Éditorial
Open your mind par Madline Cuny
Aparté
« L’éditorial auquel vous avez échappé » par Sarah Chauty
Actualités
par Nicolas Fontenelle
Revue de presse scientifique
par Carole Charavet
Rencontre avec Hélène Gil
L’infraclusion : point de vue du kinésithérapeute
« Notre rôle est d’obtenir une maturation neuromusculaire au repos et, également, durant la fonction »
Propos recueillis par Sarah Chauty
Infraclusion antérieure
Gestion orthodontique des infraclusions antérieures
Laurent Delsol et Stéphane Barthelemi
Traitement orthodontique de l’infraclusie : que pouvons-nous attendre des ancrages osseux ?
Adam Aïfa, Olivier Sorel et Sarah Chauty
Fermeture de béance antérieure : quand la psychologie réoriente le protocole ortho-chirurgical initialement prévu
Guillaume Lecocq
Contention de l’infraclusion : vers de nouvelles approches
Sarah Chauty, Mélanie Gremeret et Vanessa Valran
Adapter sa stratégie thérapeutique aux caractéristiques de l’infraclusion antérieure
Marie-José Boileau
Open your mind
Madline CUNY,
Spécialiste qualifiée en odf, maître de conférences, nantes, pratique libérale, Orvault
Merci tout d’abord à Marie-José et à Sarah de m’avoir fait confiance pour cet édito consacré au second numéro de la revue sur l’infraclusion.
On parle de béances, mais en fait, elles sont multiples. Il y a la béance initiale « franche » d’origine squelettique ou fonctionnelle diagnostiquée lors du premier examen. Il y a la béance « dormante » qui se réveille lors des premières phases du traitement et qui nous oblige à la contenir jusqu’à la fin. Il y a la béance « traîtresse » qui se révèle durant la phase de contention alors qu’on était fier de notre résultat. Enfin, il y a la béance « embarrassante » qui apparaît des années après la fin de traitement !
Aucune de ces béances n’est l’amie de l’orthodontiste, qui mène sa quête de l’occlusion parfaite, du guide antérieur et des clés d’Andrews.
Nous réalisons tous dans notre exercice quotidien que, nous avons beau maîtriser notre biomécanique, nous soignons avant tout des êtres vivants, tous différents, qui répondent de façon variée à nos protocoles de soins établis avec rigueur. En fait, chez l’humain, le problème, c’est le multifactoriel.
Quand nous pensons maîtriser la croissance osseuse, c’est la langue qui vient contrecarrer nos objectifs. Quand nous établissons une occlusion parfaite, tout à coup, c’est la croissance résiduelle qui s’exprime et met à mal notre travail. Et quand le cadre anatomique et fonctionnel nous est favorable, c’est le patient qui décide de ne pas coopérer !
Bref, nous avons beau donner le meilleur de nous-mêmes, cela ne nous garantit pas toujours le contrôle de tous les facteurs, qu’ils soient osseux, dento-alvéolaires, physiologiques ou psychologiques. Il n’existe pas de recette « evidence-based practice » qui s’applique à chacun de nos patients, pris dans leur individualité.
Face à ce constat, il est à mon sens impératif de garder l’esprit ouvert à toutes les thérapeutiques à notre disposition pour gérer au mieux ces infraclusions diverses. C’est pourquoi ces deux numéros consacrés au traitement des béances semblent si pertinents. Même au XXIe siècle, il faut savoir rester humble quant à notre capacité de corriger de façon définitive une malocclusion, tout en se voulant ambitieux dans le choix des thérapeutiques nous permettant d’atteindre ce noble objectif.
Quelles que soient nos affinités, nos philosophies et nos conceptions thérapeutiques, le premier principe devrait être de « ne jamais dire jamais ».
Ne jamais dire jamais à la chirurgie, aux extractions, aux minivis, à l’orthopédie, à la rééducation fonctionnelle… Il ne faut jamais exclure aucune spécialité ou technique, même celle qui semble loin de notre domaine de compétence ou de notre mode d’exercice habituel. Notre rôle est de trouver le traitement adapté à notre patient et pas le traitement qui plaît au praticien.
La pandémie, la guerre en Ukraine nous ont prouvé que tout peut arriver du côté obscur. À nous de croire que tout peut fonctionner aussi du côté positif de la force orthodontique.
Gardons donc l’esprit ouvert, ne critiquons pas les diverses approches face à un même problème, et bonne lecture à tous !
“L’éditorial auquel vous avez échappé” Monologue
Sarah Chauty,
Spécialiste qualifiée en ODF, maître de conférences, Lyon – coordinatrice du numéro
n entrant dans ce cabinet d’orthodontie, elle n’avait pas immédiatement compris ce qui l’attendait. Certes, Damien semblait mi-inquiet, mi-intrigué, mais la maman de Damien paraissait confiante, comme galvanisée par toutes ces mamans de l’école qui avaient dit le plus grand bien de ce Docteur. De son côté, elle avait envisagé que le Docteur parlerait des dents, mais elle ne se doutait pas qu’il parlerait d’elle !
