Le patient a le choix de son praticien et de son traitement. Son autonomie et son consentement représentent deux principes éthiques cardinaux qui équilibrent la relation de soins avec le praticien et favorisent la confiance qui les unit.
Le patient peut vouloir changer de praticien s’il lui retire sa confiance. Aussi, stoppant ses soins en cours de traitement sans continuité de prise en charge adaptée, les suites dommageables vont créer des tensions et une mise en cause des responsabilités. La notion de perte de confiance percute le concept du contrat de soins et le comportement éthique doit alors guider l’aspect juridique de cette situation.
Situation
J’ai suivi un patient pendant quelques semaines, lui prodiguant des soins. Puis, malgré les relances de mon secrétariat, il a cessé d’honorer les rendez-vous qui étaient programmés. Or, un traitement endodontique était en cours et l’obturation canalaire n’était pas été terminée.
J’apprends aujourd’hui par un courrier envoyé en recommandé qu’il se plaint de la qualité de mes traitements, et que la dent en cours de soins s’est infectée… Il exige un remboursement des sommes qu’il m’avait versées et réclame la prise en charge des préjudices consécutifs à mes soins.
Il insiste sur la perte de confiance qui l’a amené à cesser ses traitements dans mon cabinet. Je considère que ce patient est responsable de son état dentaire actuel dès lors qu’il a pris l’initiative d’une rupture de notre contrat de soins.
Je sais que le conflit n’est jamais bon pour aucune des parties, cependant je veux défendre mon travail et mon cabinet.
Dois-je accepter que le patient puisse arrêter les soins sans m’en avertir ni permettre d’organiser une continuité
de ses soins, puis se plaindre de ma prise en charge ?
Le patient peut perdre confiance en son praticien, pour des raisons légitimes, et choisir d’être traité par un autre confrère. Cette décision lui permet-elle de rompre le contrat de soins et d’engager des poursuites contre moi ?
Réflexions du Docteur Alain Zerilli
Maître de conférences à la faculté de chirurgie dentaire de Brest. Ancien Doyen
Le 20 mai 1936, l’arrêt Mercier* a positionné les relations d’un malade avec son praticien traitant dans le domaine contractuel.
Cette décision, lourde de conséquences, a généré un nombre certain d’obligations dont la plus fameuse est l’obligation pour le praticien d’utiliser dans sa pratique professionnelle les dernières données acquises de la science en la matière.
Mais l’évolution sociétale a, depuis cette date fondatrice, diversifié ces obligations, en affirmant notamment la prééminence absolue, car dorénavant inscrite dans la loi**, de la réalité du consentement éclairé du malade. L’incontournable adhésion volontaire de ce dernier aux soins qui lui sont proposés passe par une information préalable, totale, loyale et en des termes accessibles par lui. Cette information lui étant transmise par le praticien par tous moyens et sans nécessité aucune de la sacro-sainte signature.
Bien que disproportionné en défaveur du professionnel, le contrat de soins n’en demeure pas moins un contrat à obligations réciproques. Dans la mesure où le malade a pris la décision d’accepter les soins et, selon la formule consacrée, en parfaite connaissance de cause, il est devenu de facto co-contractant, soumis lui aussi au respect d’un certain nombre d’obligations, notamment celle de suivre recommandations et prescriptions du praticien.
Sur la base des préliminaires ci-dessus rappelés, l’analyse de la situation qui nous est soumise amène plusieurs commentaires :
– la rupture du contrat est unilatérale, et manifestement du fait du malade lui-même. Elle pourrait trouver son origine dans l’existence d’un déficit d’information à son égard, notamment sur les aléas d’un traitement endodontique. Certes, le praticien devait cette information en préalable au soin, mais nous pouvons admettre que cette obligation puisse être pondérée par l’impérieuse nécessité médicale. Dans le cas d’espèce, le manque de confiance qui découle de ce déficit ne serait réellement recevable, et exonérerait donc le malade de toute responsabilité dans cette rupture, que dans le cas où le désir d’information que ce dernier aurait exprimé ait été sciemment contrarié par le praticien ;
– la mise en cause de la qualité des soins du praticien est certes un droit du malade, mais qui ne lui donne pas, de facto, le pouvoir de dénoncer unilatéralement le contrat de soins, et ce, sur de simples impressions. Pour être suivie d’effet, cette dénonciation devra être argumentée par un expert qui apportera la preuve que l’obligation d’utiliser les dernières données avérées du moment n’a pas été respectée ;
– le dernier point est l’exigence exprimée par le patient du remboursement des sommes versées. S’il est vrai « qu’un mauvais compromis vaut mieux qu’un bon procès », cette exigence est totalement irrecevable a priori par le praticien :
– car ces sommes sont la juste rémunération d’un travail réellement effectué ;
– les rembourser serait reconnaître avoir réalisé des soins non conformes, ce qui, d’ailleurs, ne le prémunirait en rien d’une éventuelle action contentieuse ultérieure ;
il ne revient pas aux parties d’évaluer les préjudices subis, mais bien aux régleurs, par la voie d’expertises contradictoires conduites par des experts indépendants, d’en évaluer objectivement les montants.
