100 ans d’évolution des matériaux dentaires

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°21 - 29 mai 2019
Information dentaire
Article analysé Bayne SC, Ferracane JL, Marshall GW, Marshall SJ, van Noort R. The evolution of dental materials over the past century : silver and gold to tooth color and beyond. J Dent Res 2019 ; 98 (3) : 257-265.

Tout comme L’Information Dentaire, le Journal of Dental Research a 100 ans cette année. à cette occasion, il nous propose dans cet article une rétrospective des principales évolutions des matériaux dentaires lors des 100 dernières années. Pour ses auteurs, le monde des matériaux dentaires a connu pendant cette période, plutôt qu’une évolution, une série de révolutions.

La première révolution concerne l’avènement des amalgames dentaires apparus à la fin du XIXe siècle qui ont permis la généralisation des restaurations directes selon les principes de Black. Si leur composition a peu changé jusqu’aux années 60, l’élévation de leur teneur en cuivre dans les années 70 a considérablement amélioré les propriétés de l’amalgame qui fut le matériau de restauration direct de toute la première moitié du siècle passé. Bien que leurs performances cliniques soient reconnues, ils sont désormais progressivement abandonnés, voire interdits, au profit des matériaux plus esthétiques, ainsi que pour des considérations écologiques liées à l’emploi du mercure.

La deuxième révolution des matériaux est esthétique grâce aux résines compo­sites
apparues dans les années 50. D’abord auto-polymérisables, les composites ne devinrent photo-polymérisables qu’à la fin des années 70 et se sont dès lors progressivement imposés. L’évolution constante de leurs compositions et propriétés depuis leur avènement est considérable. En améliorant leur composition, les résines composites sont devenues progressivement plus faciles à mettre en œuvre, plus esthétiques, plus faciles à polir. Ils présentent moins de contraintes de polymérisation et sont devenus plus résistants aux différents mécanismes de dégradation. Les résines composites microhybrides (années 90) puis nanohybrides (années 2000) sont les produits ultimes de toutes les performances acquises par ces matériaux. Ils existent désormais sous une multitude de viscosités (fluides ou compactables) pour répondre à une grande variabilité de situations cliniques. Depuis les années 2010, des composites dits « bulk-fill », plus sensibles à la photopolymérisation, peuvent remplir des cavités de 4 à 5 mm de hauteur en un seul incrément, avec une contraction de prise mieux maîtrisée, facilitant ainsi leur mise en œuvre clinique.

La troisième révolution est adhésive. C’est elle qui a permis le développement d’une dentisterie plus conservatrice sur le principe de l’économie tissulaire. La découverte du collage à l’émail grâce au mordançage acide en 1955 par Buonocore en est le point fondateur. Une cascade de découvertes pendant les cinquante années suivantes s’est focalisée sur l’amélioration des paramètres de mordançage, en particulier sur la dentine au cours des années 80. Elles concernent les caractéristiques des acides employés, les protocoles de mise en œuvre (« wet bonding » dentinaire), les prétraitements (microsablage…) et surtout l’évolution des adhésifs jusqu’à l’avènement de systèmes auto-mordançants en un seul flacon. Les dernières innovations en ce domaine concernent la prévention de l’endommagement de la couche hybride par les enzymes qui la détruisent, afin d’améliorer la pérennité du collage. L’adhésion ne concerne pas seulement l’interface avec la surface dentaire, mais aussi avec les surfaces d’autres matériaux. Ainsi, l’acide fluorhydrique ou le microsablage permet d’optimiser l’adhésion aux céramiques, aux composites et aux métaux en mettant également en jeu des agents de couplage comme les silanes, les molécules 4-méta ou MDP.

