État des connaissances actuelles
À la fin des années 2000, de nouvelles perspectives furent proposées, modifiant de manière significative notre approche « classique » peu conservatrice du traitement des lésions d’usure (2-7).
Plusieurs classifications ont été proposées, mais la plus pertinente permet d’adapter la nature et le design des restaurations à la perte tissulaire observée ; cette dernière appelée ACE par ses auteurs (8), devient un outil clinique pour le praticien afin de corréler le niveau de destruction tissulaire (important, moyen, faible) à un type de restauration spécifique dans une approche prévisible et reproductible
Ainsi, les concepts de traitements innovants faisant appel aux dernières avancées dans le domaine de l’adhésion et des biomatériaux (procédé de fabrication CAD CAM à base de bloc de céramique ou de composite, céramique pressée, simplification du processus de réalisation des restaurations) permettent d’optimiser les performances mécaniques et esthétiques des restaurations. En effet, l’avènement de cette dentisterie adhésive a profondément bouleversé le mode de pensée du praticien : la dent et la préservation tissulaire deviennent le centre de nos préoccupations en lieu et place de la nécessité d’adapter celles-ci au cahier des charges des matériaux. La biologie devient enfin le pilier essentiel de cette nouvelle ère (9).
Le projet esthétique et fonctionnel
La nouvelle DVO
L’analyse clinique (fig. 1 à 7)
Dans les cas d’usure, le repositionnement des futurs bords libres des 2 incisives centrales par ajout de composite à main levée est une étape simple, mais importanteafin de communiquer au laboratoire le repère le plus précieux pour la construction du nouveau sourire par le biais du wax up. Pour cela une empreinte des nouvelles proportions est réalisée ainsi que son antagoniste. Une fois les bases esthétiques posées, il est primordial de créer les conditions fonctionnelles nécessaires au rallongement du bloc incisivo-canin afin d’assurer la pérennité des futures restaurations.
Pour cela, le recours à l’augmentation de la DVO est une des options les plus répandues. Afin de quantifier le besoin de l’augmentation, on reconstruit avec le même procédé que pour les bords libres, les faces palatines des incisives centrales. Plus l’usure est avancée, plus l’apport sera important. On vérifie alors la simultanéité des contacts des deux incisives puis l’espace créé sur les dents adjacentes avec leurs antagonistes pour éviter des reconstructions trop volumineuses toujours déplaisantes pour le patient. Le patient n’est pas manipulé et ferme plusieurs fois de manière à vérifier le bon positionnement. On vérifie alors l’espace créé entre les deux arcades. Celui-ci doit correspondre à l’épaisseur de la pièce souhaitée.
Chez la majorité des patients présentant une usure marquée, il est rare de noter une dysharmonie faciale, en raison d’une égression compensatrice des process alvéolaires supports des dents usées.
L’augmentation de la DVO est presque exclusivement motivée par la biologie. En effet, l’espace ainsi créé se substitue à la réduction tissulaire.
Le troisième élément indispensable à la communication avec le laboratoire est l’enregistrement des références esthétiques du visage (ligne bipupillaire et axe médian) afin de les retranscrire sur le modèle de travail. Pour cela, un dispositif du nom de Ditramax est utilisé (10, 11).
La réalisation du wax up
Une fois toutes ces informations collectées, le prothésiste peut procéder à l’élaboration du wax up et reconstruire dans l’espace défini la morphologie perdue. Un wax up complet des deux arcades est alors réalisé. Il va permettre de matérialiser le volume à recréer. L’un des écueils les plus fréquents est le transfert de ce dernier en bouche.
Reconstruction de la morphologie perdue et de l’esthétique : le mock up esthétique et fonctionnel
Classiquement, on faisait appel à une clé en silicone complète incluant une surface palatine la plus large possible pour la stabilisation. Cependant il n’existe pas de butée d’enfoncement précise lors de l’insertion de la clé en silicone. Récemment, l’apport du digital a simplifié de manière significative cette dernière étape. En effet le wax up est scanné afin de disposer d’une empreinte 3D. Une fois scanné, un logiciel permet d’apposer une couche d’épaisseur calibrée sur le nouveau relief occlusal comme si on positionnait virtuellement une gouttière. Celle-ci est ensuite fabriquée par une imprimante 3D puis rebasée à l’aide d’un silicone light afin d’optimiser la friction et la précision de la gouttière lors de son insertion en bouche. Cette gouttière en résine rigide est alors essayée en bouche puis remplie par une résine Bis-GMAfluide (Luxatemp star DMG) afin d’être placée en bouche (fig. 8).
