De la nature selon Rousseau
C’est l’autre Rousseau, pas Jean-Jacques mais Théodore, le peintre qui, né cent ans après, prône comme le philosophe un retour à l’état de nature – et va d’ailleurs le vivre en partie. Lui-même est une nature : parisien mais jurassien de souche, enraciné dans ses valeurs et tout d’un tronc quoique doux, il a tout de l’homme des bois avant même de les hanter. Ce n’est pas lui qu’on verra faire le voyage d’Italie pour se former : il le refuse et, en juin 1830, tourne le dos à la voie académique pour suivre son propre chemin d’apprentissage, à travers l’Auvergne, la Normandie, la Vendée, les Landes, les Pyrénées, le Berry, s’arrêtant au Col de la Faucille pour saisir cette ligne blanche du Mont-Blanc qu’il ne franchira jamais. Il en rapporte de solides compositions, puissants paysages pris pour eux-mêmes, dans leur paix ou leurs tourments, et plus volontiers dans leur accord avec la vie animale qu’avec une présence humaine à tous égards réduite ; mais aussi de nombreuses études de troncs, de rochers, de sous-bois, de marais qui témoignent d’une fine attention au réel. Aucune intention chez lui d’idéaliser une nature qu’il se refuse à traiter comme un fond, comme un décor pour scènes champêtres, mythologiques ou bibliques, ce qui est pourtant la condition exigée pour la traiter. La réfutant, il a renoncé au concours du Prix de Rome. Mais les maîtres d’alors sanctionnent ce non-respect des traditions, et la critique les suit. Avec l’audace de ses vingt-quatre ans, il déboule fort mal à propos dans un moment de grande crispation du Salon, valet d’un goût louis-philippard aussi contesté que ce pouvoir. Après quelques toiles acceptées, il envoie au jury de 1836 une grande composition pleine d’ambition, Descente des vaches dans le Haut-Jura. Ces vaches de jurés le descendent. Opiniâtre, il réitère quatre ans, essuie refus sur refus, finit par ne plus rien envoyer.