Il faut croire que la bestiole n’est pas si mauvaise, puisqu’en quelques mois, voilà Tarsila sortie de l’ombre pour recevoir la pleine lumière du Musée du Luxembourg, et avec elle tout un pan d’une trop méconnue modernité brésilienne du début des années 20.
À cette époque, la jeune fille de bonne et riche famille de São Paulo débarque à Paris, fréquente l’académie Julian et l’atelier d’Émile Renard, puis, s’étant liée à l’écrivain en vue et concitoyen Oswald de Andrade, rencontre Blaise Cendrars qui leur ouvre le monde artistique parisien : Brancusi, Cocteau, Braque, les Delaunay, Picasso, ainsi que Lhote, Léger et Gleizes auprès desquels elle étudie. On voit d’ici le tableau, la pente facile d’une façon de raconter l’histoire eurocentrée et machiste : la petite amie d’un ténor du modernisme brésilien prise par égard pour lui sous l’aile des cubistes, et qui se frotte à leur créativité afin d’en rapporter et implanter la graine dans sa terre natale. Mais cette lecture-là a vécu et, au demeurant, la Tarsila dont on découvre l’originalité et la trempe n’est pas du genre à se parer des couleurs des autres. C’est plutôt celles de son pays qu’elle cherche. Son appartenance à l’élite brésilienne, qui l’a éveillée à divers arts, lui a donné une éducation traditionnellement imprégnée de culture française et l’a fait voyager dès 1902 en Europe. Au point que Paris, s’il peut être une fête, n’est en rien pour elle un choc culturel inattendu mais plutôt un complément d’apprentissage. Avant d’y venir, elle s’est formée à la peinture chez elle à São Paulo, et y a vécu, fin 1917, ce choc plus réel qu’a été la très pionnière Exposição de Pintura Moderna d’Anita Malfatti qui révéla à des Brésiliens bousculés et rétifs l’art moderne prôné en Europe et Amérique. Là s’est enraciné pour Tarsila un double questionnement : qu’est, et que peut être…