Annonce d’un dommage associé aux soins

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Information dentaire
L’annonce d’un dommage associé aux soins est un devoir moral, éthique, mais aussi une obligation légale. Selon la HAS [1], l’information des patients à la suite d’un dommage associé aux soins n’est pas encore satisfaisante. Ce constat traduirait une réelle difficulté pour les professionnels à communiquer dans des situations où leur relation avec le patient peut potentiellement se dégrader. Pourtant, aider les patients à devenir acteurs de leur santé, respecter leur autonomie, préserver la relation praticien-patient, renforcer la culture de sécurité des soins représentent les enjeux de l’annonce d’un dommage associé aux soins.

Situation

Je viens de réaliser l’avulsion de la 46 chez un patient âgé de 36 ans. Mais, au moment de retirer la dent et prenant appui sur la 47, celle-ci s’est fracturée. Pourtant, elle apparaissaitsaine et suffisamment solide. Je suis très gêné, car la 47 est maintenant à extraire. « Savoir », « comprendre », « être informé »… telles sont les attentes de mon patient, mais comment le lui annoncer sans craindre un éventuel procès ?Je ne me sens pas formé pour lui direque j’ai manifestement fait une erreur. J’ai des difficultés à gérer mes propres émotions dans le cadre d’un conflit. Puis-je me taire ? Dois-je m’accuser d’une faute ? Comment parler à mon patient pour apaiser notre relation de confiance ?

Réflexions du Dr Olivier Hamel

MCU-PH Santé Publique,
Faculté de Chirurgie Dentaire de Toulouse


Auquel d’entre nous cela n’est-il pas arrivé un jour ou l’autre ? De fait, la solution qui consisterait à dire « c’est dommage ! » et à enchaîner comme si de rien n’était n’est plus de mise.

Techniquement, il faut tout d’abord se demander si la 47, désormais à extraire, doit l’être immédiatement, dans le même temps opératoire, ou non. Si la situation et l’indication l’imposent, oui. Mais sans omettre de prendre le temps de l’information et d’espérer la compréhension. Or, la situation est délicate. Le patient, anesthésié localement, en plein cours d’intervention, certes ordinaire au départ pour le praticien, mais pas du tout anodine pour lui, ne se retrouve pas dans une situation confortable, favorable à la disponibilité d’esprit. Deux grands cas de figure se présentent : je connais bien mon patient, depuis longtemps, et la confiance est au rendez-vous ; ou pas ! Dans le premier cas, mes compétences en matière relationnelle auront fait le travail en amont. Dans le second, elles vont le faire en direct.

Répondons tout d’abord brièvement à deux des questions posées : « Puis-je me taire ? Dois-je m’accuser d’une faute ? » Certainement non pour la première dans un contexte d’information et de transparence absolument nécessaire. « Dois-je m’accuser ? » Non plus ! Sans vouloir paraphraser une réplique devenue célèbre, l’attitude à apporter n’est pas celle de la culpabilité ; sauf à avoir volontairement délabré la 47 pour rendre, par exemple, la solution prothétique fixe par pont impossible à réaliser afin d’entraîner d’office le patient vers une solution implantaire. Mais là, s’agissant de mutilation, c’est du ressort du pénal ! En revanche, le praticien doit être responsable. Ainsi, il doit pouvoir évaluer s’il a commis une maladresse (et alors la réparer) ou si l’événement était finalement inéluctable. Nous relevons d’ailleurs la généralisation de la distribution avant chaque acte d’une note d’informations sur les « bénéfices/risques » de l’intervention comprenant, pour le cas qui nous intéresse, les risques que suppose une avulsion pour les dents adjacentes. Certes utile, souhaitable pour une information la plus exhaustive possible du patient, cela ne peut cependant pas devenir une sorte de protection administrative systématique. La solution à notre problème n’est pas là !

Les questions posées relèvent alors surtout de la compétence du praticien à s’exprimer, tant sur le contenu que sur la forme. Dans la situation proposée, la remarque « Je ne me sens pas formé… » apparaît essentielle. C’est bien la question de la formation, tant initiale que continue, qui est mise en avant. Il s’agit de la formation, de la sensibilisation, de l’enseignement qui associent des disciplines différentes et pourtant si proches : psychologie médicale appliquée à l’odontologie, communication, éthique et droit médical. Ces notions sont d’ailleurs tout à fait prises en compte dans le profil de compétence européen du chirurgien-dentiste (voir http://www.adee.org) qui précise, entre autres, que celui-ci doit être capable de « partager les informations et ses connaissances professionnelles avec les patients et d’autres professionnels par voie écrite ou verbale, y compris être capable de négocier et d’accepter des critiques constructives ». Vaste et ambitieux programme ! Il nous impose, et c’est le chantier entamé au niveau universitaire, de définir des volumes horaires d’enseignement sous forme de travaux pratiques où des situations cliniques de ce type sont abordées.

