Turner, plein soleil sur l’ineffable

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°25 - 24 juin 2020 (page 80-83)

J. M. W. Turner, Venise, San Giorgio Maggiore, tôt le matin, 1819, aquarelle sur papier.

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Voir des Turner à Paris est toujours un événement, précieux écho de l’éblouissement que procure à la Tate Britain une visite au « Peintre de la lumière ». Comment lui contester ce surnom*, devant ses immenses nuées flamboyantes et nacrées où l’idée même de figuration semble se noyer ? De là s’ensuit l’image, controversée mais convenue, d’un Turner précurseur de l’impressionnisme et des abstractions – vision que s’efforcent régulièrement d’élargir de grandes expositions. Celle qui rouvre pour notre plus grand bonheur au Musée Jacquemart-André, riche de 60 aquarelles et de 10 toiles choisies avec la Tate de Londres (certaines n’ayant jamais franchi le Channel) irise splendidement la question en démontrant que chez Turner, tout part de l’aquarelle et tout y revient, et que le génie créatif qu’il y déploie se révèle plus éclatant encore lorsque, surtout à la fin de sa vie, le peintre y laisse rayonner dans le non-fini la somptueuse évidence d’un less is more, d’un inachevé dont les mystères cachés s’éclairent par transparence à la lumière de l’infini…

L’aquarelliste prodige

Apprenti dessinateur et coloriste dans l’âme, Turner réalise dès l’adolescence des aquarelles topographiques pour des architectes. On lui demande exactitude, précision dans le détail, mise en valeur. Ses relevés objectifs, photographies avant l’heure, sont immédiatement et incontestablement d’un grand lecteur de paysage. Quand il fixe le réel d’un lieu, il capte d’emblée ce qui en fait un site : non seulement le plus visible – le caractère, les éléments pittoresques, les rapports apparents entre volumes naturels et bâtis – mais aussi les substructures invisibles telles que lignes de force géologiques, équilibre secret des masses, spécificités mouvantes de l’atmosphère. À vingt ans à peine, il excelle à distinguer l’essentiel de l’accessoire sans pour autant simplifier ou omettre : s’il peint un château sur un escarpement, la plus fine modénature est en place et le silex perce sous la craie. La Royal Academy où il se forme auprès de son mentor Reynolds qui la dirige, ne s’y trompe pas et l’expose ; les commandes affluent, Turner est lancé. Il n’est pourtant qu’au début de sa quête et de ses défis.

David et ses Goliaths

Commercialement, sa voie semble toute tracée : les Anglais, par goût et par patriotisme exacerbé par la guerre, raffolent des aquarelles exaltant leur pays ; le marché est solide et elles trouvent preneur dans tous les formats : de la plus modeste miniature à l’ambition de celles qui, au-delà du mètre, peuvent rivaliser avec les huiles et que Turner, en partie pour cette raison, pratique volontiers. Si le jeune peintre ne méprise ni cette manne ni cette ambition, celle qu’il couve est autrement forte et diverse. Il entend égaler les plus grands (Reynolds l’incite d’ailleurs à les imiter pour s’en nourrir) et pourquoi pas leur faire un peu d’ombre avec, précisément, ces moyens réputés limités de l’aquarelle. Le défi peut sembler d’abord…

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