En première impression, ce Docteur lui avait paru sympathique. Elle le vit de plus près quand Damien ouvrit grand la bouche par-delà la barrière de ses dents. Le Docteur approcha et examina les dents de Damien et déclara, telle une sentence, que Damien avait une béance. Il demanda si Damien avait sucé son pouce. Il fallait voir comme la maman de Damien s’empressait de répondre au Docteur. Une bonne élève.
C’est quand le Docteur commença à la manipuler et à critiquer son physique qu’elle se vexa. Rien ne convenait à ce Docteur : elle était molle — oui, il avait dit « molle » ! —, pas suffisamment tonique, son frein était trop court et sa déglutition était infantile. Et puis, quand il lui fit répéter « Mississippi », la prononciation ne convenait pas au Docteur. Et, là, elle sentit monter une colère. Pour qui se prenait-il, ce Docteur ? Est-ce qu’elle le critiquait, elle, pour son physique ? Avait-elle dit quelque chose contre son grand nez ? ses lunettes colorées ridicules ? ri-di-cules ! Elle pouvait avoir une langue de vipère !
Oui, elle était un peu molle, oui, elle manquait de tonicité. Mais c’était notre lot à tous, n‘est-ce pas ? Et puis, à qui la faute ? C’était trop facile de tout lui mettre sur le dos ! Évidemment, elle aurait dû faire de l’exercice, mais on est tous pareils, on se plaît à végéter, tout alangui. Elle avait encore la nostalgie de l’enfance, quand Damien suçait son pouce. C’est vrai qu’elle avait pris des habitudes, étendue doucement contre ses dents, caressée par le pouce. Mais Damien n’avait qu’à arrêter plus tôt de sucer son pouce aussi ! Elle avait étendu son territoire, déplaçant d’année en année les dents vers l’extérieur, ouvrant l’espace – ce que le Docteur avait appelé « la béance ». Après tout, qui pouvait lui reprocher d’avoir voulu, elle aussi, plus d’espace, plus de vue ? Désormais, en repoussant les dents, elle voyait en permanence ce qui se passait à l’extérieur, pas comme toutes ces langues coincées derrière les dents qui semblaient avoir honte de leur propriétaire. Elle s’était battue pour sa dignité, pour être une langue visible et fière.
Maintenant, le Docteur avait décidé qu’il fallait qu’elle soit « rééduquée ». Enfin, il s’était repris, qu’elle soit « éduquée ». Quand Damien avait demandé de sa voix candide : « Pourquoi ? elle est mal élevée ? », cela avait fait sourire le Docteur qui avait répondu « C’est un peu ça » avec l’air satisfait d’une plaisanterie que lui seul comprenait. C’est ainsi que le Docteur avait fini de l’agacer.
Le Docteur avait terminé le rendez-vous en expliquant qu’il faudrait « rétablir le cadre anatomique » — il avait sûrement utilisé des mots savants pour impressionner la maman de Damien ! — et avait prescrit des séances de rééducation. C’est là qu’elle avait paniqué : des séances de rééducation ? Elle allait être condamnée aux travaux forcés ? au bagne ? avec un boulet accroché tel un piercing, et une tenue rayée noir et jaune comme les forçats au pénitencier ?
Et puis la rééducation avait commencé au cabinet d’une certaine Hélène. Au début, elle reproduisait de mauvaise grâce les exercices qu’Hélène prescrivait. Et puis, elle s’était prise de sympathie pour cette Hélène que Damien semblait, lui aussi, apprécier. Maintenant que les séances de rééducation se succédaient, elle finissait par s’avouer qu’elle retrouvait la ligne, qu’elle semblait plus élancée. Elle reprenait confiance en elle. Elle se surprenait à s’entraîner même quand Hélène ne la regardait pas. Elle découvrait que se positionner contre le palais, finalement, avait du bon et que les rapports avec les dents devenaient plus harmonieux, plus doux, plus délicats… et qu’elle aimait ça. Les mots s’enchaînaient de façon plus nette dans la bouche de Damien et — qui l’eut cru ? — elle en était fière.
Enfin, la date du rendez-vous avec le Docteur était arrivée. Elle exultait, elle triomphait en entrant dans le cabinet. Elle avait hâte de montrer au Docteur comment elle était devenue, comme elle avait changé ! Elle lui prouverait, à ce Docteur, que désormais, elle avait le verbe haut et la parole facile ! Grâce à elle, Damien deviendrait un grand Damien !