La fermeture des espaces orthodontiques
Face à une agénésie d’incisive latérale, la décision est difficile entre les diverses possibilités thérapeutiques, souvent pluridisciplinaires, envisageables. Chaque cas est unique, mais vous privilégiez, quand cela est possible, la fermeture orthodontique des espaces et la substitution de la canine en incisive latérale. Quelles sont vos raisons ? Et, à l’opposé, à quels cas réservez-vous les solutions de remplacement prothétique ?
Cette solution propose de mettre les canines maxillaires en place d’incisives latérales puis de mésialer les premières prémolaires en position de canines maxillaires.
C’est la solution la plus souvent privilégiée car elle ne nécessite que peu d’intervenants (l’orthodontiste et parfois l’omnipraticien, pour transformer la couronne de la canine en incisive latérale) et s’avère moins coûteuse que l’ouverture de l’espace d’agénésie.
La fermeture d’espace peut s’accompagner d’extractions de compensations selon les situations :
– extraction de l’incisive controlatérale riziforme ; – extraction des incisives latérales mandibulaires (d’après Canal et Chabre) [1] ; – extraction des 35 et 45 dans les cas de dysharmonie dento-maxillaire mandibulaire.
Avantages de la fermeture
Cette solution présente de nombreux avantages :
– elle permet d’établir facilement un pronostic ;
– elle évite la prothèse, ce qui satisfait de nombreux patients. Cet avantage ne se concrétise pas toujours cliniquement du fait de la nécessité de coronoplasties soustractives des canines et éventuellement additives par composite ou facette ;
– la durée de traitement est courte par rapport à une ouverture chez l’enfant avec contention durant la phase de croissance ;
– elle évite une période de contention longue entre la fin du traitement orthodontique et la réalisation prothétique définitive ;
– son coût est moindre.
Inconvénients de la fermeture
Par contre, la fermeture d’espace orthodontique et donc le maintien du déficit dentaire ont pour conséquences négatives :
– l’ouverture de l’angle naso-labial pouvant entraîner un aspect inesthétique du profil. Par exemple, dans le cas d’une classe II par rétrognathie mandibulaire, il sera plus judicieux chez les enfants et les adolescents d’opter pour un traitement orthopédique pour avancer la mandibule ;
– un raccourcissement de l’arcade dentaire ;
– la création d’un contact proximal entre des dents qui n’en ont pas normalement et dont les faces proximales ne se correspondent pas. Ceci serait un facteur d’instabilité dans la continuité de l’arcade ;
– la création de schémas occlusaux atypiques où l’engrènement n’est pas optimal (relation 1 dent/1 dent) avec, notamment, un défaut de calage des premières molaires cause d’instabilité ;
– la diminution du nombre de « couples masticatoires » avec diminution de l’efficacité masticatoire ;
– le raccourcissement de l’arc incisif, dû à l’agénésie, qui perturbe le guidage antérieur et aggrave un profil rétrusif ;
– la perte de la fonction canine qui impose la prise en charge de la latéralité par une fonction de groupe des prémolaires maxillaires ;
– la mésialisation de la première prémolaire, en lieu et place de la canine, qui provoque une prématurité occlusale au niveau de la cuspide palatine de la prémolaire ;
Contre-indications
Compte tenu des éléments précédemment développés, nous contre-indiquons, de façon décroissante, la fermeture des espaces d’agénésies :
– face à une typologie de classe III ou tendance classe III ;
– face à une typologie hypodivergente ;
– quand l’entité lèvres-menton est déficiente avec une concavité sous-nasale, un angle naso-labial ouvert associé à une lèvre courte et rétruse ;
– en cas de microdontie où la fermeture des diastèmes se rajoute à celle des espaces d’agénésies ;
– quand l’occlusion latérale est de classe I ;
– face à une canine de petit volume et de forme triangulaire.
D’après l’étude de Robertsson [2], 93 % des patients sont satisfaits de la fermeture alors que seuls 65 % sont satisfaits de l’ouverture.
Il est parfois plus judicieux de proposer un traitement moins long au patient malgré des résultats moins conventionnels pour éviter la perte de motivation au cours du traitement.
De plus, rien n’est moins prédictible, surtout chez un adolescent dont le traitement se termine entre 13 et 15 ans, qu’une future réalisation prothétique qu’elle soit conventionnelle ou implantaire.
Dans les cas de fermeture orthodontique quelles informations choisissez-vous dans vos attaches sur les canines et les premières prémolaires ? Quelles finitions orthodontiques recommandez-vous ?
