Un ange passe
Pour Louis Janmot (1814-1892), l’enseignement matérialiste c’est le diable, ou en tout cas « le mauvais sentier » selon ses mots. Le salut, aux yeux de ce peintre-poète et fervent pratiquant, c’est le chemin de grâce d’une éducation qui élève l’âme, la garde des mauvais maîtres comme des mauvaises pensées et la maintient dans l’espérance malgré les doutes, les tourments, les séductions du mal et la fatalité mortifère. Le grand œuvre de sa vie entière sera de composer, en vers et en tableaux, son Poème de l’âme, vaste épopée spirituelle contant le parcours complet d’une âme sur Terre jusqu’à son ascension au Ciel. Il faut évidemment se replacer autant dans la sensibilité romantique éprise d’harmonies célestes que dans les débats moraux de l’époque, partagée entre foi et scientisme, pour comprendre ce qui, au-delà de la belle facture de l’élève d’Ingres, a pu séduire Delacroix, Baudelaire ou Gautier. On est en outre dans un moment où un certain catholicisme libéral (Montalembert, Lacordaire), après la loi Falloux sur l’école libre (1850), fait pièce aux idées laïques et progressistes sur ce qu’on appelle « la question scolaire » et, plus loin, « la question sociale », malgré l’opposition de Hugo qui craint « une arme dans la main du parti clérical ».
Passant aussi par l’art, la propagation de la foi peut certes se colorer du radical propagandisme qui anime les deux camps, avec déjà les aspects funestes qu’on connaît, mais ce n’est pas le cas de Janmot, plutôt imprégné de la douce poésie mystique chère aux peintres lyonnais. C’est aussi un temps où la figure de l’Ange Gardien lutte pied à pied avec celle de « l’ange du bizarre » qu’évoque Edgar Poe ; un temps qui reste hanté par les visions cosmo-mystiques de Milton et William Blake, par les chimères de Goya, bientôt de Redon, et où la barque de Dante revient…