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Du bruxisme sans contacts occlusaux : quelle idée bizarre !
Jean-Daniel Orthlieb
Quelle idée bizarre que d’inclure dans le bruxisme des parafonctions orales sans contacts occlusaux !
Depuis une dizaine d’années, il est devenu classique de répéter la définition du bruxisme proposée par Lobbezoo et al en 2013 : « Le bruxisme est une activité manducatrice répétitive, caractérisée par le serrement ou le grincement des dents et/ou des hyperactivités mandibulaires sans contacts occlusaux (« bracing » ou « thrusting ») » [1].
On a eu du mal à comprendre ce que voulaient dire les termes intraduisibles de « bracing » et de « thrusting ». Les auteurs expliquent que, selon le dictionnaire médical de Dorland, le premier signifie « maintenir des pièces ensemble ou en place » ou « rendre quelque chose de rigide ou stable », tandis que le second est décrit comme « un mouvement soudain et puissant ». Rapporté à l’appareil manducateur, le « bracing » pourrait être interprété comme le maintien forcé d’une certaine position mandibulaire et le « thrusting » comme le déplacement forcé de la mandibule dans une direction vers l’avant ou latéralement – les deux activités s’exercent sans la présence nécessaire de contacts occlusaux [1].
Notons que ces deux termes sont déjà utilisés dans un article de 2010 [2].
La définition de 2013 est devenue très à la mode. Jusqu’à voir écrit très récemment : « Le bruxisme d’éveil s’exerce le plus souvent sous la forme d’un « bracing » mandibulaire ou bruxisme sans contact entre les dents » [3].
Dans une étude de 2023, le « bracing » mandibulaire apparaît comme le phénomène le plus courant dans le groupe Dysfonctionnement Temporo-Mandibulaire (DTM), tandis que le contact occlusal, le serrement et le grincement des dents ne diffèrent pas entre les groupes DTM et non-DTM [4]. Le bruxisme serait impliqué dans les DTM, mais à condition qu’il s’agisse d’un bruxisme sans affrontement occlusal. C’est curieux, peut-être intéressant, surtout si cela ne s’appelait pas du bruxisme. Soulignons que les mêmes auteurs éprouvent le besoin de redéfinir le « bracing » comme « le serrement des mâchoires sans contact avec les dents : état de raideur ou de tension des muscles masticateurs semblable au serrement des dents mais avec les dents séparées » [4].
Malgré ces explications, les postures mandibulaires de « bracing » et de « thrusting » restent assez obscures. Mais, surtout, quel est l’intérêt d’ajouter cette source de complication ? Pour un chirurgien-dentiste comme moi, la problématique clinique essentielle du bruxisme réside dans la majoration des affrontements occlusaux, et donc dans le risque qu’ils pourraient représenter pour les dents naturelles ou artificielles du patient.
Il existe de nombreuses parafonctions orales (dans lesquelles on inclut le bruxisme), dont la grande majorité s’exercent sans affrontements occlusaux.
« La science, c’est mesurer ce qui est mesurable et rendre mesurable ce qui ne l’est pas encore » disait Galilée ; certes, mais la science c’est aussi classer, définir.
Le bruxisme est l’une des parafonctions orales.
• Définition des parafonctions orales : activités orales non nutritives, non directement fonctionnelles, liées à des hyperactivités musculaires comprenant [5] :
– ventilation orale ;
– dysfonction linguale ;
– pression orale : langue, lèvres, joues, succion ;
– morsure : joues, lèvres, objets divers ;
– mâchonnements : chewing-gum, onychophagie, objets divers ;
– bruxisme.
• Définition du bruxisme : parafonction orale caractérisée par des contacts occlusaux directs résultant d’hyperactivités motrices orales non nutritives, répétitives, involontaires, le plus souvent inconscientes. On distingue des formes d’éveil ou de sommeil avec serrement, balancement, grincement ou tapotement [5] : il est important de distinguer le bruxisme primaire du bruxisme secondaire en rapport avec une maladie avérée, neurologique ou psychiatrique, ou effet secondaire de drogues ou de médicaments.
Pourquoi inclure « bracing » et « thrusting » dans le bruxisme ? Pourquoi alors ne pas inclure également le dysfonctionnement lingual, la succion du pouce, le mâchonnement des joues, des lèvres, de chewing-gum, etc. ? Dans l’état actuel de mes connaissances, cela me semble vraiment une idée bizarre ! Mais je suppose que, probablement, des éléments scientifiques supérieurs m’ont échappé et que mes insuffisances seront rapidement comblées par des collègues bien informés.
1. Lobbezoo F, Ahlberg J, Glaros AG, Kato T, Koyano K, Lavigne GJ, de Leeuw R, Manfredini D, Svensson P, Winocur E. Bruxism defined and graded: An international consensus. J Oral Rehab 2013;40(1): 2-4.
2. Cairns B, List T, Michelotti A, Ohrbach R, Svensson P. JOR-CORE recommendations on rehabilitation of temporomandibular disorders. J Oral Rehab 2010;37:481-9.
3. Bracci A, Lobbezoo F, Häggman-Henrikson B, Colonna A, Nykänen L, Pollis M, Ahlberg J, Manfredini D, International Network For Orofacial Pain And Related Disorders Methodology INfORM. Current Knowledge and Future Perspectives on Awake Bruxism Assessment: Expert Consensus Recommendations. J Clin Med 2022;11(17):5083. 1-11.
4. Câmara-Souza MB, Bracci A, Colonna A, Ferrari M, Rodrigues Garcia RCM, Manfredini D. Ecological Momentary Assessment of Awake Bruxism Frequency in Patients with Different Temporomandibular Disorders. J Clin Med 2023;12(2):501-7.
5. Orthlieb JD, Duminil G. Bruxisme : définition, classification, prevalence. In «Le bruxisme, tout simplement » G. Duminil, JD. Orthlieb, édition Information dentaire, Paris 2015.