La canine se substituant à l’incisive latérale, nous choisissons donc les prescriptions de l’incisive latérale. Ainsi l’information de troisième ordre s’exprimera correctement gommant l’aspect globuleux de la racine. Se pose le problème du premier ordre. L’attache de l’incisive latérale présentant un inset, il suffit, dès les premiers arcs, d’adjoindre une bosse canine avec une déformation en accord avec la morphologie de la face vestibulaire. Vous conviendrez qu’il est plus simple sur les arcs suivants de reproduire une information de premier que de troisième ordre.
Pour la prémolaire, si l’on souhaite avoir une pente prémolaire identique à la pente canine et estomper la pointe de la cuspide palatine (pour limiter les interférences non travaillantes), il faudrait adjoindre un torque négatif au risque de créer une fenestration compte tenu de la bifidité de la racine. Il est donc préférable de bien centrer les racines et de réaliser des adaptations occlusales par soustraction.
Pour améliorer l’apparence des canines, pratiquez-vous des coronoplasties par soustraction ou par addition ? À quel moment ? Quand faites-vous appel aux techniques de dentisterie esthétique ?
Une coronoplastie de la canine s’impose et un remodelage de la première prémolaire maxillaire peut s’avérer nécessaire.
La forme de la canine est à prendre en considération : arrondie, triangulaire, large ou étroite, la canine peut présenter des anatomies extrêmement variées. Plus elle est arrondie, plus la coronoplastie sera aisée. Inversement, si la canine est triangulaire, sa plus grande largeur sera au sommet de la papille ; le meulage de la pointe canine ne suffira pas à donner une forme esthétique, il faudra envisager de recourir aux composites dans un premier temps, puis faire appel aux techniques de dentisterie esthétique les plus abouties si le patient le juge nécessaire.
La canine doit être remodelée dans un but esthétique, mais aussi occlusodontique.
Le risque de la coronoplastie, si la morphologie ne s’y prête pas, est de provoquer par un excès de soustraction de matériel dentaire une lésion endodontique.
À court terme, la conséquence est une hyperesthésie dentinaire, à long terme, une nécrose pulpaire.
Le remodelage peut se faire avant (solution préférée par la plupart des auteurs), pendant ou après le traitement orthodontique en une ou plusieurs étapes.
Selon Tuverson [3], cette coronoplastie comporte plusieurs phases :
• Le meulage de la pointe canine en fonction de sa relation avec son antagoniste permet le dégagement de l’incisive mandibulaire lors des mouvements mandibulaires et une diminution du caractère agressif de la canine. Cet acte est à réaliser le jour de la pose des attaches pour donner une indication précise pour leur positionnement en hauteur.
• La réduction du diamètre mésio-distal, particulièrement en distal où le contact ponctuel tend à devenir une surface de contact, peut se réaliser en cours de traitement.
• La convexité palatine de la canine est réduite pour reconstituer la pente incisive et permettre le désengrènement des dents postérieures. Cette adaptation se réalise au fur et à mesure que le traitement se déroule autorisant ainsi une adaptation occlusale précise.
Au niveau vertical, le collet des canines devra se situer à un niveau plus occlusal que celui de l’incisive centrale pour que celle-ci ne paraisse pas trop « courte » par rapport à sa voisine. Il faut donc égresser la canine et, de fait, réaliser un approfondissement identique de la face palatine pour que ce mouvement puisse se réaliser.
• La coronoplastie de la face vestibulaire est critiquée par certains parodontologistes car elle diminue la déflexion alimentaire donnée par le bombé de la dent et entraîne une potentialité de problèmes parodontaux. Si cet acte doit être réalisé, il est préférable que ce soit préalablement à la pose des attaches.
La réouverture des espaces est-elle un risque important dans cette solution thérapeutique ? Comment l’éviter ?
Si réouverture d’espace il y a, ce peut être dû :
– soit à un mauvais engrènement latéral de la première prémolaire faisant office de canine avec une poussée mésiale ;
– soit à un surcontact au niveau du groupe antérieur par les incisives mandibulaires.
Il est donc impératif lors de la suppression de l’appareillage de procéder, avant toute mise en place d’une contention, à une analyse occlusale précise et de réaliser les meulages nécessaires à une stabilité immédiate et à long terme.
La contention, de façon conventionnelle, passe par la mise en place d’un fil (matériau inerte) allant de la 13 à la 23 et de fils additionnels reliant 14-15 et 24-25. Une confection au laboratoire et un collage indirect assurent un excellent résultat. L’ajout d’une gouttière thermoformée peut être indiqué pour les plus inquiets.
Quelles sont les adaptations positionnelles que vous envisagez dans le cas de fermeture des espaces d’agénésies ?
Plusieurs critères doivent être respectés :
Au niveau de la molaire En cas de non-extraction à l’arcade mandibulaire, les rapports interarcades obtenus sont une classe I canine et une classe II molaire communément appelés « classe II thérapeutique ».
