L’aquarelliste prodige
Apprenti dessinateur et coloriste dans l’âme, Turner réalise dès l’adolescence des aquarelles topographiques pour des architectes. On lui demande exactitude, précision dans le détail, mise en valeur. Ses relevés objectifs, photographies avant l’heure, sont immédiatement et incontestablement d’un grand lecteur de paysage. Quand il fixe le réel d’un lieu, il capte d’emblée ce qui en fait un site : non seulement le plus visible – le caractère, les éléments pittoresques, les rapports apparents entre volumes naturels et bâtis – mais aussi les substructures invisibles telles que lignes de force géologiques, équilibre secret des masses, spécificités mouvantes de l’atmosphère. À vingt ans à peine, il excelle à distinguer l’essentiel de l’accessoire sans pour autant simplifier ou omettre : s’il peint un château sur un escarpement, la plus fine modénature est en place et le silex perce sous la craie. La Royal Academy où il se forme auprès de son mentor Reynolds qui la dirige, ne s’y trompe pas et l’expose ; les commandes affluent, Turner est lancé. Il n’est pourtant qu’au début de sa quête et de ses défis.
David et ses Goliaths
Commercialement, sa voie semble toute tracée : les Anglais, par goût et par patriotisme exacerbé par la guerre, raffolent des aquarelles exaltant leur pays ; le marché est solide et elles trouvent preneur dans tous les formats : de la plus modeste miniature à l’ambition de celles qui, au-delà du mètre, peuvent rivaliser avec les huiles et que Turner, en partie pour cette raison, pratique volontiers. Si le jeune peintre ne méprise ni cette manne ni cette ambition, celle qu’il couve est autrement forte et diverse. Il entend égaler les plus grands (Reynolds l’incite d’ailleurs à les imiter pour s’en nourrir) et pourquoi pas leur faire un peu d’ombre avec, précisément, ces moyens réputés limités de l’aquarelle. Le défi peut sembler d’abord…