SFHAD (Société Française d’Histoire de l’Art Dentaire)
Durant six ans, il travaille à l’Hôtel-Dieu sous la direction du chirurgien Moreau qui le remarque immédiatement. À la suite de cette précieuse expérience, il va demeurer quelque temps chez Louis Lécluze (1711-1792).
Le choix de la chirurgie dentaire pour être utile
Dans les préliminaires de son ouvrage le plus important, il donne les raisons de sa décision de spécialisation : « Adonné dès l’âge le plus tendre à la chirurgie complette, j’ai joui pendant plusieurs années du précieux avantage de voir pratiquer & professer en grand cet Art utile par l’un de nos plus grands Maîtres ; […] mais je l’avoue cette foule d’objets qu’embrasse la chirurgie m’effraya ; je pressentis toutes les difficultés que j’aurois à surmonter si j’essayois d’en approfondir la totalité. […] J’ai cru devoir me fixer à une seule branche de l’Art de guérir, (celles des Maladies Chirurgicales de la Bouche) & à la cultiver avec plus de soins & d’assiduité qu’on ne me paroissoit l’avoir fait jusqu’alors » (Traité des maladies et des opérations réellement chirurgicales de la bouche, 1778).
Il est reçu expert pour les dents à Saint Côme en 1754. Il a vingt ans. En 1756, il publie les Nouveaux éléments d’odontalgie, exactement deux ans après Nouveaux élémens d’odontologie, de son maître Lécluze, dont il s’inspire un peu trop fidèlement. Il exerce et prend part en même temps à tous les travaux de l’Académie royale de Chirurgie, à laquelle il présente ses recherches. Il est reçu maître en chirurgie par le Collège royal de Chirurgie. Très vite, il propose de nouveaux instruments perfectionnés et en illustre ses nombreuses publications (fig. 1).
1. Ciseaux, canules, cautères, rugines.
Paru dans le Traité des maladies et des opérations réellement chirurgicales de la bouche,
Anselme Jourdain, Paris, chez Valleyre l’aîné, 1778, T. II, Pl 2.
Parmi celles-ci, citons les plus importantes : le Traité des dépôts dans le sinus maxillaire, des fractures et des caries de l’une et l’autre mâchoire (1760), texte à la fois novateur et polémiste parfois à l’égard des dentistes, l’Essai sur la formation des dents (1766) qui livre une remarquable gravure montrant les germes des dents permanentes s’invaginant entre les racines des dents temporaires (fig. 2).
2. Gravure hors texte. Parue dans les Essais sur la formation
des dents, Anselme Jourdain, Paris, d’Houry, 1766.
Mais son ouvrage majeur est bien le Traité des maladies et des opérations réellement chirurgicales de la bouche (1778) qui sera traduit dès 1784, à Nuremberg, puis en 1849 à Baltimore et en 1851 à Philadelphie. Le premier tome (595 pages) est dédié aux pathologies de la mâchoire supérieure dont 350 pages à celles des sinus maxillaires qui étaient bien ses objets de prédilection. En témoigne la gravure reproduite ici (fig. 3), montrant chez un enfant de trois ans un monstrueux « carcinome complet du sinus maxillaire droit attribué à des chutes faites de dessus un petit cheval de carton ».
3. Gravure hors texte, « État de la face d’un sujet [Carcinome complet du sinus maxillaire droit, attribué à des chutes faites de dessus un petit cheval de carton]».
Paru dans le Traité des maladies et des opérations réellement chirurgicales
de la bouche, Anselme Jourdain, Paris, chez Valleyre l’aîné, 1778, T. I.
Le second tome (673 pages) couvre toutes les pathologies graves de la mâchoire inférieure appelant des thérapeutiques chirurgicales exemptes de tout souci de restauration. Jourdain se veut chirurgien et pas dentiste ; il écrit un traité de chirurgie pour éclairer le monde des chirurgiens et des médecins sur la sphère bucco-dentaire et toutes ses parties voisines ; accessoirement pour les chirurgiens-dentistes qui sont à cent lieues de pathologies et d’interventions aussi lourdes. Seul Fauchard est reconnu par lui en tant que chirurgien.
