Le contrat de soins passé entre le patient et son praticien est onéreux. À ce titre, le praticien peut se faire honorer des sommes fixées et acceptées au préalable entre les parties. Un traitement est souvent réparti sur plusieurs séances et le chirurgien-dentiste peut demander un acompte qui prend en considération l’évolution du traitement et les coûts de matériel engagés. Après une information clairement donnée au patient, la signature du devis et le début des soins, l’acompte peut être encaissé. Le patient peut cependant vouloir cesser son traitement en retirant son consentement aux soins. La question des versements d’honoraires se pose alors.
Situation
Après deux séances d’information et de préparation, j’ai effectué des empreintes chez un patient afin de réaliser un bridge céramo-métallique.
Au moment de l’essayage de l’armature, il m’informe qu’il déménage et désire faire réaliser ce bridge par un confrère situé près de son nouveau lieu d’habitation. Il me demande un remboursement des sommes qu’il m’a versées depuis le début du traitement.
Dois-je accéder à sa demande ? Puis-je refuser de lui rembourser ces sommes puisqu’il a signé le devis, réglé une partie des soins et accepté le traitement ? Devrais-je calculer le montant de mes dépenses et les déduire de ses versements avant de le rembourser ? Face à cette situation, je m’interroge aussi sur l’opportunité de demander des acomptes dans une relation de confiance qui me lie à mon patient.
Réflexions du Professeur Jean Valcarcel
Professeur des Universités – Praticien hospitalier
Doyen de la faculté de chirurgie dentaire de Montpellier
La relation de soin implique une relation contractuelle avec des obligations et des droits engageant les deux parties.
Tout d’abord, la liberté d’engagement contractualisée par un consentement libre sur la base d’un devoir d’information, réévaluée entre les parties à tout moment si besoin.
Cette relation oblige aussi à la délivrance de soins conformes aux données acquises de la science avec en corollaire le fait que ceux-ci peuvent nécessiter, pour les mener à bien, que le chirurgien-dentiste fasse appel à un confrère*.
À côté de l’exécution en bonne et due forme du devoir d’information par le praticien, qui ici semble avoir été totalement respecté, le consentement engage le patient à un devoir d’obligation réciproque de même qualité et exigence. Tout consentement suppose que le patient doit être en état de pouvoir exprimer sa volonté, de refuser les investigations ou le traitement proposé à tout moment et « le chirurgien-dentiste doit respecter tout refus »**, ce qui sous-entend aussi que l’acceptation par le patient se fait en pleine responsabilité et totale autonomie de décision, avec à la clé un devoir de respect de l’intégralité du contrat médical comme financier.
De plus, le détail des actes, des matériaux et des honoraires de la prothèse à réaliser indique une prestation thérapeutique complète indissociable d’un diagnostic et d’un nombre de séquences avec des contraintes d’exécution qui sont codifiées et ne peuvent pas être négociées sous prétexte d’une convenance personnelle du patient à la suite d’un déménagement ou de toute disposition purement personnelle. Cette complétude doit se retrouver dans les sommes dues, acquittées ou à verser, présentées avec précision et clarté par le praticien dans le devis pour constituer une information chiffrée, accessible et intelligible par tout patient autonome avec un renseignement sans équivoque de la part exacte financière à charge du patient. À partir du moment où ces termes sont respectés, il devient plus aisé, pour toutes les parties, de dissocier la part d’obligation qui leur échoit lors de tout aménagement potentiel que l’on souhaite apporter au contrat de soin. Il en est de même lorsque, dans l’application de ce devis, on parle d’acompte et non d’arrhes pour le versement d’une partie des honoraires. Ainsi, lorsque l’on parle d’acompte, on parle d’engagement ferme entre le patient et le praticien, engagement qu’il faut spécifier sur le devis avec ce vocable et non avec un autre. Il se crée de fait un contexte de rétribution des honoraires plus sécurisé pour le praticien, différent de celui d’arrhes ou de toute autre forme libre de versement qui peuvent faire l’objet d’un remboursement sans contrainte pour le patient à tout moment***.