Son insertion est simple, précise. L’occlusion est alors vérifiée afin de valider l’intégration fonctionnelle du mock up. Ce dernier préfigure de manière très précise la nouvelle occlusion dans la nouvelle DVO ainsi que la ligne du sourire (fig. 9).
Planification thérapeutique lors de la réhabilitation complète des deux arcades une fois le mock up fonctionnel validé :
– traitement de l’arcade maxillaire avec préparation guidée à travers le mock up au niveau antérieur et postérieur. Le mock up mandibulaire sert d’antagoniste.
– collage de l’arcade maxillaire et préparation guidée à travers le mock up au niveau mandibulaire.
– collage de l’arcade mandibulaire.
La dentisterie guidée : une nécessité pour le praticien
L’idée directrice est d’utiliser le mock up esthétique et fonctionnel comme un guide de préparation aussi bien pour les facettes vestibulaires que pour les tables tops occluso-postérieurs.
Deux questions majeures se posent alors :
– quelle profondeur de préparations pour nos restaurations postérieures ?
– quelles formes de préparation ?
Dans les réhabilitations de denture usée, il est important de souligner le caractère novateur des préparations en raison de leur approche moderne. La reconstruction est souvent additive et l’espace existant entre le volume initial et le volume final est déjà existant.
Les préparations antérieures
Toujours soucieux de réduire l’extension de nos préparations ainsi que le coût biologique (12) différentes techniques ont été proposées. Les préparations pour facettes vestibulaires sont aujourd’hui parfaitement codifiées ; en effet elles font appel à l’utilisation d’un mock up qui sert de guide de préparation. Ainsi, la fraise dont le calibrage est connu peut pénétrer à travers le mock up afin de créer l’espace nécessaire pour la future restauration et garantir la réduction tissulaire nécessaire (fig. 10) (13-17).
Cette technique proposée au début des années 2000 a connu un grand succès en raison de sa pédagogie et a ouvert une nouvelle voie dans la démocratisation des facettes en céramique. Dans le cas clinique présent, une variante de cette approche moderne a été utilisée afin d’optimiser la réduction tissulaire au niveau du secteur postérieur. En effet, aujourd’hui les techniques de pénétrations contrôlées à partir d’un mock up sont parfaitement maîtrisées dans le secteur antérieur.
Les préparations postérieures
Quelle profondeur de pénétration ?
Il a été proposé d’utiliser la méthode des préparations à partir du mock up antérieur pour l’adapter aux préparations postérieures ; en effet, une fois le mock up réalisé en bouche, stabilisé puis validé, il semble plus opportun de le maintenir en place au stade des préparations afin de réaliser une réduction homothétique à ce dernier en utilisant une fraise boule de diamètre connu et placée à l’horizontale de manière à bénéficier d’une butée d’enfoncement par l’intermédiaire de son mandrin.
Ainsi, différentes rainures (au nombre de 3) doivent être réalisées (versant interne de la cuspide vestibulaire, sillon central, versant interne cuspide palatine) (fig. 11, 12, 13).
De ce fait, le clinicien dispose de l’information la plus précieuse afin d’éviter toute surpréparation.
Lors de la réalisation de ces rainures il est important de ne pas empiéter sur les régions proximales afin d’optimiser les préparations sur le plan biologique et biomécanique.
Quelles formes de préparations
pour les restaurations postérieures ?
Il faut préciser qu’étant donné la faible épaisseur des préparations, celles-ci peuvent être réalisées dans une majorité de cas sans pratiquer d’anesthésie.
Les restaurations partielles collées ont vocation à protéger la dent, mais aussi à recréer l’anatomie occlusale initiale qui autorisera l’augmentation de la DVO.
Pour y parvenir, plusieurs options thérapeutiques ont été proposées au cours des années.
Initialement, la couronne périphérique fut pendant longtemps la solution de choix pour remplir ce cahier des charges ; ne répondant plus aux impératifs biologiques modernes cette solution est aujourd’hui rarement retenue.
Les overlays en céramique ou en composite de laboratoire ont été proposés ces dernières années et présentaient l’avantage d’une moindre mutilation tissulaire avec des limites périphériques très simples et bien au-dessus de la JEC des marges habituelles. Cependant, ces derniers présentaient et continuent de présenter un inconvénient majeur, à savoir la destruction des crêtes proximales afin d’assurer l’assise mécanique et de respecter les recommandations des fabricants. Des épaisseurs importantes de réduction de l’ordre de 1 à 1, 5 mm étaient requises. Malgré le strict respect de ces dernières, il a été observé sur des suivis à moyen et long terme des fractures de cosmétique ou de matériau dans la région proximale (chiping). L’avènement des technologies CAD CAM ou des techniques de céramique pressée a sensiblement modifié ces carences mécaniques en raison d’une plus grande densité du matériau (fraisage à partir d’un bloc de céramique ou de composite) et du recours à un simple maquillage de surface.
