Un allocataire de la CMU peut-il bénéficier d’un traitement coûteux ?

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 38-40)
Information dentaire
Les problèmes dentaires prennent plus d’importance chez les patients démunis ou en situation de précarité. Ils ont souvent un impact plus important sur la santé générale.
La Couverture Maladie Universelle (CMU) facilite l’accès aux soins et contribue à la réduction des inégalités en santé en proposant aux personnes à faibles ressources, et résidant en France de façon stable et régulière, une couverture maladie gratuite.
Si, pour les actes dentaires, les praticiens sont tenus de respecter les tarifs conventionnels et d’appliquer le tiers payant avec dispense totale d’avance de frais, les prothèses dentaires et les traitements d’ODF sont pris en charge dans la limite du « panier de soins CMU ». Pour autant, ces patients ne peuvent être exclus des meilleurs soins et des traitements aux données acquises de la science. Le bénéfice de la CMU ne doit pas diminuer la qualité des soins ni les options thérapeutiques.

Situation
Mon patient a 35 ans. Il est en bonne santé générale et me consulte car il désire faire remplacer sa 24 absente. Jusqu’à ce jour, tous ses soins dentaires sont pris en charge par la CMU dont il bénéficie depuis cinq ans. Il demande que sa prémolaire soit remplacée par un implant et une couronne implantaire, et ajoute qu’il n’aura pas de souci pour financer ce traitement.
Je m’interroge : peut-il jouir d’un traitement coûteux alors qu’il bénéficie de la solidarité nationale pour ses traitements habituels ?
Dois-je lui réserver les traitements liés au panier de soins CMU ?
Puis-je ne proposer que des prothèses adjointes ou des bridges aux patients en grande difficulté financière ?

Réflexions du Docteur Sylvie Azoguy Levy
Maître de conférences des Universités – Praticien hospitalier
Faculté de chirurgie dentaire Paris Diderot

La CMU a été mise en place en 2000 dans le cadre d’une grande loi contre l’exclusion dans le but de donner une couverture maladie indépendamment du statut face à l’emploi. Le bénéfice d’une couverture complémentaire (CMUc) gratuite est sous conditions de ressources. Plusieurs enquêtes ont montré que l’état de santé dentaire des bénéficiaires de la CMUc est moins bon que celui de la population générale. Sur le plan de la consommation des soins dentaires, s’il y a un effet “rattrapage” pour les nouveaux bénéficiaires de la CMUc avec une plus grande consommation au départ, la consommation moyenne est moindre que pour la population générale et on observe même un renoncement déclaré aux soins dentaires plus important (Institut de recherche et documentation en économie de la santé, Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques 2010). Le patient bénéficiaire de la CMUc est un individu comme un autre lors de sa visite, on ne recherche pas d’emblée à connaître son statut social. L’alliance thérapeutique est le fondement de la relation de soins et repose sur une confiance mutuelle et sur la certitude du patient qu’il aura toute l’information sur le meilleur traitement possible. L’entretien s’articule sur la demande médicale et notre rôle est de présenter toutes les solutions thérapeutiques possibles en fonction des indications médicales et techniques et de leur faisabilité. L’échange se poursuit sur une réflexion concernant le bénéfice/risque de chaque solution puis sur le coût/bénéfice de chaque solution. Le patient doit être informé du mode de remboursement de chaque solution, de la même façon qu’un patient ayant une complémentaire santé dont chaque contrat n’a pas la même couverture pour les soins dentaires. Le choix financier relève du patient. Les personnes à ressources faibles peuvent décider de choisir une solution “idéale” parce que pérenne et moins coûteuse à long terme. La notion de qualité des soins est incluse dans le panier de soins. On peut se poser alors la question de l’adéquation avec les données récentes de la science et la notion de « perte de chance ». Comment décider de poser un bridge de trois éléments plutôt qu’un implant ? La question se pose dans les mêmes termes pour les personnes ayant une mutuelle a minima. La CMUc n’est pas une couverture pour des soins transitoires. Un patient peut reporter un traitement dans l’attente de ressources supplémentaires. Le fait d’être financé par la solidarité nationale justifie d’une certaine façon l’existence d’un panier de soins limitatif. L’État est garant d’une protection sociale qui couvre les problèmes de santé et leurs conséquences, l’idée étant de restituer la fonction. Dans cette conception de la protection sociale, l’État fixe, en concertation avec les différentes parties, ce qui peut être couvert. Il est laissé aux individus le choix de financer d’autres prestations selon leurs priorités et leurs possibilités. À l’inverse, nous ne nous posons pas la question de l’abstention par les patients de traitements nécessaires et pourtant pris en charge. Les bénéficiaires de la CMUc peuvent donc choisir un traitement dentaire non remboursé si telle est leur priorité médicale. En tant que praticien, nous n’avons pas de jugement à porter sur ce choix pour deux raisons principales :
1/ La perception de la santé répond à une trajectoire de vie, à une représentation culturelle de la santé, à des expériences de soins et à des choix financiers qui relèvent du statut de la personne à un moment donné, mais qui peuvent changer dans le temps.
2/ Le praticien est garant d’une information éclairée et d’une qualité des soins fournis, mais il n’est en aucune façon le “contrôleur” des prestations sociales ; il n’a pas à se substituer aux organismes de gestion du fond CMU habilités à vérifier l’affiliation à des prestations.

