Quelle prothèse dentaire lors de maladie d’Alzheimer ?

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°29 - 4 septembre 2019
Information dentaire

La maladie d’Alzheimer nécessite une prise en charge raisonnée, spécifique et pluridisciplinaire des patients atteints. Si l’objectif du chirurgien-dentiste est de maintenir un bon état de santé bucco-dentaire pour permettre l’alimentation, la phonation et le maintien d’un sourire gracieux, il est souvent confronté à des situations désastreuses indiquant des avulsions qui édentent totalement les patients. Le plan de traitement doit alors être adapté en fonction du degré
de coopération du patient et de l’évolution de sa maladie. Mais les conséquences esthétiques et psychiques pour les patients font émerger un questionnement éthique…

Situation proposée par l’un de nos lecteurs

Une patiente, âgée de 77 ans, vit dans l’unité protégée d’un EHPAD, car elle présente une maladie d’Alzheimer à un stade avancé. Dans sa chambre, tous les placards sont fermés à clef, aucun objet ne traîne car elle jette tout, y compris ses prothèses dentaires qui disparaissent.
Son état bucco-dentaire est désastreux, aucun soin d’hygiène n’est visiblement réalisé. L’examen de sa radio panoramique objective un important état de délabrement de l’ensemble des dents.
Selon moi, il faudrait tout extraire. Mais cela modifierait l’aspect de sa face, la transformant en « vieille dame totalement édentée, avalant ses lèvres », alors qu’actuellement, elle présente un visage un peu enveloppé, très doux et équilibré. Le choc serait terrible pour sa famille et son entourage, venant s’ajouter au fardeau de la maladie, et je sens qu’il m’est très difficile de leur imposer cela.
Je sais qu’aucune solution prothétique pérenne ne pourra être mise en place et, me sentant très seul face à ce cas de conscience, j’ai essayé de trouver un conseil auprès d’une personne compétente en gériatrie dans mon département… en vain.
J’ai donc eu l’idée de soumettre ce cas à la rubrique « Éthique » afin que deux personnalités compétentes puissent nous éclairer sur la meilleure conduite à tenir.

Réflexions du Docteur Agnès Bodineau

Chirurgien-dentiste gériatre – Praticien Hospitalier
Hôpital Dupuytren – Service de médecine bucco-dentaire du Groupe Henri Mondor

La réalisation de soins chez les personnes âgées, a fortiori lorsqu’elles sont polypathologiques et polymédiquées, inclut fréquemment un ensemble de compromis, la prise en charge idéale étant rarement possible. Nos décisions thérapeutiques ne sont généralement pas dictées par l’état bucco-dentaire mais, en premier lieu, par l’état de santé de la personne, ses pathologies organiques, ses handicaps, ses troubles cognitifs et ses capacités de coopération et d’adaptation. Il me semble que l’objectif n’est pas d’imposer la prise en charge idéale devant un état bucco-dentaire donné, mais d’adapter notre pratique à ce que la personne est en capacité d’accepter et de supporter ; tout acte de soin doit être réalisé avec comme interrogation constante : « quel bénéfice pour la personne ? »

Dans le cas proposé par notre confrère et, compte tenu des troubles cognitifs sévères associés à des troubles de comportement, la réhabilitation prothétique ne semble en effet pas envisageable, pour deux raisons principales : en premier lieu, les séances d’empreintes, d’enregistrement et d’essayage ne pourront vraisemblablement pas se faire dans des conditions satisfaisantes (a fortiori s’il s’agit d’une réhabilitation prothétique impliquant la pose d’implants), confrontant la patiente et le praticien à une situation d’échec (avec éventuellement une majoration des troubles de comportement due au stress et à l’angoisse que peuvent constituer les séances de soins pour la patiente), par ailleurs, dans l’hypothèse où le praticien parviendrait à réaliser les prothèses, il semble illusoire de penser que la patiente aura les capacités d’en supporter le port, de s’habituer et de se rééduquer à la mastication, la phonation… En effet, pour les personnes atteintes de troubles cognitifs sévères, les prothèses dentaires amovibles sont très souvent ressenties comme des objets gênants, avec une incompréhension totale de leur utilité, et ne sont généralement pas portées.