La quatrième révolution est celle des céramiques. Les céramiques feldspathiques, fragiles, ne se sont développées largement qu’à partir des années 60, lorsque l’on comprit qu’elles devaient être soutenues par une infrastructure de haute résistance marquant le développement populaire des procédés céramo-métalliques. Parallèlement, la quête du tout céramique a vu différents moyens de renforcer la structure en céramique, en utilisant de l’alumine notamment, d’abord à 40 % dans une matrice feldspathique, sans grand succès clinique, puis en développant une infrastructure préfrittée à 80 % d’alumine, secondairement infiltrée par un verre de lanthanum, puis à 100 % dans un procédé de CFAO développé dans les années 90, et permettant d’envisager des couronnes et des bridges postérieurs. À la fin des années 90, l’avènement de l’usinage de la zircone yttriée préfrittée permet la création d’infrastructures tout en céramique beaucoup plus solides et plus faciles à mettre en œuvre grâce à la CFAO. Les armatures zircone peuvent être recouvertes de vitrocéramiques cosmétiques pour un rendu plus esthétique ou être usinées monobloc pour les dents postérieures. De nouvelles formules ont été développées pour en améliorer la translucidité. En parallèle, le concept de restaurations adhésives en céramique, né dans les années 80, s’est considérablement développé depuis les années 90. Il repose sur l’adhésion d’une vitrocéramique de type feldspathique directement sur les tissus dentaires qui en assurent le soutien. Tout le principe repose sur la force de l’assemblage par l’intermédiaire d’une résine composite de collage capable d’adhérer fortement aux tissus dentaires mordancés et à la couche hybride, d’une part, et à la vitrocéramique mordancée à l’acide flurohydrique, d’autre part, par le biais d’un agent de couplage (silane). Ce concept, qui met en jeu les principales révolutions de ces 100 dernières années, consacre une dentisterie esthétique, pérenne et surtout économe en tissus dentaires pour des pertes de substances moyennes à importantes, des facettes aux restaurations coronopériphériques en passant par tous les types de restaurations partielles collées indirectes (onlays, overlays…). La résistance mécanique de la céramique employée fut considérablement améliorée par l’adjonction de disilicate de lithium à partir des années 90, permettant la réalisation d’infrastructures à stratifier pour de petits bridges soumis à de faibles contraintes ou d’éléments monobloc plus esthétiques que la zircone grâce à la translucidité du matériau. Ils sont aussi moins sensibles à l’écaillage et relativement faciles à produire.

Au-delà des matériaux de restauration, les auteurs évoquent d’autres matériaux favorisant la réparation des tissus dentaires endommagés. Le fluor est ainsi principalement employé sous différentes formes topiques pour reminéraliser les lésions amélaires initiales. Des recherches récentes visent à développer d’autres molécules innovantes à base de calcium, de caséine et de chitosan pour favoriser la reminéralisation de la dentine en profondeur. La transposition des résultats expérimentaux in vitro sur les caries reste très difficile compte tenu de la complexité du biofilm. D’autres axes de recherche prometteurs concernent l’introduction de désinfectants cavitaires et d’agents antimicrobiens dans les matériaux de restauration (résines composites ou verres ionomères). Parmi les découvertes en perspective, les auteurs envisagent des composites auto-adhésifs polymérisables sans limite d’épaisseur avec des propriétés antibactériennes empêchant le développement du biofilm, des matériaux bioactifs favorisant la réparation naturelle de petites lésions ou encore le remplacement de dents ou de la pulpe créées par ingénierie tissulaire. Ils imaginent aussi des matériaux intégrant des molécules capables de répondre « à la demande » à un problème potentiel comme signaler une perte d’étanchéité marginale permettant une intervention précoce en dentisterie mini-invasive grâce aux techniques d’infiltration. Du point de vue prothétique, ils envisagent de nouvelles céramiques capables de rivaliser avec la zircone en matière de résistance mais beaucoup plus esthétiques. Elles seraient mises en forme au cabinet par des procédés numériques additifs incorporant une gestion de la couleur par implantation ionique personnalisée. Par ailleurs, les implants en zircone permettraient, selon les auteurs, un design plus esthétique que les implants en titane, avec une résistance mécanique comparable et une tolérance biologique accrue.

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