Dans l’œil bleu de Matisse
Matisse n’est pas né peintre à Nice, mais, très sensible aux rapports intérieur/extérieur, il y a épanoui une créativité régénérée au sortir de la Grande Guerre par l’entrée dans ses toiles de cette lumière unique émanée de la mer, de la pinède, de la montagne. La fenêtre, motif central de son œuvre, c’est bien là qu’il l’a vraiment ouverte : en grand sur les matins éblouissants et les nuits embaumées, ou à demi sur les jardins assoupis dans la douceur d’après-midi, à l’abri des jalousies zébrant d’or l’ombre fraîche de la chambre. Matisse, Nice… la rime est si naturelle et évocatrice qu’il suffit de la prononcer en fermant les yeux pour sentir monter en soi l’harmonie inimitable de ses toniques inattendues parmi ses dominantes renversées.
Matisse, c’est la musique, petite la nuit – ou parfois syncopée comme le jazz –, symphonique au grand jour. Ses cordes au premier plan en font entendre assez l’importance – même s’il ne voyait le violon qu’en ultime plan pour lui, en cas de cécité. À Nice, le peintre s’est mis au diapason du rapport de composition que la vie méridionale entretient avec l’espace naturel ou bâti. L’ouvert et le clos, l’au-dehors et l’en-dedans, le public et l’intime ne s’y opposent pas avec rigueur mais s’interpénètrent subtilement, via l’entrelacs des venelles, des cours, des placettes, des tonnelles, des jardins, des patios, des balcons. Vers son ciel d’azur grimpe la plante arborescente, monte la chanson qui court les rues, l’appel d’une voix colorée, d’une mélodie enveloppante, la volute d’un parfum suave ou d’un effluve salin. Sur ses promenades se croisent les figures les plus pittoresques d’une ville cosmopolite.
Matisse, l’homme du Nord, est séduit comme tant de peintres par cette vie chatoyante, mais surtout stimulé par l’écho particulier qu’elle offre à ses propres recherches, partout poursuivies…