Un scénario toujours défavorable
Alors que l’Accord de Paris vient de fêter ses 5 ans, le bilan est plus que mitigé. La principale avancée est la prise de conscience globale des causes et enjeux liés au dérèglement climatique. Mais les actions concrètes nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre anthropiques générées par la combustion des énergies fossiles et les activités industrielles et agricoles sont loin des engagements internationaux.
Les signataires s’étaient engagés à maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 2 °C d’ici à 2100 et à agir pour limiter cette hausse des températures à 1,5 °C par rapport aux niveaux pré-industriels. Ces objectifs supposaient une baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 45 % en 2030 par rapport à 2010 pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
La concentration de CO2 dans l’atmosphère continue d’augmenter [1]. Le seuil des + 1,5 °C pourrait bien être franchi dans les cinq prochaines années. Le scénario le plus probable avance une hausse potentielle des températures évaluée à 4 °C d’ici à la fin du siècle. Il est fondé sur un manque de changement des modes de production et de consommation des pays les plus émetteurs ou un « business as usual » [2, 3].
Maîtrise des changements environnementaux pour la santé de chacun
« Time is short », c’est l’un des messages clés du rapport 2020 du Lancet Countdown, ou « compte à rebours » publié par la revue médicale The Lancet. Ce rapport, fruit du travail de 120 experts, s’attache à suivre les liens entre la santé publique et le changement climatique.
« Le temps est compté » pour réussir à atteindre les objectifs de réduction de gaz à effet de serre et maîtriser les effets sur la santé des changements environnementaux globaux en lien. Le bien-être des populations est déjà mis à mal dans plusieurs territoires. L’intensification des vagues de chaleur et des événements météorologiques extrêmes engendrent une augmentation de la propagation des maladies infectieuses, dégrade les conditions de vie, diminue les capacités de production alimentaire et l’accès à l’eau potable et exacerbe les inégalités sociales et les problèmes de santé mentale.
Le changement climatique est tel qu’il menace le monde du vivant d’une disruption majeure. Les conséquences d’un réchauffement moyen mondial de + 4 °C à l’horizon 2100 seraient dramatiques pour les trois quarts des êtres humains, à commencer par les populations les plus vulnérables [4-6]. L’évitement d’un tel scénario n’est possible qu’à la seule condition d’une réduction massive et rapide des émissions mondiales de GES.
Les émissions du secteur de la santé et de la médecine bucco-dentaire
Alors que l’environnement est un déterminant majeur de santé, le secteur d’activité économique de la santé représente un impact non négligeable sur l’environnement. Les soins de santé contribuent eux-mêmes aux émissions de polluants, directement à partir des émissions des structures de santé et des déplacements des patients, des professionnels ou encore des prestataires et indirectement par l’achat de biens et de services dont les produits de santé.
L’impact du secteur de la santé a été évalué par plusieurs pays. L’empreinte carbone du système de soins américain est estimée à près de 10 % [7]. En Australie, elle représente 7 % des émissions mondiales du pays, tandis qu’au Canada, sa part est de 4,6 % [8, 9]. Au Royaume-Uni, le National Health Service a entrepris une campagne pour atteindre un objectif zéro émission en 2030 ; pour cela, les sources ont été strictement évaluées. Le bilan global est estimé à 4 % ; parmi eux, les émissions totales du secteur de la chirurgie dentaire représentent une part proche de 3 % [10, 11].
En France, aucune évaluation rigoureuse n’a été conduite. Selon certaines estimations, la part des émissions totales issues du secteur sanitaire s’élèverait à près de 4,5 % [12]. Le manque de données précises et chiffrées, y compris pour le secteur de la médecine bucco-dentaire, est un frein à la mise en place d’une politique du changement efficace. Il rend difficile la définition des interventions nécessaires et la priorisation des actions à mettre en œuvre. Il semble donc urgent qu’industriels et organisations professionnelles s’emparent de ce sujet, comme certains le font à l’échelle individuelle (voir l’interview ci-dessous).
Cas pratique
>> En quoi consiste votre projet ?
Justin Oosthoek : Mon objectif est d’évaluer l’impact environnemental d’un cabinet d’orthodontie. Ce « diagnostic » est un préalable indispensable si l’on veut s’attaquer au problème de façon rigoureuse et efficace.
Pour cela, je souhaite mener une étude en collaboration avec l’association APESA, qui apportera son expertise sur le sujet. Différentes analyses, plus ou moins exhaustives, sont possibles. Le choix se fera en fonction du montant collecté par le biais du financement participatif que j’ai lancé en décembre.
>> Quelle est votre motivation ?
J. O. : Le changement climatique est une « menace existentielle directe ». C’est le terme qui a été utilisé par Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations Unies. Ce défi est à notre portée, mais la tâche est immense. L’heure n’est plus à se demander si la solution doit venir de l’État, des entreprises, ou bien de la société civile. Il est clair que chacun a un rôle à jouer, et la mobilisation doit se faire à tous les niveaux. Fin 2020, plusieurs grands pays, dont la Chine, ont pris des engagements sans précédent dans la lutte contre le réchauffement climatique. Partout dans le monde, des millions de personnes se mobilisent et font naître des solutions innovantes. À nous, chirurgiens-dentistes, d’entrer dans la danse et de faire notre part.
>> Pourquoi faire appel aux praticiens plutôt qu’aux organisations professionnelles ?
J. O. : Je n’ai pas réussi à obtenir de financements par d’autres biais, alors j’ai décidé de solliciter directement mes consœurs et confrères. Par ailleurs, j’aime l’idée que ce projet voit le jour de cette manière, cela montre que les membres de la profession se sentent concernés et se mobilisent.
Focus : au 11/1/2021, 1 560 € sur les 4 000 à 7 200 € nécessaires avaient été collectés.
Pour participer, c’est ici : https://www.okpal.com/impact-orthodontie
Objectif 2 tonnes
La réduction drastique de nos émissions nécessite l’adoption rapide de comportements plus sobres et vertueux grâce à l’intégration de mesures collectives, elles-mêmes déclenchées ou complétées par des actions individuelles. Alors qu’à l’échelle mondiale, l’objectif est de diviser les émissions annuelles par 4, pour un individu français, l’objectif est de les diviser par 6 : passer de près de 12 à 2 tonnes équivalent CO2/an ! [13, 14]
La figure 1 permet de visualiser les postes les plus importants [15].
Adopter un mode de vie plus durable nécessite d’ajuster nos modes de vie au quotidien. Pour cela, calculer notre empreinte carbone individuelle est un exercice opportun. Plusieurs outils sont disponibles, parmi lesquels le simulateur Nos Gestes Climat de l’Agence de la transition énergétique (Ademe). Il suffit de se rendre sur le site et de commencer le calcul en cliquant sur « Faire le test ». Et ensuite, passer à l’action ! (fig. 2).
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