Lumières sur une féerie

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°44 - 15 décembre 2021 (page 66-69)
Information dentaire

La nouvelle exposition du musée d’Orsay ne raconte pas l’histoire du cinéma, mais celle du monde qui l’a vu naître et en grande partie fait naître, en préparant les regards à son avènement. Riche de près de 400 œuvres – tableaux, photographies, films, étonnants objets, documents d’archives, publicités, affiches ou cartes postales –, elle offre une passionnante plongée au cœur de son principal moteur : le mouvement, tel que l’œil s’est peu à peu formé à le percevoir dans une société urbaine en mutation permanente, avant l’entrée en scène des merveilleux fous filmant dans leurs drôles de machines.

Avant-premières

En cette fin du XIXe siècle, le monde est en proie à un mouvement brownien que l’image, encore coincée dans ses cadres fixes, piaffe d’impatience à suivre mais dont elle demeure impuissante à rendre l’animation autrement que par séquences. L’énergie cinétique bout cependant au cœur des toiles et des photographies, à l’évidence ; mais il manque ce continuum dont l’idée est plus que dans l’air depuis les rouleaux peints de Carmontelle* et banalement à l’œuvre dans tant d’objets à entraînement mécanique. Eh bien, c’est qu’il était temps d’inventer le cinéma, conclura le technophile pressé et peu soucieux, à l’heure du 4K, de remonter à la lampe à huile qui éclairait la lanterne magique : Eastman à la pellicule, Edison-Dickon à la caméra, les Lumière à la manivelle grand public et Méliès aux trucages, voilà bien toute l’histoire, non ? Sauf qu’il y manque une étape, d’autant mieux brûlée qu’elle est difficile aujourd’hui à se figurer : l’acceptation du regard.

Celle-ci ne s’est pas faite en un jour, comme en témoigne l’effroi des spectateurs de L’arrivée du train en gare de La Ciotat : il a fait dire à Georges Franju que c’était le premier film d’épouvante, mais c’est déjà l’effet que produisait « la lanterne de peur » de Huyghens en 1659, les fantasmagories de Philidor ou Robertson autour de la Révolution, et les spectacles de « spectres vivants » sur les boulevards de Napoléon III. Le public, d’abord saisi de terreur et chassant à coups de canne ces monstres qui, par grossissement de lentilles et coulissages, lui sautaient au visage, s’est accoutumé au fil du temps à ces phénomènes, et aime à en pénétrer les mystères qui s’agencent entre science et truc. Une bonne partie du chemin d’acceptation est alors faite. Un peu sur des voies de traverse, cependant. Sur les rails du progrès linéaire, ce siècle machinique…

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