L’usage grandissant des anticoagulants oraux directs (AOD), en particulier du rivaroxaban, un inhibiteur direct du facteur Xa, pose le problème de la prise en charge des patients traités en chirurgie orale car, à ce jour, il n’existe aucune recommandation internationale consensuelle. Interrompre ou continuer le traitement ? Tous les auteurs ne sont pas d’accord. Comme le risque hémorragique n’est pas significativement augmenté en chirurgie orale par l’usage des agents antiplaquettaires (pris comme référence), et comme les données concernant la prise en charge des patients traités par AOD font largement défaut, les auteurs proposent d’évaluer ce risque chez des patients traités par rivaroxaban chez lesquels une intervention de chirurgie orale a été pratiquée, sans interrompre le traitement AOD. Il s’agit d’une étude rétrospective évaluant les suites opératoires hémorragiques sur une période de 2 semaines suite à des avulsions dentaires avec ostéotomie ou après mise en place implantaire lors de 52 actes réalisés chez des patients traités par rivaroxaban à la dose de 20 mg/j (dont 2 en bithérapie avec de l’acide acétylsalycilique) et de 285 actes réalisés chez des patients contrôles non traités. Les critères d’exclusion sont bien mentionnés et pertinents.
Toutes les interventions se sont déroulées sous anesthésie locale avec vasoconstricteur. L’hémostase primaire était assurée par la mise en place d’une éponge collagénique résorbable dans l’alvéole d’avulsion puis des sutures avec du fil non résorbable. Une antibioprophylaxie monodose était prescrite chez les patients à haut risque d’endocardite infectieuse mais pas chez les autres ; le traitement antalgique reposait sur une prescription d’ibuprofène à la dose de 400 mg toutes les 6 heures pendant 3 jours. Le suivi était assuré à 1, 3, 7, 10 et 14 jours postopératoires. Une hémorragie postopératoire était définie comme un événement nécessitant une hémostase supplémentaire. Le taux d’hémorragie postopératoire était inférieur à 1 % dans la population contrôle, alors que ce risque était significativement augmenté à 11,5 % dans la population traitée par rivaroxaban. Il est à noter que tous les événements hémorragiques sont survenus après une extraction avec ostéotomie et jamais après la mise en place d’un implant, mais il est vrai que ce type d’acte était peu fréquent (10 actes/337).
Chez les patients traités par rivaroxaban, ces saignements s’échelonnaient sur 6 jours, alors que ceux enregistrés chez les patients contrôles étaient survenus le jour même de l’intervention. Parmi les saignements apparus chez les patients traités par rivaroxaban, le tiers a été contrôlé par compression simple, tandis que le reste nécessitait le recours à une colle biologique et à des sutures supplémentaires. Ces événements n’étaient pas corrélés aux nombres de dents à avulser puisque la moitié d’entre eux sont survenus lors d’avulsions unitaires. En conclusion, cette étude montre un sur-risque hémorragique chez les patients traités par rivaroxaban lors d’intervention de chirurgie orale nécessitant une ostéotomie sous anesthésie locale avec vasoconstricteur. Ce sur-risque est maîtrisé par une procédure d’hémostase locale conventionnelle. Dès lors, il semble préférable de ne pas interrompre le traitement anticoagulant eu égard au risque thromboembolique que cela génère et de mettre en œuvre de manière systématique une procédure d’hémostase conventionnelle.
Sur le plan méthodologique, cette étude est critiquable puisqu’elle est rétrospective, que les patients perdus de vue sont sortis de l’étude et que ce sont les interventions qui sont évaluées et non les patients. Néanmoins, elle souligne un sur-risque hémorragique chez ces patients traités par AOD dans les conditions de l’étude. Il convient de confirmer ces résultats par des études méthodologiquement mieux construites. En conclusion, les auteurs suggèrent de répartir le nombre d’avulsions à réaliser sur plusieurs séances de manière à minorer le sur-risque hémorragique. Mais dans la mesure où la moitié des accidents hémorragiques a été enregistrée lors d’avulsions unitaires, on peut se questionner sur le bien-fondé de ce conseil. En revanche, on ne peut qu’approuver celui de suivre ces patients par contact téléphonique quotidien pendant plus d’une semaine. Enfin, cette étude souligne la nécessité de recommandations de bonne pratique en la matière, ce qu’a produit la Société Française de Chirurgie Orale (www.societechirbuc.com).
Commentaires