Et comme le précise Jacques René Duval (1759-1854), « M. Jourdain ne crût pas que sa pratique dût avoir des bornes moins étendues que la science, mais il n’en abusa pas ; sa conduite fut telle à cet égard qu’on le vit presque toujours dans les cas graves, assisté des médecins ou des chirurgiens les plus distingués de la Capitale, soit qu’ils voulussent avoir son opinion, soit que lui-même sentît la nécessité de s’éclairer de leurs conseils ».
Un homme passionné rattrapé par l’Histoire
Il faut souligner la très grande honnêteté intellectuelle avec laquelle Jourdain relate ses échecs, cherchant toujours à en trouver la cause. Et clinicien à l’égal du chirurgien, il déclare ce que chaque chirurgien devrait méditer : « Il ne suffit pas toujours d’être bon Opérateur. Ce mérite perd souvent de son utilité, si l’Art de conduire & de panser méthodiquement une plaie, d’après les opérations convenables, ne l’accompagne pas. »
Cependant, s’il fut un praticien d’exception, il l’était aussi en tant qu’homme : « Le pauvre comme le riche eut une égale part à ses soins ; il était content de trouver sa récompense dans le succès de ses opérations, de là sa médiocre fortune » (Duval).
La Révolution et toutes ses conséquences concernant la chirurgie – dissolution des Jurandes, des Collèges de Chirurgie, ainsi que du Collège royal de Chirurgie – vont lui porter un coup fatal. « Affligé des premiers élémens comme des suites de ce désordre social, moins pour lui que pour ses enfants qu’il avait eus de deux mariages, et dont un, aujourd’hui, est secrétaire adjoint de l’École royale des Langues Orientales, [… M. Jourdain ne se sentit plus le courage d’observer ni de méditer ; dès lors, il quitta la plume pour ne plus la reprendre ; il n’exerça même sa profession qu’avec une sorte de dégoût et avec un tel isolement qu’on pouvait croire qu’il n’existait plus. Une plus longue carrière lui était destinée, il la termina le 16 janvier 1816 » (Duval).
D’après Dagen et Pierre Baron, Jourdain aurait exercé dans plusieurs lieux : 174, Pont St Michel en 1759-1761 ; quai des Augustins, proche rue Pavée (1776) ; puis de 1798 à 1803, 42/43, quai des Augustins ; 37, quai des Augustins de 1804 à 1809 ; 4, rue neuve de l’Abbaye en 1811 ; 11, rue de l’Éperon en 1813 ; enfin, 4, rue Neuve de l’Abbaye, où il meurt.
Pour plus d’informations :
www.biusante.parisdescartes.fr/sfhad
www.biusante.parisdescartes.fr/aspad
http://www.biusante.parisdescartes.fr/mvad/
Bibliographie
2. Dagen G. Documents pour servir à l’histoire de l’art dentaire en France et principalement à Paris. Paris, La Semaine Dentaire, 1926.
3. Duval J-R. Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Jourdain, dentiste. Paris, Méquignon-Marvis, 1816.
4. Jourdain A. Nouveaux élémens d’odontalgie. Paris, G. Desprez, 1756.
5. Jourdain A. Traité des dépôts dans le sinus maxillaire, des fractures et des caries de l’une et l’autre mâchoire, suivis de Réflexions et d’Observations sur toutes les Opérations de l’art du Dentiste. Paris, Laurent Charles d’Houry, 1760.
6. Jourdain A. Essais sur la formation des dents, comparée avec celle des os. Paris, d’Houry, 1766.
7. Jourdain A. Traité des maladies réellement chirurgicales de la bouche, et des parties qui y correspondent suivi de notes, d’observations et de consultations intéressantes tant anciennes que modernes. Paris, chez Valleyre l’aîné, 1778.
8. Paronneau P. Anselme Jourdain : « expert pour les dents ». Un grand nom dans la chirurgie du XVIIIe siècle. Thèse doctorat en chirurgie dentaire, Paris VII, 1988, n° 2864.
9. Ruel-Kellermann M. Traité des maladies réellement chirurgicales de la bouche par M. Jourdain, Dentiste reçu au Collège de Chirurgie, 1778. www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/medica/odontologie/jourdain.php
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