Afin de mieux coller aux réalités biologiques et de respecter encore plus les structures résiduelles, il devient possible de réaliser des préparations a minima dont le but est d’obtenir :
– une préservation des crêtes proximales quand celles-ci sont présentes (une grande majorité de cas),
– une diminution des épaisseurs de réduction (0,5-0,8 mm) en raison d’une moindre sollicitation des restaurations (absence de tension au niveau proximal).
En effet, de par la persistance de l’architecture proximale, les crêtes continuent de jouer pleinement leur rôle mécanique. Les restaurations ultrafines à distance des crêtes se retrouvent donc à travailler uniquement en compression ce qui est très bien toléré par les deux familles de matériaux (composite ou céramique) (18) (fig. 14 à 17).
Les formes de ces préparations ultraconservatrices peuvent se caractériser de la manière suivante :
– délimitation d’un rectangle dans la face occlusale à l’aide d’une fraise boule bague verte (coffret Komet LD0717) et rouge entre les fossettes proximales à 1 et à 3 mm sous les sommets cuspidiens en fonction du délabrement. Dans tous les cas, la préparation devra toujours être à distance des sommets cuspidiens (en retrait) ou les englober si l’usure est plus importante. Les limites doivent être à distance des impacts occlusaux afin d’assurer la pérennité du joint. L’utilisation d’une fraise boule bague verte et rouge semble être une solution intéressante pour réaliser un angle net cavosuperficiel de 90° pour la pérennité du joint. Les concepts de préparation type « prepless » doivent être évités en raison de la nature de la ligne de finition entre la surface occlusale de la dent et la restauration. Le biseau ainsi créé n’aurait pas vocation à assurer la résistance mécanique nécessaire face aux impacts et aux charges occlusales (chiping, délitement, coloration). Il est donc impératif de réaliser une trace nette ;
– réduction et homogénéisation des différentes gorges si elles sont présentes à l’aide d’une fraise à inlay ;
– inclusion des cuspides palatines lorsqu’elles sont elles-mêmes érodées par l’usure pour amorcer un retour en palatin et ce, toujours dans le but « d’asseoir » la restauration dans un « cadre » stable.
Dans le cas de lésions multiples (palatines et/ou vestibulaires) associées à une usure occlusale, sur les prémolaires et molaires, il faudra réaliser 2 pièces distinctes en prenant soin de laisser une « bande d’émail » entre elles.Cette poutre faisant office de « résistance » qui raccorde les 2 crêtes proximales, sert de soutien aussi bien à la restauration occlusale que vestibulaire, permettant ainsi d’assurer la solidité de la dent. Ainsi, le praticien se retrouve à recourir à la technique « sandwich » décrite au niveau antérieur (facette palatine et vestibulaire) dans le secteur postérieur. Les prémolaires sont reconstruites par addition d’une facette vestibulaire et d’un inlay occlusal afin de restituer le volume initial de la dent. Ainsi, le gain biologique est très sensible, notamment dans la région proximale et palatine (19).
Lorsque la sévérité des lésions est plus importante, on procède à des pièces plus enveloppantes reposant toujours sur l’anatomie proximale existante, mais où la face occlusale et vestibulaire ne font plus qu’une pièce unique au lieu d’un sandwich (fig. 18).
Les 3 types de tables tops :
– table top intracuspidien,
– table top cuspidien,
– table top occluso-vestibulaire : veneerlay.
Aspects biomécaniques : étude in vitro comparative entre les tables tops et les overlays
Une pré-étude in vitro récente portant sur la biomécanique des restaurations partielles collées postérieures, plus particulièrement sur la résistance à la fracture a été menée au sein de la faculté d’odontologie de Marseille (18) (fig. 19 et 20).
L’objectif de cette étude est de comparer la résistance mécanique de 2 types de design cavitaire au niveau des molaires et prémolaires maxillaires et mandibulaires afin de mieux comprendre l’intérêt biologique et mécanique que représente la préservation des crêtes proximales. Les enseignements que l’on peut tirer de cette étude sont les suivants.
Le recours à des restaurations de type table top ne fragilise pas la dent bien au contraire, au regard des résultats obtenus.
On peut donc légitimement penser qu’à solidité égale nous disposons avec les tables tops d’une option beaucoup moins délabrante (fig. 21).
