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Information dentaire

L'Information Dentaire n°12 - 26 mars 2025

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Edito

Réfléchir avant d’agir Le diagnostic de cette seconde molaire maxillaire est assez clair. La dent bouge, le rapport racine clinique/couronne clinique est défavorable et cette dent va être le support d’un crochet. Décision thérapeutique : ces paramètres factuels placés dans l’arbre décisionnel nous conduisent à la conclusion rationnelle : la molaire doit être extraite. Lorsque j’annonce la sentence à ma patiente, elle m’interroge : « Docteur, ne pourrait-on...

Réfléchir avant d’agir

Le diagnostic de cette seconde molaire maxillaire est assez clair. La dent bouge, le rapport racine clinique/couronne clinique est défavorable et cette dent va être le support d’un crochet. Décision thérapeutique : ces paramètres factuels placés dans l’arbre décisionnel nous conduisent à la conclusion rationnelle : la molaire doit être extraite. Lorsque j’annonce la sentence à ma patiente, elle m’interroge : « Docteur, ne pourrait-on pas la conserver le plus longtemps possible ? Elle me rend bien service. » Je réfléchis et me dis qu’en effet la conservation de cette dent influence peu la thérapeutique. Je réponds donc favorablement à sa demande, en me disant qu’à court ou moyen terme, il sera toujours temps d’ajouter cette dent sur sa prothèse amovible.

Cette situation, vécue, se déroulait en 2005. Et en février 2025, le vœu de la patiente de conserver sa dent était toujours exaucé. Sa motivation à conserver sa dent, ce facteur émotionnel confronté à ma synthèse rationnelle des facteurs cliniques, a conduit à une décision thérapeutique qui lui correspondait. En 2013, un article* très intéressant concluait par ces mots : « En raison du fait que l’évaluation précise du pronostic dentaire est toujours (et pourrait à jamais rester) indisponible, une approche plus humble et moins agressive devrait être adoptée, en essayant de préserver davantage et d’extraire moins. »

Dans le cadre d’une réflexion thérapeutique, les arbres décisionnels prenant en compte des facteurs cliniques objectifs sont des éléments diagnostiques importants, que l’Intelligence Artificielle va pouvoir synthétiser, affiner pour le praticien. Son aide sera précieuse pour croiser différents éléments et proposer un diagnostic et une orientation de traitement. Mais parallèlement à ces facteurs pronostiques objectifs, il existe des paramètres subjectifs. Le patient ou la patiente sont des facteurs subjectifs dans leur façon de participer à leur traitement, par exemple leur capacité à suivre une maintenance. La philosophie thérapeutique de la praticienne ou du praticien est aussi un facteur subjectif contribuant au pronostic, à l’orientation thérapeutique. Ces facteurs subjectifs sont plus difficiles à appréhender par des classifications ou par l’Intelligence Artificielle (pour le moment) car ils font appel aux émotions. L’Intelligence Artificielle va constituer une fabuleuse aide dans de multiples domaines si elle n’entraîne pas l’homme à perdre sa capacité à réfléchir. Car la réflexion teintée par l’émotion reste la part humaine de la décision.

*Halperin-Sternfeld M, Levin L Do we really know how to evaluate tooth prognosis? A systematic review and suggested approach. Quintessence Int. 2013 May;44(5):447-56.

Michel Bartala, Rédacteur en chef

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Édito

Réfléchir avant d’agir
Michel Bartala

Avant-Propos

L’intelligence artificielle, cet autre… cet enfer I LIRE CI-DESSOUS
Maxime Ducret

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Avant-Propos

L’intelligence artificielle, cet autre… cet enfer ?

« L’enfer, c’est les autres. » À première vue, cette célèbre phrase de Jean-Paul Sartre semble réduire notre rapport à autrui à des expériences infernales. En réalité, elle met en lumière notre rapport complexe aux autres : nous avons besoin d’eux pour construire notre propre identité, même si leurs regards nous exposent aussi à leurs jugements.

Quel est le lien avec l’Intelligence Artificielle (IA) et notre profession ? Patience, j’y viens.

L’IA, cette création humaine capable de simuler des pensées, des actions et même des émotions, devient en quelque sorte « un autre », un interlocuteur à part entière. Cette humanisation de la machine ébranle notre perception de nous-mêmes et interroge ce qui fait notre singularité en tant qu’êtres humains.

Cette question devient encore plus concrète lorsqu’il s’agit d’intégrer l’IA dans notre pratique professionnelle au quotidien avec les patients. Historiquement fondée sur un échange à deux, cette relation patient-praticien se transforme aujourd’hui avec l’IA en un trio inédit. Après avoir abandonné le modèle paternaliste, nous devons maintenant informer nos patients de la présence de cette entité lors des soins, accepter qu’elle nous challenge, voire qu’elle remette en question notre expertise clinique. Pire encore, elle capte parfois la confiance de nos patients, qui se laissent séduire par cette technologie perçue à tort comme infaillible.

Alors, comment éviter que l’IA ne devienne un enfer professionnel ? Sartre nous apporte une piste avec l’existentialisme : nous avons la liberté de choisir et de nous construire à travers nos propres décisions. L’enjeu pour notre profession sera donc de déterminer comment intégrer l’IA, cet autre, dans notre métier, tout en préservant notre identité et notre humanité.

Ce numéro spécial sur l’Intelligence Artificielle s’inscrit dans cette philosophie, en invitant chaque praticien à saisir l’importance du moment que nous vivons, pour se préparer à faire les bons choix et s’éviter un avenir où l’automatisation prendrait le pas sur l’essence même de notre profession.

Maxime Ducret, Coordinateur scientifique