Antibiotiques et antibiorésistance

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°15 - 13 avril 2022
Information dentaire
Article analysé
• Dormoy J, Vuillemin MO, Rossi S, Boivin JM, Guillet J. Perceptions of antibiotic use and resistance : are antibiotics the dentists’ anxiolytics ? Antibiotics (Basel) 2021 ; 10 (6) : 735.

Les antibiotiques, c’est pas automatique. » Tout le monde se souvient de ce slogan utilisé en 2002 par l’assurance maladie dans le cadre d’une grande campagne de sensibilisation alors que la France était le plus grand consommateur d’antibiotiques au monde et l’un des premiers pays où l’antibiorésistance s’était manifestée. Si cet effort de communication a porté ses fruits en permettant une baisse significative de la consommation des antibiotiques, l’objectif de santé publique n’a pas été atteint sur le long terme car cette consommation est ensuite repartie à la hausse. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), la résistance aux antimicrobiens est l’une des dix plus grandes menaces pour la santé publique auxquelles est confrontée l’humanité. Au-delà de la sensibilisation du grand public, convaincre les prescripteurs constitue le premier levier d’action sur la consommation de ces molécules délivrables uniquement sur ordonnance.

Quel rôle peuvent bien jouer les chirurgiens-dentistes dans la consommation des antibiotiques et sur le risque de développement des antibiorésistances ? Les auteurs de l’article rapporté nous apprennent qu’ils sont responsables de 12 % de tous les antibiotiques prescrits en France et environ 10 % dans le monde. Mais l’intérêt particulier de cet article retenu pour cette revue réside dans l’aspect des mécanismes psychologiques de la prescription des chirurgiens-dentistes au regard de leurs connaissances sur les bonnes pratiques d’usage et sur l’antibiorésistance. Dix-sept praticiens de la ville de Nancy ont ainsi répondu à un questionnaire au cours d’interviews semi-structurées conduites par les mêmes personnes entre septembre 2019 et juillet 2020. L’étude rapportée nous révèle l’état de leurs connaissances concernant l’antibiothérapie et leurs motivations de prescription illustrées par des extraits des verbatim issus des conversations avec les auditeurs de l’étude. On apprend ainsi d’abord que si plus de la moitié des praticiens interrogés s’appuient sur les recommandations de bonnes pratiques en matière de prescriptions antibiotiques, certains pensent aussi que celles-ci ne sont pas toujours bien adaptées à la pratique clinique d’exercice libéral parce qu’elles sont « rédigées par des experts qui ne sont pas le plus souvent confrontés à cette réalité ». Parmi les praticiens interrogés, la majorité de ceux qui pratiquent l’implantologie (8/9) indiquent prescrire des antibiotiques de manière routinière pendant 7 jours lors de leurs chirurgies afin de prévenir toute complication infectieuse tout en affirmant être au fait des recommandations. Plus généralement, les praticiens indiquent rencontrer une certaine difficulté à obtenir facilement les recommandations complètes en matière de prescription parce qu’elles sont souvent noyées parmi d’autres informations et que ce sujet est rarement abordé dans les formations qu’ils suivent. Plus en détail, l’amoxicilline est l’antibiotique le plus prescrit par la majorité des praticiens, mais l’association spiramycine-­métronidazole, bien que considérée comme obsolète et inefficace par certains, demeure largement employée par la majorité d’entre eux.

Parmi les facteurs cliniques qui influencent leurs prescriptions, les maladies chroniques ou encore des antécédents de traitements par bisphosphonates, radio- ou chimiothérapies encouragent facilement les praticiens à avoir recours aux antibiotiques en prévention d’éventuelles complications. Toutefois, ce sont surtout les facteurs non cliniques qui expliquent le mieux, dans cet article, les mécanismes de prescriptions des chirurgiens-dentistes. On découvre alors qu’ils prescrivent souvent des antibiotiques pour leur propre tranquillité ; lorsqu’ils doutent, pour prévenir une possible complication susceptible d’altérer l’appréciation ou la confiance de leurs patients, et même pour se préserver face à d’éventuelles actions en justice leur reprochant une négligence ou un manquement à leur obligation de moyens. D’autres aspects d’ordre organisationnel entrent aussi en jeu comme le fait de se prévenir d’avoir à gérer une urgence dans leur planning. Mais ces facteurs concernent aussi les patients qui sollicitent plus facilement une prescription antibiotique à laquelle cède aisément le praticien à l’approche d’un week-end ou de vacances. On découvre même que les antibiotiques sont plus volontiers envisagés pour les patients âgés que pour les plus jeunes.