De telles situations mettent souvent le praticien en difficulté face à la famille qui, elle, peut être demandeuse d’une réhabilitation prothétique. Il me semble alors primordial de prendre le temps d’expliquer aux proches ce qu’implique cette réhabilitation. En tout état de cause, il est important de réaliser les traitements prothétiques (quelle que soit leur nature) lorsque la maladie cognitive est à un stade peu avancé, car l’aggravation des troubles compromet par la suite la faisabilité des soins.

Lorsque l’on estime que la réhabilitation prothétique n’est pas possible, se pose alors la question du bénéfice des extractions multiples, avec comme objectifs principaux le confort de la personne, l’absence de douleur, sa qualité de vie. Face à un patient qui ne peut s’exprimer verbalement ou se faire comprendre, il est difficile d’avoir des certitudes. L’examen clinique est alors un élément fondamental pour l’orientation de la prise en charge (à la recherche de signes cliniques infectieux, de blessure des muqueuses, de douleurs déclenchées à la palpation, de mobilités dentaires…). Cependant, le chirurgien-dentiste ne peut généralement pas prendre seul une décision. Il s’agit alors de discuter avec toutes les personnes (médecins, infirmiers, aides-soignants, membres de la famille…) qui s’occupent de la personne âgée au quotidien, le but étant d’avoir un maximum d’informations sur son état de confort, d’éventuelles douleurs, sa manière de s’alimenter…

Au final, et en l’absence de symptômes cliniques, il n’est pas rare de s’abstenir de procéder aux extractions multiples chez les patients atteints de démence sévère. Il me semble alors que le chirurgien-dentiste se doit d’assurer, autant que possible, le suivi de ces patients, afin d’intervenir ponctuellement en cas de nécessité.

Professeur Jean-Philippe David

Professeur associé des universités, Paris-XII – Praticien Hospitalier
Vice-président de la CMEL des Hôpitaux Universitaires Henri Mondor
Chef de Service, Médecine Interne et Gériatrie

La maladie d’Alzheimer se caractérise par un processus neuro-dégénératif envahissant le cortex cérébral selon un schéma de progression topographique très précis et identique pour tous les sujets atteints.

Les lésions apparaissent en premier lieu dans le cortex péri-rhinal et l’hippocampe, régions impliquées dans la mémoire épisodique, puis progressent vers les régions associatives polymodales. Ces régions sont les dernières apparues dans la phylogenèse et assurent les fonctions les plus complexes du cerveau. Sont ensuite touchées les aires associatives uni-modales et, en fin d’évolution, les aires primaires telles que l’aire motrice primaire.

Si le début de la maladie se manifeste par des troubles de mémoire n’altérant pas le jugement et la compréhension du sujet, il en est tout autrement quand le phénomène atteint les régions associatives polymodales. C’est alors qu’apparaissent l’aphasie, l’apraxie et l’agnosie. Lors de la perte de ces fonctions, le patient entre alors dans l’enfer de l’incommunicabilité, ne comprenant plus les éléments du monde qui l’entoure et perdant le sens des mots, le contraignant à vivre un cauchemar quotidien d’incompréhension anxiogène.

L’intervention médicale se situe donc dans ce contexte. La particularité des soins en odontologie réside dans le fait qu’ils débouchent souvent sur une chirurgie dentaire.
Pour le patient atteint de maladie d’Alzheimer, même évoluée, l’information avec ses spécificités, le consentement du patient et la décision finale doivent être respectés. La balance bénéfice/risque, pour cette typologie de patient, comporte des risques spécifiques liés à la mauvaise tolérance des soins, facteurs de décompensation psycho-comportementale pouvant entraîner l’utilisation de drogues dont les effets adverses sont redoutés. Le recours aux soins sans consentement ne peut se faire que dans le cas de l’urgence vitale. La décision devra également être éclairée par une réflexion sur l’aspect raisonnable des soins envisagés au vu de l’état et du pronostic du patient.

Le deuxième aspect à privilégier pour prendre la décision de soins est le retentissement fonctionnel de l’affection. Les lésions bucco-dentaires présentées ont-elles un retentissement sur son alimentation, son expression verbale ? Sont-elles génératrices de douleurs, de troubles du comportement ? Par ailleurs, l’avulsion dentaire ne va-t-elle pas être responsable d’une modification fonctionnelle, elle-même facteur de désadaptation et secondairement de dénutrition ? En l’absence de retentissement fonctionnel, l’intérêt du recours aux soins devra être mûrement réfléchi. À ce stade, les mesures de prévention et d’hygiène bucco-dentaires devront être privilégiées.
Primum non nocere !

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