Réflexions du Docteur Véronique Fournier
Directrice du Centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin

À l’évidence, la question posée éveille un certain malaise. C’est que l’on est pris à rebrousse-poil. Car bien sûr, l’idéal serait que la Sécurité sociale puisse tout payer, tout le temps, pour tout et pour tout le monde. Mais chacun sait que, malheureusement, cela devient de moins en moins possible, jour après jour, compte tenu de l’état de nos finances publiques. Alors, il ne faut pas nous pousser beaucoup pour que nous en venions tous à conclure que tout cela devient un peu excessif ! C’est déjà bien beau que la solidarité nationale assume financièrement les soins courants de ceux qui sont dans le besoin. Mais n’est-il pas choquant qu’après en avoir bénéficié, ces derniers osent s’offrir les meilleurs soins, sans remboursement, en se revendiquant capables de les payer eux-mêmes, en monnaie sonnante et trébuchante, alors qu’ils sont supposés être sans le sou, et que c’est pour cette raison même qu’ils ont été admis à la CMU ? De qui se moque-t-on ?
Eh bien pourtant, l’analyse éthique de cette situation est pour moi sans appel. À la question posée, la réponse ne peut être que oui : je ne vois aucune bonne raison éthique pour refuser la prothèse sur implant que demande ce bénéficiaire de la CMU. Il dit que c’est son meilleur choix, que même si elle est d’un coût important, il veut et peut l’assumer financièrement. C’est qu’il a parfaitement compris que ce traitement est d’une qualité bien supérieure à celle des autres traitements disponibles, que ce soit au plan technique, fonctionnel ou esthétique. Sa demande est donc plus que sensée. N’importe qui à sa place ferait la même, s’il le pouvait et l’osait. Quant aux professionnels, ils s’accordent tous pour dire qu’effectivement, il n’y a aucun doute, les résultats avec cette technique en termes de conservation des tissus dentaires, de qualité de vie, de bien-être et d’esthétique sont infiniment supérieurs à ceux qui peuvent être obtenus avec le traitement substitutif pris en charge par la CMU. Sans compter que ce choix, soi-disant luxueux, est peut-être particulièrement important pour la personne considérée, si par exemple son métier nécessite qu’elle ait une dentition ou un sourire parfaits. Enfin, en termes de justice, ce choix ne pénalise personne puisqu’il est assumé sur des deniers personnels.
Au fond, ce qui gêne est ailleurs. Probablement, cette gêne réside-t-elle dans le fait que le comportement de ce demandeur est volontiers perçu comme “immoral”, au regard de la reconnaissance qu’il devrait se sentir nous devoir collectivement. Ne serait-il pas tout simplement en train de profiter de nous et du système, se dit-on ? De “bienfaiteurs”, ne serait-il pas en train de nous transformer en “pigeons” ? C’est cela qui insupporte et fait voir rouge. Mais ce sentiment, certes compréhensible, a-t-il vraiment quelque chose à voir avec l’éthique ou même la morale ? J’ai l’impression d’une confusion des registres, par exemple entre éthique, morale et politique.
Si bien que l’envie me saisit de prendre le contre-pied. Je plaiderais volontiers l’inverse. Pour que l’on considère comme parfaitement éthique que les pauvres aient le droit eux aussi, comme tout le monde, de se payer leur rêve, d’économiser pour cela, et de ne pas avoir à s’excuser avant d’avoir bénéficié des largesses de la collectivité, ni se sentir condamné par elle ad vitam à être les obligés d’autrui.
Chacun n’est-il pas libre tant qu’il paye ? Les riches, qui bénéficient pourtant de la solidarité nationale via la Sécurité sociale pour la plupart de leurs soins, ne sont-ils pas autorisés à s’offrir autant de surplus et de dépassements d’honoraires qu’ils en ont envie ? Pourquoi y aurait-il deux poids deux mesures ?

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