La classe II thérapeutique obtenue génère l’apparition d’interférences non travaillantes en latéralité : la cuspide mésio-palatine de la première molaire maxillaire entre en contact avec la cuspide mésio-vestibulaire de la première molaire mandibulaire.
Il faudra conserver les mésio-rotations des molaires maxillaires lors du traitement orthodontique et réaliser une équilibration occlusale poussée à chaque étape du traitement.
Au niveau de la canine
• Situation verticale Le collet des canines devra se situer à un niveau plus occlusal que celui de l’incisive centrale pour que celle-ci ne paraisse pas trop « courte » par rapport à sa voisine. Il faut donc égresser la canine et de fait réaliser une adaptation occlusale sur la face palatine.
• Inclinaison et position vestibulo-linguale L’épaisseur du « bord incisif » obtenu par meulage de la pointe canine et l’angle entre les faces vestibulaire et palatine (beaucoup plus ouvert pour la canine que pour l’incisive) conduisent à l’impossibilité de satisfaire parfaitement et simultanément :
– à l’impératif esthétique, en mettant la face vestibulaire de la canine en position de face vestibulaire d’incisive latérale (torque radiculo-palatin de la canine) ;
– à l’impératif fonctionnel en mettant la face palatine de la canine en position de face palatine d’incisive latérale (torque radiculo-vestibulaire de la canine).
L’importance du diamètre vestibulo-palatin de la canine par rapport à celui d’une incisive latérale contraint à aligner la face vestibulaire de la canine (après effacement) avec celles de l’incisive centrale et de la prémolaire (suppression de l’in-set latéral et apparition d’une bosse canine).
D’autre part, cette épaisseur rend parfois impossible, malgré la coronoplastie, un guidage antérieur sur cette dent ; ce qui contraindra à le rechercher sur la première prémolaire et à un moindre degré sur l’incisive centrale.
• Rotation axiale et angulation Une légère rotation en direction mésiale de la canine (5 à 10°) permet à la face vestibulaire de la canine d’être vue plus de face par un observateur, ce qui dissimule son galbe vestibulaire naturel.
On lui donne l’angulation normale d’une incisive latérale.
Un faible recouvrement « incisif » est nécessaire car si celui-ci est trop important, la canine mise en position de latérale sera vestibulée et le résultat esthétique médiocre.
Au niveau de la prémolaire
• Position verticale
La pointe cuspidienne de la prémolaire est descendue de 0,5 mm. Cela peut parfois créer une dysharmonie dento-parodontale par perturbation de la ligne des collets. Zacchrisson et al [4] suggèrent au contraire d’ingresser la prémolaire pour redonner à cette ligne une position égale à celle d’une canine ; la sous-occlusion engendrée étant gérée par une prothèse de compensation.
• Inclinaison vestibulo-linguale
Un mouvement de torque radiculo-vestibulaire de l’ordre de 7° sur la première prémolaire permet d’obtenir un contact de la cuspide vestibulaire de la première prémolaire avec l’embrasure première prémolaire-canine inférieure, offrant ainsi une pente de guidage suffisante au désengrènement des arcades dès le début des mouvements de latéralité de la mandibule.
L’élévation de la cuspide palatine qui en résulte, évitera de surcroît, une interférence éventuelle en latéralité non travaillante.
Ce mouvement n’est pas sans risque, à cause de la proximité de la table osseuse externe.
• Rotation axiale et angulation
Une légère rotation en direction mésiale (5 à 10°) déporte pour l’observateur la cuspide de la prémolaire en situation mésiale, ce qui est le cas de la cuspide d’une canine supérieure.
Elle permet également d’éviter la rencontre du point de contact distal de la canine avec le milieu de la face mésiale de la première prémolaire, ceci entraînant une rupture de la ligne des crêtes. La visibilité des faces mésiales des premières prémolaires donne un aspect désagréable au sourire.
Sur l’arc, il y aura donc une « bosse » prémolaire.
Au niveau des incisives centrales
Le contrôle en troisième ordre est crucial lors de la fermeture des espaces d’agénésies au risque d’entraîner un déficit esthétique. Tout mouvement de mésialage des secteurs latéraux entraîne une réaction de palatoversion des incisives maxillaires (effet de « rabitting »).
On se doit donc :
• de rajouter un torque actif de 5 à 10° si la section d’arc est sous dimensionnée par rapport à la gorge de l’attache ; • mieux, de choisir la section l’arc la plus en adéquation avec la gorge et de plus forte rigidité pour éviter le bowing effet mais cela entraîne une augmentation du frottement ; • encore mieux de choisir une technique bidimensionnelle avec un arc pleine taille dans la région antérieure et légèrement sous dimensionné en postérieur pour faciliter le déplacement (technique TGO®).
Merci beaucoup, Dr Le Gall de toutes ces informations.
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