Biomatériaux La place du patient dans le choix du substitut osseux

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 31-33)
Information dentaire
Les matériaux de substitut osseux sont de plus en plus utilisés, notamment en implantologie. D’origine biologique (corail, dérivé osseux d’origine animale ou humaine), ou synthétique (céramiques phosphocalciques, bioverres), ces biomatériaux méritent une information préalable au patient. Si les taux de succès semblent similaires, la composition des matériaux suscite parfois des craintes et des questionnements que le dialogue du praticien avec son patient doit apaiser.

Situation
Je pratique des greffes et des comblements à base de matériaux d’origine bovine…
Un confrère m’a averti du foisonnement de questions sur les forums des patients, que je suis allé consulter :
« Je souhaite avoir votre avis sur le greffon d’origine bovine. La technique est-elle fiable ? Y a-t-il un risque pour la santé quant à l’origine bovine ? »
« Mon praticien ne m’a pas averti de l’origine bovine du matériau qu’il m’a greffé. Or ma religion m’interdit certaines viandes. Devait-il m’en informer ? »
« Je ne sais pas si je peux demander à mon chirurgien-dentiste d’utiliser un matériau d’origine synthétique ; j’en serai plus rassuré. Qu’en pensez-vous ? »
« Le mien m’en a parlé et m’a proposé de choisir, mais je ne sais quelle décision prendre ! » Je prends conscience et comprends les interrogations de ces patients qui méritent une information loyale sur le sujet avant l’intervention afin qu’ils puissent donner leur consentement éclairé. Comment dois-je m’y prendre ? Que dois-je faire pour ceux que j’ai déjà opérés ?

Réflexions du Docteur Laurent Corcos
Responsable de l’unité d’Implantologie dentaire au CHI de Villeuneuve-Saint-Georges

Les matériaux de substituts osseux sont de plus en plus utilisés en chirurgie buccale, notamment en implantologie.
Les origines biologiques de ces matériaux sont très différentes, et cette disparité peut amener le praticien à des choix qui peuvent se révéler difficiles, car il devra prendre en considération les appréhensions du patient quelles qu’en soient les causes, et les indications thérapeutiques les plus pertinentes décrites dans la littérature.
Pourquoi choisir du corail, un dérivé osseux d’origine animale ou humaine, ou synthétique (céramiques phosphocalciques, bioverres) ?
Lorsque le praticien utilise des biomatériaux, il devra fournir au patient une information préalable. L’information préalable au consentement, qui reprend tous les risques avérés ou potentiels, peut désorienter le patient et le faire douter de l’innocuité de ces matériaux. Mais elle est nécessaire et respecte l’autonomie de décision.
Les taux de succès peuvent être similaires pour certaines chirurgies quel que soit le matériau utilisé, notamment le sinus lift, et ne semblent donc pas “matériau dépendant”, mais plus “praticien dépendant”.
D’autres techniques, comme la régénération osseuse guidée, sont beaucoup plus délicates et limitent le choix du praticien.
Pour le praticien, la problématique est donc de convaincre son patient de considérer le rapport bénéfice/risque d’un matériau par rapport à un autre.
Cette discussion doit lever et apaiser les craintes et les questionnements du patient.
Pour répondre aux craintes liées aux matériaux d’origine bovine, il faudra lui expliquer notamment que ces derniers sont dénaturés et que, jusqu’à présent, aucun problème de transmission de virus n’a été révélé. Il ne faut pas cependant éluder le problème : le risque n’est peut-être pas nul et, dans l’avenir, avec l’évolution des techniques de dépistage, un produit jugé sain aujourd’hui pourrait être retiré du marché demain.
Les interdits religieux peuvent aussi amener un patient à rejeter certains matériaux. Le praticien doit savoir écouter et respecter cette demande, mais aussi expliquer les risques à utiliser d’autres matériaux moins efficaces et pouvant présenter un risque thérapeutique.
En conclusion, c’est au praticien de décider quel matériau utiliser et quelle thérapeutique choisir. De façon générale, il doit informer son patient, écouter ses demandes et l’aider à appréhender ses craintes ou ses réticences, mais en aucun cas se laisser imposer une solution qui ne lui semble pas fiable et qui peut se révéler risquée à court ou moyen terme pour le patient.
Il doit évidemment aussi recueillir le consentement éclairé et exprès du patient, et s’abstenir en orientant vers un autre confrère pour la continuité des soins si le patient reste réticent à l’utilisation de tel ou tel autre matériau.