Peu d’entre nous sont spontanément à l’aise et pertinents dans leurs réponses dans ces moments-là. Expliquer la complexité de nos actes, laisser exprimer l’étonnement ou le mécontentement, trouver et proposer l’accord mutuel le plus juste ne s’improvise pas. Cela se travaille à travers des connaissances et une méthodologie reconnues qui viennent enrichir le professionnel de santé responsable, attentif à sa pratique et surtout aux réactions légitimes de son patient.

Réflexions du Dr Marie-France Mamzer

MD, PhD, HDR. Laboratoire d’éthique médicale et de médecine légale Paris Descartes


L’extraction d’une dent, comme tout acte de soin invasif, expose le patient à la survenue de complications. Celles-ci peuvent être liées à la pathologie du patient, s’inscrire dans le cadre d’un aléa thérapeutique, ou être secondaires à une erreur du praticien. Quel qu’en soit le mécanisme, les conséquences de ces complications peuvent être physiques, psychologiques, sociales ou matérielles, et constituer un dommage. La confrontation du praticien ayant réalisé l’acte à la réalité d’un dommage qui engage sa responsabilité est pénible pour lui et souvent difficile à gérer.Pourtant, le sujet est encoretabou, et la réalité trop souvent cachée au patient par des praticiens non formés à la communication, ayant du mal à maîtriser leurs émotions et craignant la dégradation de la relation établie avec le patient concerné, voire des poursuites.

Les professionnels disposent pourtant d’outils pour les aider dans cette démarche. Le premier réside dans la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé [2] qui dispose, dans la droite ligne du Code de déontologie, que toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé, et précise que l’information doit porter sur les différentes investigations, les traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, ainsi que sur tous les risques fréquents ou graves normalement prévisibles et les solutions alternatives. Une telle information, attendue par les patients, ouvre le dialogue indispensable à une prise de décision éclairée, et inscrit le soin dans une prise en charge globale de la personne soignée, autour de celui-ci. L’annonce d’un dommage lié au soin, loin d’apparaître comme une incongruité, s’inscrit dès lors tout simplement dans une continuité non seulement légitime mais attendue.

La Haute Autorité de Santé s’est saisie par ailleurs de cette question et a établi en 2011 des recommandations à l’intention des praticiens, l’inscrivant dans une démarche de gestion des risques et d’amélioration des pratiques professionnelles et postulant que l’annonce d’un dommage lié aux soins, lorsqu’elle est bien faite, contribue d’une prévention de la judiciarisation. La démarche en trois temps proposée (préparation, réalisation et suivi de l’annonce) est tout à fait pragmatique et propose aux établissements de mettre en œuvre une véritable politique d’annonce des dommages. Celle-ci prévoit même la trame d’un discours et des modalités de prise en charge.

Mais aucun de ces outils ne saurait se substituer à l’interaction directe et bienveillante du praticien concerné qui, dans une posture mêlant responsabilité et sollicitude, constate le dommage, l’explicite au patient, exprime son empathie par des regrets, avant de proposer l’organisation de la continuité des soins. Le cas particulier du dommage secondaire à une erreur est sans aucun doute plus délicat pour le praticien qui, pourtant, se trouve devant une nécessité supplémentaire, celle de reconnaître son erreur. Ce temps fort de la communication soignant-soigné est particulièrement important pour la relation, car c’est lui qui permet au patient de retrouver sa place de sujet, en lui donnant notamment la possibilité de pardonner.

La prise de conscience de ces éléments par les praticiens est sans doute indispensable, car l’exercice d’une profession de santé implique au quotidien la réalisation d’actes qui sont tous associés à un risque de complications, dont la probabilité de survenue et le niveau de gravité sont variables. Chaque praticien devrait donc être confronté à la nécessité d’annoncer un dommage lié à ses soins une (voire plusieurs) fois au cours de sa carrière. Cette annonce est aujourd’hui reconnue comme une étape indispensable à la pérennité d’une relation de confiance entre le patient et le praticien. Elle témoigne du respect de la personne soignée et doit se concevoir comme l’une des manifestations de la sollicitude attendue par le patient lorsqu’il confie ses soins à un praticien.

Références

1. Annonce d’un dommage associé aux soins HAS mars 2011.

2. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé



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