Choc de modernité
« Ça vient de Prisu ! », pouvait-on s’exclamer dans les années 60, fier d’une trouvaille qui épatait le monde sans avoir coûté cher. À vrai dire, ce plaisir de faire son petit effet à petit prix n’a pas disparu : « Monop’ », peut-on encore s’entendre confier devant un article auquel un certain snobisme supposerait une provenance autrement chic. Mais à l’époque, dans sa rime riche avec Prisunic, chic est d’abord une exclamation ravie. L’importance première, la bonne surprise, est d’avoir résolu la question de l’accessibilité. Comme aujourd’hui, c’est le pouvoir d’achat qui la définit, mais doublement entendu alors : pouvoir acheter c’est aussi trouver à acheter, ce qui n’est pas si simple pour un ménage moyen d’une ville moyenne dans la France d’avant les hypermarchés en voiture, où n’est vraiment vu comme accessible qu’un produit mis à portée de main autant que de bourse. C’est dire si, pour la génération des restrictions et les baby-boomers, la découverte entre deux rayons alimentation de désirables objets design et de prêt-à-porter portable est une véritable révolution, économique bien sûr, esthétique incontestablement, mais sociétale. On entre dans la modernité, et on la fait entrer chez soi, en entrant dans Prisu chercher des yaourts – dont par ailleurs le haut format familial, en cône tronqué, au terne carton cireux, n’excite pas les papilles.
Ce qui dilate en revanche les pupilles, c’est l’apparition du plastique moulé et des couleurs acidulées, jugés selon l’âge super bath ou carrément pop. Le plastique est magique et coule partout à flots, avant le choc pétrolier et la pollution aux polymères. On dit d’ailleurs « en matière plastique », pour les objets réalisés dans ce matériau, ce qui met l’accent sur l’adjectif pas encore substantivé et exalte ses infinies propriétés ductiles, propres…