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Information dentaire

Réalités Cliniques n°3 - 15 septembre 2024

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Edito

Dysfonctionnements temporo-mandibulaires : Priorités pour la recherche et les soins Les dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) regroupent un ensemble hétérogène de plus de 30 troubles musculosquelettiques, dont le diagnostic et la prise en charge ont suscité de nombreuses controverses. Afin de clarifier ces désaccords et de proposer des recommandations concrètes, l’Académie Nationale de Médecine des États-Unis (U.S. National Academy of Medicine) a lancé en janvier 2019 une étude exhaustive visant à évaluer les...

Dysfonctionnements temporo-mandibulaires : Priorités pour la recherche et les soins

Les dysfonctionnements temporo-mandibulaires (DTM) regroupent un ensemble hétérogène de plus de 30 troubles musculosquelettiques, dont le diagnostic et la prise en charge ont suscité de nombreuses controverses. Afin de clarifier ces désaccords et de proposer des recommandations concrètes, l’Académie Nationale de Médecine des États-Unis (U.S. National Academy of Medicine) a lancé en janvier 2019 une étude exhaustive visant à évaluer les connaissances actuelles et les pratiques cliniques concernant les DTM. Quinze mois plus tard, cette initiative a abouti à la publication d’un rapport complet et impartial intitulé Temporomandibular Disorders: Priorities for Research and Care (“Dysfonctionnements temporo-mandibulaires : Priorités pour la recherche et les soins”), composé de plus de 400 pages en accès libre 1.

Bien que le rapport se concentre principalement sur la situation aux États-Unis, sa portée est internationale, et les conclusions sont applicables à la plupart des pays, y compris la France. En effet, à titre d’exemple, dans le Livre Blanc sur la Douleur publié par la Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD) en 2017, seulement dix consultations de douleurs orofaciales étaient recensées en France (principalement dans les hôpitaux universitaires), ce qui représente moins d’un praticien pour 1 000 en exercice 2.

Pour saisir l’importance de ce document majeur, il convient de passer en revue les onze principales recommandations, qui préconisent une approche multidisciplinaire et interprofessionnelle, intégrant divers spécialistes de la communauté médicale élargie.

• Les recommandations 1 à 4 visent à établir un consortium national de recherche sur les DTM, à définir des priorités pour la recherche fondamentale, translationnelle et en santé publique, et à renforcer la recherche clinique. Ces domaines forment la base pour améliorer les soins centrés sur le patient.

• Les recommandations 5 à 7 cherchent à améliorer la qualité des soins pour les patients atteints de DTM grâce à une meilleure évaluation des risques, des diagnostics plus précis, une diffusion plus large des directives cliniques, ainsi qu’un meilleur accès aux soins et aux remboursements. L’objectif ultime est d’établir des lignes directrices cliniques pour la gestion des DTM.

• Les recommandations 8 à 10 se concentrent sur le traitement des patients, notamment la création de centres d’excellence pour les DTM et les douleurs orofaciales (Recommandation 8), l’amélioration de la formation initiale des professionnels de santé (Recommandation 9) et l’élargissement de la formation continue spécialisée (Recommandation 10). Un élément clé est l’intégration des DTM dans les programmes des facultés de chirurgie dentaire et le développement d’un modèle de soins multidisciplinaires s’appuyant sur des connaissances en médecine, odontologie, physiothérapie, thérapies psychologiques et d’autres domaines de la santé.

• La recommandation 11 met l’accent sur l’éducation des patients et la sensibilisation aux DTM, tout en réduisant la stigmatisation entourant ces affections. Des supports éducatifs améliorés, tels que des brochures, des vidéos et des ateliers virtuels, sont essentiels pour mieux informer les patients sur la gestion des DTM, l’accès à des traitements de qualité et la lutte contre la stigmatisation.

Le rapport met également en lumière les lacunes actuelles dans les connaissances et le traitement des DTM au sein de la profession dentaire. Sur le plan clinique, les constats sont souvent négatifs, reflétant les difficultés que rencontrent les patients pour accéder à des soins appropriés : une pénurie de prestataires de soins capables de comprendre la complexité de l’appareil manducateur, d’appliquer des pratiques fondées sur des preuves et de respecter le principe de « primum non nocere » (“d’abord, ne pas nuire”).

En outre, le rapport critique sévèrement certaines pratiques cliniques qui persistent malgré leur réfutation par des preuves scientifiques substantielles. Ces idées fausses, propagées par certaines organisations ou professionnels, peuvent être regroupées en deux catégories :

- Le premier groupe prétend que les « déséquilibres » occlusaux sont la cause des DTM et prône la modification de l’occlusion comme traitement principal. Un examen approfondi des preuves montre, une fois encore, que ni les experts du rapport ni les évaluateurs externes ne trouvent de soutien scientifique à cette hypothèse.

- Le second groupe promeut des protocoles diagnostiques et thérapeutiques basés sur des méthodes électrophysiologiques non prouvées. Une large revue de la littérature a révélé que les DTM partagent de nombreuses similitudes avec d’autres troubles douloureux aigus et chroniques, soulignant que la pratique dentaire est en retard par rapport à la médecine dans sa compréhension et son intégration des principes modernes de gestion de la douleur.

En conclusion, nous encourageons vivement les enseignants, chercheurs, cliniciens et patients intéressés par les DTM à lire attentivement « Temporomandibular Disorders: Priorities for Research and Care ». Ce document se distingue par sa portée, son analyse critique de l’état actuel de la prise en charge des DTM, et sa vision pour l’évolution nécessaire des pratiques. Ces objectifs sont réalisables grâce à une combinaison de science rigoureuse et de politiques de santé réfléchies.

Pour encourager ce changement, ce numéro spécial de Réalités Cliniques invite les lecteurs à adopter l’approche actuelle fondée sur les preuves pour la gestion des DTM.

1. National Academies of Sciences Engineering and Medicine. Temporomandibular Disorders: Priorities for Research and Care. Washington, DC: The National Academies Press; 2020. https://www.nap.edu/catalog/25652/temporomandibular-disorders-priorities-for-research-and-care. 2. Moreau N, Boucher Y. A-t-on perdu la tête ? Plaidoyer pour l’étude et la prise en charge des douleurs orofaciales. Douleur Analg. 2022;35(1):43-5.

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