible étendue seront rapidement surmontées par des innovations technologiques supplémentaires. Par ailleurs, la difficulté de la planification implantaire préalable devrait trouver en l’IA, un parfait coéquipier capable de réaliser cette tâche, comme le suggèrent les auteurs. Économie, simplicité, efficacité et sécurité constituent le carré d’as du succès de l’innovation en dentisterie comme ailleurs. L’avenir nous dira vite si la navigation guidée en réalité mixte dispose de ce carré magique.
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