Comme chaque fin d’année, les fêtes de Noël seront pour beaucoup l’occasion de réunions en famille et de moments festifs. Les biscuits de Noël, les chocolats et boissons raffinés font partie des gourmandises sucrées, plaisirs auxquels nous céderons volontiers avant, peut-être, de culpabiliser en janvier au moment des bonnes résolutions. Les chirurgiens-dentistes connaissent bien le rôle du sucre dans le mécanisme pathogénique des caries et les messages de prévention diffusés à la fin de chaque publicité nous rappellent aussi de manière plus générale : « Pour votre santé, limitez les aliments gras, salés et sucrés ». Si cette mention sanitaire est si importante, c’est parce qu’il est difficile de se défaire du plaisir addictif du goût sucré, alors même que la consommation excessive de sucre (et on y arrive très vite) est une cause de morbidité importante (caries, diabète, obésité).
Les sucres d’alcool ou polyols (qui ne sont ni des sucres ni des alcools) se sont développés comme des alternatives aux sucres traditionnels du fait de leur pauvreté calorifique et de leur faible impact sur la glycémie. Certains d’entre eux, d’origine naturelle, sont issus de fruits ou de légumes (xylitol, érythritol, sorbitol, mannitol), tandis que d’autres sont d’origine synthétique (isomalt, maltitol, lactitol). Les auteurs de l’étude sélectionnée rapportent que malgré un risque de troubles intestinaux associé à une consommation excessive de polyols, ils sont généralement considérés sans danger pour la santé. Mais ce sont leurs effets sur la santé orale qui constituent le sujet de cet article dont l’ambition est de nous proposer, par une étude bibliométrique, une synthèse sur l’état actuel des connaissances concernant la consommation de polyols sur la prévalence des caries et la santé orale en général. À la différence d’une étude systématique de littérature, l’étude bibliométrique analyse quantitativement l’évolution de la production scientifique ainsi que les collaborations sur un sujet donné, et qualitativement les caractéristiques des publications et de leurs vecteurs de diffusion. On obtient ainsi une vision de l’évolution de l’intérêt de la communauté scientifique pour un sujet donné, mais on en tire aussi les principales conclusions ou recommandations.
Les auteurs indiens de l’article rapporté ont effectué une recherche sur le moteur de recherche PubMed afin de trouver les études cliniques parues en langue anglaise en utilisant toutes les combinaisons de mots clés possibles concernant les différents polyols. Sur les 1 223 articles initialement détectés, 267 études cliniques publiées dans 95 journaux entre 1967 et 2024 ont été incluses. Leur analyse révèle que l’intérêt pour ce sujet a commencé à émerger à partir de 1975 mais a diminué pendant les années 80, pour connaître un net regain à partir de la deuxième moitié de la décennie 90. L’année 2014 fut la plus productive avec 16 études cliniques parues puis l’intérêt a été maintenu avec une production d’études variable selon les années. Dans leur discussion, les auteurs expliquent le pic de 2014 par une prise de conscience et une plus grande attention concernant l’impact du sucre sur la santé orale, l’émergence de résultats solides sur l’effet des polyols, mais aussi une évolution des préférences ou comportement des consommateurs.
L’Italie, les États-Unis, la Finlande, l’Allemagne et le Canada sont les meilleurs pays contributeurs. On apprend par ailleurs que le journal Carie Research est celui qui a publié le plus d’articles sur le sujet, suivi par Acta Odontologica Scandinavica, Clinical Oral Investigation et Journal of Clinical Periodontology. Les différents sujets et paramètres explorés dans les études concernent l’efficacité et l’innocuité des polyols, leurs interactions avec les micro-organismes présents dans la cavité buccale, leurs bénéfices ou risques potentiels liés à leur consommation régulière. Certaines études se sont particulièrement intéressées aux effets bénéfiques du xylitol, considéré comme un agent cariostatique, ou encore à l’interaction synergique positive de l’érythritol avec des probiotiques. Les auteurs évoquent aussi une action combinée de l’érythritol et du xylitol qui seraient capables d’inhiber la croissance des colonies de Streptococcus mutans.
Plus largement, ils concluent de leur analyse que la recherche suggère que l’érythritol pourrait être un substitut très favorable au sucre classique pour les individus en bonne santé et pour les diabétiques, car ce polyol n’impacterait pas la glycémie ni le niveau d’insuline. En se projetant vers des recommandations pour de futures études, les auteurs plaident pour des études longitudinales destinées à évaluer les effets à long terme de la consommation de polyols sur la prévalence des caries et sur la santé parodontale. Un autre intérêt majeur de recherches futures concernerait l’effet de campagnes de promotion ou de recommandations personnalisées en matière d’hygiène orale et d’habitudes alimentaires incluant des polyols. Enfin, des études interdisciplinaires pourraient élucider les interactions des polyols sur le microbiote oral et son impact sur la santé orale.
3 questions à… Élisabeth Dursun
PU-PH en odontologie pédiatrique à l’Université Paris Cité, rédactrice en chef adjointe de la revue BioMatériaux dentaires Cliniques, spécialiste reconnue dans les domaines de la nutrition.
La nutrition est l’un de vos sujets de prédilection, quel regard portez-vous sur la consommation des polyols et leur potentiel impact sur la santé orale ?
Je suis en effet passionnée par la nutrition et la compréhension des mécanismes physiopathologiques, qui reposent sur la physiologie et la biochimie. J’en suis arrivée à créer une consultation de nutrition/micronutrition dédiée à la prise en charge globale et personnalisée des maladies bucco-dentaires.
