Une PASS peut-elle proposer des traitements implantaires à ses bénéficiaires ?

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°22 - 5 juin 2019 (page 34-36)
Information dentaire
Faire face aux inégalités de santé qui touchent particulièrement les personnes les plus démunies représente une priorité de santé publique. C’est pourquoi, des Permanences d’Accès aux Soins de Santé (PASS) ont été instaurées dans les établissements de santé par la loi d’orientation de lutte contre les exclusions dentaires du 29 juillet 1998. Il s’agit de dispositifs de prise en charge médico-sociale pour des personnes ayant besoin de soins mais éprouvant des difficultés à y accéder, du fait de l’absence de protection sociale, de leurs conditions de vie, ou de leurs difficultés financières. Les soins leur sont alors prodigués gratuitement. Tous les patients, y compris les personnes en situation de précarité sociale, ont droit à des soins de qualité. Cependant, l’accès effectif à ces droits soulève la question de l’équité en matière d’égale répartition des soins et des ressources financières.

Situation

« Je travaille au sein d’une PASS bucco-dentaire et reçois Monsieur K qui n’a pas de couverture sociale, ne perçoit aucun salaire et, divorcé, a quatre enfants à charge. Il est âgé de 46 ans et présente un édentement antérieur situé au niveau de ces deux incisives centrales supérieures.
Il est en recherche d’emploi et me signale que l’absence de ces deux dents le gêne dans ses recherches et dans sa vie quotidienne. Il désire bénéficier d’une réhabilitation prothétique prise en charge par la PASS.
Je sais que le budget d’une PASS n’est pas extensible et de nombreux patients qui n’en sont pas bénéficiaires ne peuvent avoir accès à des traitements dentaires coûteux.
Aussi, puis-je proposer à Monsieur K la pose de deux implants et couronnes sur implants qui représenteraient pour lui le traitement d’excellence ?
Dois-je me contenter de lui offrir une prothèse amovible ? Ou un bridge ?
Comment gérer la bonne utilisation des fonds accordés à la PASS tout en proposant les meilleurs traitements à mes patients ? »

Réflexions du Professeur Bruno Gogly

Responsable du Centre Maladie Rare Orale et Dentaire et PASS Bucco-Dentaire du Groupe Hospitalier Henri Mondor

L’accord d’une prise en charge dans le cadre d’une PASS bucco-dentaire dépend de facteurs médicaux-sociaux. Avant tout traitement le patient est orienté auprès d’une assistante sociale, sauf, bien entendu, en cas d’urgence (infection, traumatologie, douleur généralement). Le geste d’urgence réalisé, la précarité sociale du patient est évaluée. En ce qui concerne monsieur K, la demande est esthétique puisqu’il souhaite une réhabilitation fixe de ses deux incisives centrales pour une insertion sociale qui facilitera sa recherche d’emploi. Il convient d’abord à l’assistante sociale d’évaluer sa situation financière, dont les allocations qu’il perçoit (chômage, allocations familiales, aide au logement…) ainsi que ses dépenses (loyer, crédits, dépenses scolaires, quotidiennes…). Il est aussi nécessaire de comprendre comment monsieur K peut se retrouver avec à sa charge 4 enfants sans bénéficier d’une couverture sociale. L’objectif de la PASS, en dehors de la prise en charge médicale, est de permettre au patient une réinsertion sociale, de recouvrer des droits pour lui permettre de l’aider dans un projet de vie défini.

Du point de vue médical, la PASS bucco-dentaire réalise tous les actes sauf, normalement, les traitements orthodontiques et les implants, du fait essentiellement de la longueur des traitements qui dépasse largement six mois. Quand le patient souhaite une réelle insertion et n’est pas en France de façon temporaire, ce qui semble être le cas de monsieur K, l’obtention d’une couverture sociale (CMU généralement) est inférieure à six mois. Par ailleurs, d’autres thérapeutiques prothétiques existent, qu’elles soient amovibles ou fixes. Pour ce patient, le rapport médical qui serait proposé en commission d’attribution de la PASS proposerait en urgence une prothèse amovible immédiate pour permettre le rétablissement de son sourire, puis une réévaluation pour un traitement prothétique fixe (bridge collé ou plus conventionnel).

La réalisation dans ce cas d’implants dentaires, qui ne seraient pas pris en charge par la Sécurité sociale pour les patients hors PASS, apparaît habituellement comme une proposition de traitement inégalitaire. Il reste cependant à évaluer l’origine de cet édentement car, dans le cas d’un traumatisme, les implants pourraient être remboursés par les assurances. La PASS pourrait alors exceptionnellement accorder une prise en charge.

Réflexions du Professeur Christian Hervé

Professeur honoraire d’Éthique médicale et de Médecine Légale à la Faculté de Médecine Paris Descartes

Aucune réponse n’est satisfaisante dès lors qu’elle serait définitive, même s’inspirant d’un accès égal aux meilleurs soins – pouvant consister en un choix non raisonnable – plutôt qu’à ceux les plus adaptés.

Cette argumentation purement juridique et immédiate serait une réduction des possibilités offertes au jugement personnel du praticien, mais aussi à celui qui gère la PASS.

Le choix définitif entre les diverses solutions thérapeutiques, au lieu d’établir une médecine de moindre coût pour les personnes en état de précarité sociale ou, a contrario, de revendiquer les mêmes solutions, quelles que soient les situations, se doit d’être adapté, intégrant à la fois les arguments individuels cliniques et ceux collectifs en rapport avec un projet de prise en charge médico-sociale responsable. En rapport avec l’absence d’urgence, l’avis d’une commission examinant le dossier pourrait être un bon moyen, lequel a fait ses preuves dans le social quant à l’intégration d’hébergés dans les centres d’accueil.

Nous devons, dans cet exemple, bénéficier de tels savoirs pratiques des travailleurs sociaux puisque, dans le projet à construire avec ce patient se mêlent des arguments qui ne sont pas uniquement thérapeutiques, les choix de thérapeutiques devant s’intégrer dans un contexte social particulier, hors norme et pouvant, par le coût, obérer le bon fonctionnement de la PASS. De même que des circuits de décision hors budget de service existent pour des drogues particulièrement chères, il serait bénéfique que la décision, en ce qui concerne la qualité des soins d’un patient, n’obère pas des solutions aussi justes pour d’autres.

Aussi, une telle commission au lieu d’un avis qui engagerait les finances de la PASS pourrait-elle financer sur un fonds particulier sanitaire et social de telles dépenses jugées utiles pour la réalisation et le succès d’un projet de réhabilitation sociale ? Le nombre de critères alors envisagés devrait être acquis par l’évaluation de parcours bien argumentés sur une période ad hoc ; lesquels – associés à la demande argumentée cliniquement par le praticien chirurgien-dentiste dans un souci de défense de sa demande et de prise en compte de ses propres arguments, lui seul ayant rencontré la personne –, par des analyses adaptées aux situations médico-sociales ainsi abordées, initierait un régime de décisions les plus justes possible, mettant en situation de responsabilité les acteurs.

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