Le choix du matériau n’a pas d’impact sur la résistance à la fracture des dents restaurées. Il
n’existe en effet pas de différence significative entre les dents restaurées en emax et avec le LAVA ultimate
Ceci confirme les résultats du travail de Magne en 2012 avec un intérêt majeur des restaurations ultrafines à base de nanocéramique ou disilicate de lithium dans les régions fonctionnelles pour les traitements de l’usure (21).
Fabrication des restaurations
Les restaurations sont réalisées, dans le cas présenté, en disilicate de lithium (emax CAD Ivoclar Vivadent) en raison de leur aptitude au collage, de leur pouvoir mimétique et de leur simplicité de mise en œuvre (fig. 22, 23 et 24).
Il faut noter que la nature du matériau à adopter pour restaurer une arcade dépendra de l’arcade antagoniste : on utilisera du composite ou des nanocéramiques (Lava Ultimate 3M ESPE) si on se trouve face à de l’émail naturel (leurs coefficients d’usure étant proches) et de la céramique si l’on se trouve face à de la céramique.
Mise en place des restaurations
Le collage des restaurations représente la pierre angulaire de la pérennité des restaurations, mais demeure aussi la bête noire de nombreux praticiens inquiets suite à des échecs antérieurs (technique de collage, champ opératoire, choix de l’adhésif, choix de la pâte de collage, décollement, sensibilités postopératoires…) (fig. 25 à 30).
Conclusion
Le praticien fait face aujourd’hui à la difficulté d’oublier les règles strictes des préparations pour prothèse conjointe pour rentrer dans un nouveau monde, celui du collage, où la préservation tissulaire devient le cœur de nos préoccupations (21).
Le traitement de l’usure chez des patients de plus en plus jeunes représente un challenge important à relever pour le praticien. En raison des limites toujours repoussées par les performances atteintes par les matériaux actuels, il devient possible de réhabiliter les patients avec un coût biologique très faible. Cette équation délicate entre biologie, esthétique et fonction peut être posée. Ce type d’approche minimaliste a pour but d’aller dans le sens d’une simplification des procédures pour le praticien et de lui offrir un cadre de travail précis afin de rendre ce type de prise en charge reproductible et prévisible.
Remerciements
L’auteur souhaite remercier et associer Hilal Kuday pour son talent et sa passion dans l’art du laboratoire ainsi que le Groupe Style Italiano pour sa volonté de simplification et de démocratisation des restaurations collées par techniques indirectes.
Abstract
Clinical and biomechanical aspects of partially bonded restorations to treat wear: “Table Tops”
Treatment of tooth wear has become topical (1) since the late 2000s and, although its prevalence has increased steadily over the past 20 years, treatment options remain bleak for the patient and the involved teeth. Splints and composite repairs have occupied an important place. The other recourse is the use of biologically damaging solutions. Recent years have seen the advent of complete reconstruction of the dental arch, thanks to essentially additive adhesive techniques. These have an important biological advantage in that they avoid preparations in the teeth. While these techniques are conceptually revolutionary, their implementation may on occasion be difficult. The objective of this paper is to propose a detailed and reproducible treatment protocol, that uses proven pedagogical techniques, and to present new simplified forms of preparation with a view to facilitating practitioners’ access to this type of treatment
RESUMEN
Aspectos clínicos y biomecánicos de las restauraciones parciales pegadas en el tratamiento del desgaste: los sistemas de mesa
El tratamiento del desgaste se ha convertido en un tema de actualidad (1) desde finales de los años 2000, aunque su prevalencia no ha cesado de aumentar durante los últimos 20 años, las perspectivas de tratamiento para los dientes implicados y para los pacientes seguían siendo poco alentadoras.Las férulas y las resinas compuestas de reparación han ocupado un lugar importante. La otra alternativa era recurrir a soluciones mucho más mutiladoras desde el punto de vista biológico. En los últimos años, gracias a los pegamentos, han aparecido técnicas para una reconstrucción completa de los arcos esencialmente aditiva. Estas últimas presentan sobre todo una ventaja importante en el plano biológico, ya que se necesita muy poca o ninguna preparación de los dientes. Aunque estas técnicas son revolucionarias como concepto, su aplicación puede parecer delicada en ciertos aspectos. Por consiguiente, el objetivo de este artículo es proponer un protocolo de tratamiento preciso y reproductible, recurriendo a herramientas probadas pedagógicamente y con nuevas facetas y formas de preparación simplificadas para facilitar aún más el acceso de los dentistas a este tipo de tratamiento.
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