Le sucre est la cause principale de la maladie carieuse et intervient également dans la maladie parodontale. Pour prévenir efficacement la maladie carieuse, sa consommation ne devrait pas excéder 5 % des apports énergétiques quotidiens. Or, un verre de jus d’orange nous fait presque atteindre ce quota ! Les polyols constituent a priori une alternative séduisante, puisqu’ils ne sont pas métabolisés par les bactéries, donc non cariogènes, et sans risque sur la santé. De plus, le xylitol et l’érythritol, inhiberaient la croissance de pathogènes parodontaux.
Ils peuvent rendre service en quantité modérée, en phase de transition, pour aider à réduire la consommation de sucre chez des patients polycarieux, « accros » au sucre ou avec des troubles métaboliques. Leur effet sur le parodonte apparaît anecdotique. L’érythritol serait à privilégier, car il est majoritairement absorbé dans l’intestin grêle et n’est pas fermenté dans le côlon, contrairement aux autres polyols, ce qui évite les troubles gastro-intestinaux, voire les risques de dysbiose en cas de consommation excessive. Toutefois, il possède un pouvoir sucrant inférieur à celui du xylitol et un goût moins agréable.
Bien que d’origine naturelle, les polyols n’en restent pas moins des produits transformés. Le xylitol, par exemple, résulte de processus chimiques et mécaniques, tandis que l’érythritol est produit par fermentation, un procédé un peu moins industriel. Et surtout, leur utilisation ne permet pas au patient de réduire son penchant pour la saveur sucrée, ce qui entrave la réduction durable de la consommation de sucre. Je ne les conseillerais donc pas pour une consommation sur du long terme.
Quelles différences et éventuels effets sur la santé existe-t-il entre les polyols et les autres édulcorants très connus comme l’aspartame ou la stevia ?
Les polyols sont des édulcorants de masse, ayant un pouvoir sucrant similaire ou inférieur à celui du sucre. Ils apportent peu de calories et donnent une certaine consistance aux aliments. L’aspartame, d’origine synthétique, et la stévia, d’origine naturelle, sont des édulcorants intenses. Ils ont un pouvoir sucrant beaucoup plus élevé (200 à 400 fois celui du sucre), ce qui permet de les utiliser en très petite quantité, sans apport calorique. Tous ces édulcorants ont en commun le fait qu’ils n’élèvent pas (ou peu) la glycémie et sont non (ou peu) cariogènes. Pour autant, la modération reste de mise !
Une étude récente a révélé un risque accru de troubles métaboliques chez les personnes consommant au moins un soda édulcoré par jour. Bien que ces données soient observationnelles et n’établissent pas de lien de causalité, elles invitent à réfléchir sur nos recommandations santé. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer ces résultats, tels que la phase céphalique de sécrétion d’insuline déclenchée par les stimuli sensoriels (goût sucré, vue, odorat), avant même que la nourriture soit ingérée, bien que cette sécrétion reste faible. D’autres facteurs incluent l’impact sur le microbiote intestinal et le maintien du goût sucré, qui peut renforcer les comportements alimentaires sucrés.
Concernant l’aspartame, il perturberait les signaux de satiété, pourrait affecter le microbiote intestinal et certaines études suspectent un potentiel cancérigène. Pour ma part, je préfère le déconseiller. En revanche, la stevia est une alternative plus naturelle, bien que son goût ne soit pas toujours apprécié.
Il existe d’autres édulcorants naturels intéressants comme le sirop de yacon, un édulcorant de masse à la saveur caramélisée, ou le fruit du moine, un édulcorant intense, souvent associé à l’érythritol. Enfin, j’aimerais mentionner l’allulose, bien que non encore autorisée dans l’Union européenne (l’évaluation réglementaire étant en cours). Cet édulcorant de masse d’origine naturelle présente un goût très proche de celui du sucre, ne cause pas de troubles intestinaux et pourrait même favoriser la synthèse de GLP-1.
De manière plus générale et pour une bonne santé, quels conseils pouvez-vous donner concernant la consommation des sucres classiques ou des « édulcorants » chez les enfants, chez les adultes ou chez les sportifs ?
Il faut tendre vers une consommation de sucre aussi réduite que possible en favorisant les fruits et certaines associations alimentaires (sucre avec de bons acides gras ou protéines) pour limiter les pics de glycémie. Les édulcorants, parfois utiles, ne sont pas une solution à long terme. Même naturels, ils ne permettent pas une véritable rééducation alimentaire. Le sucre active le circuit de la récompense dans le cerveau, incitant à répéter l’expérience. Les édulcorants, certes dans une moindre mesure, pourraient engendrer le même mécanisme.
Chez les enfants, il est conseillé d’introduire le sucre le plus tard possible (minimum à 2 ans selon l’International Association of Paediatric Dentistry – IAPD), d’éviter les boissons sucrées, ainsi que les édulcorants, et de privilégier des alternatives à base de fruits au goûter. Il est à noter qu’une consommation excessive de sucre peut perturber leur développement gustatif, limitant leur capacité à apprécier des saveurs variées. Chez les adultes « accros », une diminution progressive est préférable, en commençant par éliminer les aliments transformés, cesser de sucrer son café, passer au chocolat noir… Pour les sportifs, c’est un sujet à part. Des glucides à index glycémique élevé, juste avant, pendant et après un effort prolongé sont nécessaires pour améliorer les performances.
Pour finir, même si une consommation raisonnée de sucre n’est pas problématique, je suis convaincue que la clé réside dans la désaccoutumance au goût sucré pour développer de nouveaux plaisirs gustatifs et finir par saliver davantage devant un plat de légumes (au potimarron subtilement sucré !), que devant une pâtisserie.
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