Un saut à cloche-pied dans la modernité
Court, transitoire et entaché d’une luxure fantasmée, l’interrègne d’après Louis XIV reste dans l’ombre de l’histoire faute d’avoir pu et su en changer le cours à l’aube des Lumières. En l’éclairant, Carnavalet montre à la fois combien le grand bond dans la modernité était alors proche, et ce qui a fait rater le coche. À commencer par les imbroglios successoraux.
Lorsque, le 1er septembre 1715, le Roi-Soleil s’éteint, après un long et lugubre crépuscule qui a vu disparaître un à un tous les prétendants au trône, le dernier élu n’a que cinq ans. Certes, la monarchie est héréditaire et Louis XV régnera (longtemps d’ailleurs : 58 ans contre les 72 de son arrière-grand-père), mais pas dès alors. Pour l’heure il faut un régent, et issu de la famille. Ce sera donc Philippe d’Orléans, fils de Monsieur, frère unique du roi. Louis XIV mésestimait ce libertin de neveu n’aimant ni monter, ni danser, ni chasser. Il lui a pourtant fait épouser une de ses filles nées de la Marquise de Montespan – et donc une sœur du Duc du Maine, cet autre bâtard reconnu sur lequel le roi fondait ses vrais espoirs. Le voilà ainsi beau-frère d’un potentiel et très susceptible rival, situation plutôt épineuse. En effet, si la légitimité du Régent est de droit, dans les faits elle ne peut s’établir que s’il liquide les bâtards légitimés, Maine et Toulouse, ou en tout cas neutralise leur influence. Là-dessus, il peut compter sur son ami Saint-Simon, qui les déteste pour la raison surtout qu’ils se prévalent d’une préséance créée pour eux par leur tout-puissant père, le feu roi, nouveau rang qui les place au-dessus des ducs et pairs, dont le chatouilleux Saint-Simon. Le mémorialiste se délectera – et nous avec – à conter, dans des pages qui sont un pur régal de stratégie perfide, leur chute politique et personnelle lors du lit de justice qui leur retire ce…