Réflexions du Professeur Laurent Sedel
Chirurgien Orthopédiste, Professeur à l’Université Paris VII
Chef de Service à l’Hôpital Lariboisière à Paris

En chirurgie orthopédique, nous utilisons, comme en chirurgie dentaire, un certain nombre de produits pour remplacer l’os manquant. Notre choix est guidé par l’aspect clinique. S’il s’agit de comblement de cavités, nous savons que, quel que soit le produit, corail, tête de banque pulvérulente ou plus massive transformée, composés phosphocalciques, bioverres, les résultats seront identiquement bons à partir du moment où la cavité est propre, saignante et qu’il y a donc un contact entre les cellules souches osseuses du patient et le matériel. Ce dernier se comporte alors comme un support à la repousse osseuse naturelle.
Plus difficiles sont les reconstructions où la fonction mécanique de l’os doit être reconstituée. Le choix des produits est limité. Ce sont des autogreffes lorsque la quantité nécessaire est faible, ou des allogreffes massives dans certaines reconstructions après ablation d’une tumeur cancéreuse : ostéosarcome ou chondrosarcome, ou dans des réinterventions difficiles sur prothèse de hanche ou du genou. Ces allogreffes massives proviennent de banque osseuse. Elles ne sont pas utilisées seules, mais en association avec des matériels métalliques qui en assurent la tenue initiale en attendant que l’os du patient et l’allogreffe consolident, ce qui est parfois problématique. Il existe de nombreux pays où le recours à ces allogreffes n’est pas possible pour des raisons culturelles, religieuses ou simplement du fait de l’absence d’organisation du prélèvement sur donneurs en état de mort cérébrale. Le recours à des prothèses métalliques massives sur mesure ou parfois de matériaux massifs phophocalciques peut les remplacer, comme en Chine.
Quant à la question de l’os massif d’origine bovine, nous n’en utilisons plus depuis plus de cinquante ans, puisqu’il était réputé donner de mauvais résultats avec un taux d’infection important. Le collagène utilisé dans certaines indications est toujours d’origine bovine, mais il a été largement transformé pour pouvoir être implanté et les risques de transmission de Creuzsfeldt-Jakob sont ainsi éliminés. Il en est de même des produits d’origine bovine ou porcine, mais dont seule la trame osseuse en phosphate de calcium et son architecture ont été conservées, améliorant ainsi les capacités ostéoconductrices. Les protéines, liquides, et tout ce qui pourrait avoir une action biologique allergisante, cancérigène ou autre, ont été totalement éliminés. C’est ce que le patient doit savoir. Au lieu de résumer le matériel à un composé d’origine bovine, il faudrait l’éclairer mieux en expliquant que ces produits sont fabriqués « à partir de » et qu’ils ne sont plus en fait de l’os bovin ou animal.
Et l’avis du patient dans tout cela ? Je dirais que nous l’informons de notre choix, lui expliquons ce qu’il veut savoir sans forcément insister pour éviter des complications psychologiques liées à l’existence dans son corps d’un produit étranger, mais ne modifions pas notre pratique. Si le patient refuse, ce que je n’ai jamais observé, nous refusons aussi de le prendre en charge. Le seul conseil à nos collègues chirurgiens-dentistes est qu’ils se basent sur les résultats cliniques à disposition dans telle ou telle indication. Des études de niveau 1 ou 2 seront les meilleurs arguments dans le cadre de l’évidence based medecine. Sinon, c’est leur intime conviction qui doit prévaloir.
Pour conclure, la question de l’origine bovine de l’os ne devrait pas se poser. C’est au chirurgien-dentiste d’être lui-même suffisamment informé des techniques de fabrication du produit qu’il utilise. On comprend que, parfois, pour des raisons de propriétés industrielles ou de compétition, les industriels ne donnent pas toutes les informations. C’est ce que l’on pourrait souhaiter ici.
Enfin, il faut être clair : en cas d’échec, c’est une raison biologique qui est en cause : non-intégration du produit le plus souvent lié à une infection ou à une implantation non adaptée sans remplissage soigneux de la cavité par exemple. L’éthique du praticien est de le reconnaître en évitant d’en faire porter la responsabilité au produit, rarement en cause.

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