Avant-premières
En cette fin du XIXe siècle, le monde est en proie à un mouvement brownien que l’image, encore coincée dans ses cadres fixes, piaffe d’impatience à suivre mais dont elle demeure impuissante à rendre l’animation autrement que par séquences. L’énergie cinétique bout cependant au cœur des toiles et des photographies, à l’évidence ; mais il manque ce continuum dont l’idée est plus que dans l’air depuis les rouleaux peints de Carmontelle* et banalement à l’œuvre dans tant d’objets à entraînement mécanique. Eh bien, c’est qu’il était temps d’inventer le cinéma, conclura le technophile pressé et peu soucieux, à l’heure du 4K, de remonter à la lampe à huile qui éclairait la lanterne magique : Eastman à la pellicule, Edison-Dickon à la caméra, les Lumière à la manivelle grand public et Méliès aux trucages, voilà bien toute l’histoire, non ? Sauf qu’il y manque une étape, d’autant mieux brûlée qu’elle est difficile aujourd’hui à se figurer : l’acceptation du regard.
Celle-ci ne s’est pas faite en un jour, comme en témoigne l’effroi des spectateurs de L’arrivée du train en gare de La Ciotat : il a fait dire à Georges Franju que c’était le premier film d’épouvante, mais c’est déjà l’effet que produisait « la lanterne de peur » de Huyghens en 1659, les fantasmagories de Philidor ou Robertson autour de la Révolution, et les spectacles de « spectres vivants » sur les boulevards de Napoléon III. Le public, d’abord saisi de terreur et chassant à coups de canne ces monstres qui, par grossissement de lentilles et coulissages, lui sautaient au visage, s’est accoutumé au fil du temps à ces phénomènes, et aime à en pénétrer les mystères qui s’agencent entre science et truc. Une bonne partie du chemin d’acceptation est alors faite. Un peu sur des voies de traverse, cependant. Sur les rails du progrès linéaire, ce siècle machinique…