À vingt-deux ans, Victor Hugo, futur peintre d’œuvres spectrales, ne sait pas qu’un génie graphique sortira de son encrier*. Pour l’instant, lui, c’est la plume ; le pinceau, c’est l’ami et cadet de quatre ans, Louis Boulanger, déjà connu et reconnu à leur rencontre en 1824. Et puis l’amitié, c’est sacré, et Boulanger fait partie, avec Balzac, Dumas, les frères Devéria et leur petit cénacle soudé, de cette jeunesse fougueuse qui s’est jurée, à la vie, à la mort, de révolutionner les arts en imposant ce qui deviendra l’esthétique romantique de 1830.
Boulanger compte énormément pour Hugo et ce n’est pas seulement par esprit fraternel qu’il l’appelle « mon peintre » : c’est à ses yeux l’artiste le plus complice de sa pensée et le plus complémentaire de ses vues. De ses visions surtout, et d’une fantasmagorie dont il n’assume pas encore seul (l’acceptera-t-il jamais ?) la représentation. Du reste, Boulanger se voit propulsé dans la lumière par le succès fracassant de son monumental Supplice de Mazeppa au Salon de 1827, qui conduit l’État à le préférer, un temps, à Delacroix. Et ce succès est aussi celui de l’idéal d’arts croisés qui est bien le combat, le rêve de Hugo. Tous deux se comprennent, ont besoin l’un de l’autre pour les porter, désormais, sur la scène. Déjà, ils s’interprètent mutuellement, qui en vers, qui en peinture, mus par une commune théâtralité et galvanisés par « la fièvre ténébreuse » du groupe. Tout entre dans leur creuset, fait flamme dans leur chaudron du diable : les fantômes de Shakespeare, les chimères de Goya, les cauchemars de Füssli**, mais aussi, pêle-mêle, le souffre de Faust, la liqueur des philtres médiévaux, les parfums d’un Orient de fantasmes.
Cours d’amour et Cour des Miracles s’interpénètrent, dans les drames de Hugo et dans les toiles hantées, les aquarelles hallucinées, les fins lavis livides de Boulanger. L’intime…