La situation soumise à notre analyse est, malheureusement, criante de réalisme, tant la défiance est le sentiment qui prévaut actuellement dans les rapports humains, surtout lorsque l’un des protagonistes est un professionnel.
Ce constat doit guider ledit professionnel à repenser sa stratégie relationnelle avec le malade, et faire d’une transparence absolue, une règle de conduite immuable.
Réflexions du Professeur Jean-Paul Markus
Professeur à la faculté de droit de l’Université de Versailles-Paris-Saclay et à l’IEP de Saint-Germain-en-Laye. Directeur du Laboratoire VIP (E.A. 3643)
Si le juge a rétabli dans les années 1990 un certain équilibre dans la relation patient-professionnel de santé, il n’a pas pour autant voulu déresponsabiliser le patient. En d’autres termes, si le professionnel de santé a des obligations, le patient aussi. Dans le cas présent, il faut appliquer la déontologie certes, mais aussi le droit commun de tous les contrats.
Le libre choix du professionnel de santé par le patient est un principe fondamental, et donc incontestable en droit. En outre, alors qu’un chirurgien-dentiste ne peut cesser ses soins en laissant son patient en détresse (souffrance, soins urgents, etc. : C. déont., art. R. 4127-232), le patient est libre de cesser la relation, même si d’autres visites sont prévues, et même s’il se met en danger (c’est alors un refus de consentement aux soins). Face à cette situation, le chirurgien-dentiste doit informer le patient des risques qu’il encourt à cesser les soins brutalement, ce qui suppose un entretien au cours duquel les doutes sur la qualité des soins peuvent être levés.
Mais comme cela arrive fréquemment, le patient cesse la relation sans donner au chirurgien-dentiste l’occasion de l’informer. Il convient alors de lui adresser un courrier courtois, en recommandé, demandant des nouvelles (de sa santé bucco-dentaire bien entendu !), l’informant des risques qu’il encourt en cessant les traitements. Ainsi, le praticien montre sa bonne foi et remplit son devoir de « correction et aménité », de compassion (art. R. 4127-233).
Si le patient se manifeste quelque temps après avec un prétendu préjudice, le chirurgien-dentiste ne peut nier toute faute a priori. Cela dit, tout patient a des obligations, en particulier celle d’une certaine diligence dans le suivi des soins : observance des traitements, respect des dates de rendez-vous (afin de respecter les cycles de soins), hygiène, etc. Bien des juges ont débouté des patients se plaignant de la qualité des soins reçus, alors qu’eux-mêmes s’étaient montrés négligents et ne pouvaient s’en prendre qu’à eux quant à leur préjudice ou à l’aggravation de celui-ci. Cette diligence du patient sera mise en perspective avec celle du chirurgien-dentiste, d’où l’intérêt de ne pas commettre d’erreur en réagissant de façon discourtoise, ou en refusant tout dialogue, notamment sur la qualité des soins (nul n’est à l’abri d’une erreur médicale). Et si les soins ont effectivement été défectueux, l’attitude du patient aura pu aggraver son propre préjudice, ce dont un juge tient aussi compte. De plus, l’erreur du chirurgien-dentiste est une faute, certes, mais l’attitude qui suit l’erreur est prise en compte par le juge.
En somme, si la rupture de la relation médicale est un droit pour le patient, ce droit ne peut être exercé sans un minimum de diligence et de bonne foi. La défense du cabinet passe par l’offre de dialogue, au besoin avec l’expert de l’assureur, condition sine qua non pour qu’un procès – si le patient y vient – se passe au mieux.
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