Concernant leur perception de la problématique des résistances aux antibiotiques, la majorité des praticiens reconnaissent être impliqués, mais ne pensent pas jouer un rôle majeur par rapport aux médecins. Le rôle des patients est aussi évoqué avec un manque d’observance des traitements et par des automédications inadaptées.
Les auteurs concluent en affirmant que les chirurgiens-dentistes ont un rôle important à jouer contre le développement des résistances bactériennes aux antibiotiques ; d’abord en réduisant les prescriptions inutiles, mais aussi en les rédigeant de manière plus pertinente, dans les bonnes indications. Ils soulignent aussi qu’au-delà des critères cliniques objectifs, de nombreuses prescriptions sont réalisées pour la tranquillité d’esprit et même la tranquillité tout court des praticiens. En ce sens, les antibiotiques jouent surtout un « rôle d’anxiolytique pour ces praticiens ». À l’analyse des matériels et méthodes, on se doit de pointer des limites évidentes à cette étude qui ne porte que sur 17 praticiens exerçant tous dans le périmètre de la même ville universitaire, Nancy. Outre le faible nombre de questionnaires relevés et l’analyse essentiellement qualitative des réponses obtenues, on peut relever d’une part qu’un seul et même bassin de population est concerné et que, d’autre part, les praticiens, qui ont probablement été formés par la même faculté, bénéficient aussi de la même offre de formation à l’échelle locale. Il est donc difficile d’extrapoler de cette étude des résultats précis à l’échelle de tout le pays. Toutefois, son intérêt réside surtout dans les données qualitatives relatives aux facteurs non cliniques motivant les prescriptions ainsi que dans certains verbatims où, sans doute, bon nombre de nos lecteurs peuvent se retrouver. Face à l’enjeu majeur que constitue l’antibio­résistance, nous devrions tous adopter et mettre en pratique le slogan proposé par le ministère de la Santé en 2018 : « Les antibiotiques sont précieux, utilisons-les mieux. »

Questions à…

 

Julie Guillet
MCU-PH et responsable du département de chirurgie orale à la faculté d’odontologie de Lorraine

Géraldine Roset
Chirurgien-dentiste conseil chef et pilote dentaire dans la région Grand Est à la Direction Régionale du Service Médical (DRSM)

Julie Guillet, vous avez dirigé l’étude rapportée dans cette revue, expliquez-nous brièvement les mécanismes et les principales causes de l’antibiorésistance?

Julie Guillet : Les résistances sont apparues très tôt après l’avènement des antibiotiques, car les bactéries déploient des moyens multiples pour échapper à leur propre destruction. En utilisant mal les antibiotiques, à la fois en santé humaine et animale (trop souvent, dans des situations ne le nécessitant pas, ou encore en ciblant mal le pathogène à éliminer), nous donnons aux bactéries les moyens de préparer des mécanismes de défense contre les molécules censées les éliminer. C’est ainsi que l’antibiorésistance apparaît, souvent au niveau de l’ADN de la bactérie. Le gène de résistance se transmet alors à la descendance de cette bactérie, mais peut aussi se transmettre à d’autres souches bactériennes (animales, environnementales…).

Comment expliquez-vous les erreurs de prescriptions commises par les chirurgiens-dentistes ?

J. G. : L’étude de la littérature internationale montre que tous les chirurgiens-dentistes sont confrontés aux mêmes problématiques : manque de temps pour gérer les urgences, doutes diagnostiques, pression des patients pour obtenir une ordonnance… Ce sont principalement dans ces situations que les antibiotiques sont prescrits, alors même qu’il n’y a pas de problème infectieux ! La douleur intense est une cause fréquente de prescription antibiotique inutile, ainsi que le manque de temps pour effectuer le geste technique (incision/drainage/désobturation canalaire) qui éviterait la prescription antibiotique.

Géraldine Roset, quel est l’impact estimé des prescriptions antibiotiques en matière d’économies de la santé ?

Géraldine Roset : Le premier impact recherché à travers ces travaux est de limiter l’antibiorésistance. Prescrire quand c’est nécessaire, la bonne molécule et pour la bonne durée. Éviter d’utiliser en routine des molécules générant de l’antibiorésistance et non recommandées en première intention.

Mais oui, ces bonnes pratiques génèrent une économie : pour le Grand Est, sur un an, cela représente plus 800 000 euros. Pour la France entière, c’est environ 9,8 millions d’euros qui seraient économisés. Cette estimation est faite au même niveau de prescription et en atteignant les objectifs fixés sur les profils individuels des praticiens. Le montant pris en charge par l’assurance maladie est de 42,5 millions d’euros par année pour les antibiotiques prescrits par les chirurgiens-dentistes.
Dommage que l’on ne puisse pas estimer le recul de l’antibiorésistance…

Pourquoi et comment vous êtes-vous investie en faveur des bonnes recommandations et contre les antibiorésistances au niveau des chirurgiens-dentistes de votre région ?

G. R. : L’histoire a commencé par une rencontre avec Julie Guillet à l’ADF en 2018. Elle intervenait lors d’une conférence sur l’antibiorésistance et les recommandations de prescriptions. Une salle comble, une foule de questions, un sujet qui retenait l’attention des confrères. J’ai proposé à Julie que nous travaillions ensemble. L’assurance maladie a les données, l’université la caution scientifique et le conseil de l’Ordre le lien avec la profession. Nous avons réuni nos atouts pour livrer ce combat. Et nous nous sommes dit « au regard de l’enjeu, nous nous devons d’être les meilleurs ! ». Notre première approche était de sensibiliser les chirurgiens-dentistes à l’antibiorésistance. Il fallait qu’ils prennent conscience que chacun, à son niveau, peut agir. Dans un second temps nous leur avons fourni leurs données de prescription analysées à travers trois indicateurs, en fixant une cible à atteindre pour chaque indicateur. Les confrères que nous rencontrons en ce moment se sentent extrêmement concernés. Certains découvrent l’impact de l’antibiorésistance. Tous sont unanimes et s’engagent à faire mieux.

Pour aller plus loin : retrouvez un article complet dans le BMC de mars 2022 :
« Les antibiotiques en odontologie : bon usage et antibioresistance en toute simplicité »
par Julie Guillet et Géraldine Roset

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