Dans le cas présent, tout soin commencé doit être réglé et le versement d’un acompte pour la réalisation de tout ou partie du travail vaut engagement ferme sur l’exécution de ce travail et sur des frais ou honoraires contractés par le patient aux dépens du praticien. En effet, l’acompte est une avance d’un paiement partiel qui est à valoir comme une partie proportionnelle des honoraires à verser dans le cadre d’un contrat et qui répond à un fractionnement échelonné de ceux-ci pour couvrir des frais engagés et évalués avec précision à la hauteur de la prestation de soin en cours. Selon l’importance du travail engagé, il n’existe aucune disposition qui puisse défaire ce contrat ferme par une obligation de remboursement intégrale de l’acompte par le praticien. Cela dit, la relation de soin exige éthiquement, de part et d’autre, mesure et tact en toute confiance. Dans ce cas précis, les honoraires engagés par la réalisation de l’armature et les soins attenants sont à considérer comme inaliénables de la rétribution du chirurgien-dentiste, et ce, même si la cause de la demande de révision du contrat par le patient, en l’espèce, ici, un déménagement, est un fait raisonnable pouvant justifier un arrêt des soins avec le praticien sans que celui-ci soit lié par cet événement privé. Seule la révision du contrat à l’aune de la seule volonté des deux contractants estimant avec justesse la part des frais et honoraires éventuels engagés par les soins prodigués est une option possible qui dépend uniquement du bon vouloir des interlocuteurs.Dans toutes les situations, il est important de prévenir le patient, en cas de versement d’acompte, du caractère ferme de l’engagement sur les travaux à venir et sur la non-possibilité de recouvrir celui-ci en cas de rétraction de sa part. L’engagement du praticien est tout aussi ferme dans la délivrance des soins. Sur ce point particulier de l’information en matière de remboursement, le patient ne peut s’estimer victime par défaut d’information, car la loi sur la notion d’acompte est précise et requiert, de la part de tout citoyen, une connaissance de principe sur des éléments de base comme la notion d’acompte qui ne relève plus de l’exhaustivité de l’information prévue dans un contrat de soin. Dans ce domaine, il est important d’avoir à l’esprit, pour paraphraser Montesquieu, que si beaucoup « d’hommes sont de bonne volonté, ils ne savent comment s’y prendre ». Il nous appartient d’asseoir cette bonne volonté réciproque dans nos engagements et dans nos contrats avec nos patients, en insistant méthodiquement sur un devoir de clarté dans les termes échangés avec eux et sur la compréhension par tous de la force contractuelle qu’ils recèlent, surtout s’ils sont écrits et paraphés.* Article L. 4127-233 du Code de la santé publique.
** Article R4127-236 du Code de la santé publique.
*** Article L131-1 du Code de la consommation.
Réflexions du Professeur Jean-Paul Markus
Professeur à l’Université de Versailles-Paris-Saclay
Dir. Département SHS Université Paris-Saclay
Le principe fondamental qui intervient dans une telle hypothèse est qu’un chirurgien-dentiste ne peut percevoir d’honoraires supérieurs aux frais qu’il a lui-même engagés, en matériels ou en temps passé.
Une fois cela précisé, la réponse coule de source. Un patient déménage – ce qui est un motif de bonne foi – et vous réclame le remboursement de son acompte. Le professionnel doit rembourser l’acompte et n’est fondé qu’à déduire les frais avancés et le temps passé, en le justifiant sur facture. Le reste des sommes avancées doit être rendu. Et vous devez en outre permettre au patient d’assurer la continuité des soins en lui remettant son dossier patient.C’est certes sévère, car il existe pour vous un dommage, celui d’avoir perdu un patient en plus d’un manque à gagner puisque c’est un autre confrère qui procédera à la mise en place du bridge, sur la base de votre travail. Mais, d’une part, un professionnel de santé ne peut raisonner en termes de « perte de chiffre d’affaires » car précisément l’art dentaire ne s’exerce pas comme un commerce (Code de déontologie, article 4127-215) et, d’autre part, l’Ordre (chambre disciplinaire) a déjà sanctionné des chirurgiens-dentistes exigeant des sommes pour des soins non réalisés. Or, réclamer des sommes pour des soins que vous auriez dû réaliser revient à facturer des soins non effectués.
Enfin, l’argument majeur est celui de la bonne foi du patient : si l’on sort de l’hypothèse décrite pour imaginer un cas de mauvaise foi, par exemple un patient décidant subitement d’aller réaliser ses implants ou ses prothèses à Prague, vous seriez alors fondé à réagir. Mais cette réaction ne pourrait s’effectuer sur le terrain de l’acompte. Il vous faudrait réclamer des dommages-intérêts au patient, au besoin devant les tribunaux.D’où, en effet, la question de la pertinence des acomptes. Ils gardent leur importance pour couvrir les frais à réaliser et sont, à ce titre, incontournables. Mais ils ne sauraient servir de « caution » à garder en cas de rupture inopinée de la relation médicale.
Commentaires