Double spectacle et ce qui s’y joue de neuf
Les quelque 130 œuvres réunies pour cette confrontation permettent de se faire une juste idée sur ce que le public a pu voir dans les mêmes semaines, bien qu’en deux lieux au poids relatif très différent : lourd pour la manifestation officielle à machinerie bien huilée qui fait d’avance le plein aux Champs-Élysées, léger pour l’opération commando qui tente sa percée sur le boulevard ce 15 avril 1874. C’est elle que nous découvre une visite des lieux reconstitués en réalité virtuelle, d’autant plus précieuse qu’on savait peu sur cet événement dont la presse a créé la légende mais qu’aucune photo n’a fixé et qui n’a attiré que 3 500 visiteurs – lesquels y ont trouvé plus à rire qu’à dire, et pas grand-chose à voir. Ce jour-là, 35 boulevard des Capucines, une poignée d’artistes réunis en société anonyme inaugure sa propre exposition, en marge du Salon officiel, quoique certains y figurent. Anonymes, ils le sont, en ce qu’ils n’éprouvent pas le besoin de se donner un nom. Ils en comptent pourtant de grands dans leurs rangs, comme Degas qui a dégoté le lieu – l’atelier loué par Nadar – ou Manet qui toutefois ne se pose pas en chef de file et n’y expose pas. Mais dissidents, rebelles, marginaux ? Indépendants épris de liberté, plutôt : ils estiment que leur peinture peut être vue autrement qu’en trouvant grâce au Salon ou refuge aux Refusés.
L’idée de jury, qui a fait des ravages un an plus tôt encore, leur est devenue insupportable : son temps est passé, et venu celui d’exposer eux-mêmes. Courbet l’a fait, Cézanne en clame le droit et, depuis cinq ans, autour de Manet, le chorus enfle au groupe des Batignolles, grossi des voix de Pissarro, Berthe Morisot, Zola, Nadar. La guerre de 70 a retardé la récolte, mais le fruit est mûr et promet beaucoup, sauf à connaître des pépins. Le 27 décembre…