La santé, ça se cultive !

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire
Information dentaire
Si la santé est sous les feux de l’actualité, la prise de recul, y compris dans la très longue durée, souligne sa place de toute éternité centrale dans nos préoccupations.
Touchante sollicitude envers un individu ou solidarité vitale pour le groupe, les preuves sont là pour démontrer que les hommes ont toujours fait de la santé une priorité.
Venus de la nuit des temps, les vestiges archéologiques témoignent en effet des soins que se prodiguaient nos ancêtres, tant par des gestes audacieux pratiqués dans l’urgence que par des actes thérapeutiques ou prophylactiques : réductions de fractures, amputations, trépanations, mais aussi bandages, onguents, emplâtres, médications diverses…sans oublier les interventions dentaires, les pansements et l’entretien de l’hygiène buccale. Encadrant le Congrès de l’ADF, trois manifestations font écho à son thème cette année.
Le Musée de l’Homme, superbement rénové, présente dans son Balcon des Sciences une exposition-dossier intitulée « Sur les Traces de la Santé », en préambule à son tout prochain colloque « Archéologie de la santé, anthropologie du soin », à la fin du mois. De son côté, le Palais de la Découverte fait, avec humour, toute la lumière sur les mécanismes de la contagion à travers son exposition « Viral, du microbe au fou rire, tout s’attrape ». Où il est question d’infections mais aussi d’émotions contagieuses et même de rumeurs pernicieuses…

Aux racines des bonnes pratiques. Que sait-on de la manière dont les adeptes du vrai régime paléolithique traitaient, non seulement les traumatismes, mais aussi les pathologies et même le handicap ? Beaucoup de choses en réalité, grâce à la multiplicité et à la complémentarité des approches réunies au Musée de l’Homme : archéologie funéraire, anthropobiologie et paléopathologie principalement, complétées par les éclairages de la médecine contemporaine, de l’ethnologie et de la primatologie. Fidèle à sa vocation de médiation, le musée ne confronte pas le public à une masse de connaissances inorganisées. L’objectif de son tout nouveau (et chic) Balcon des Sciences est au contraire de les synthétiser pour offrir des « aperçus » justement nommés, très accessibles via des bornes interactives et d’élégants caissons-vitrines. Dans cet espace en prise directe avec la recherche, et aidé des objets, textes, animations, multimédias, on se bâtit vite un « état de l’art » aussi actuel que digeste. Pilotant soi-même sa découverte parmi divers niveaux d’information, on peut aussi approfondir un domaine en s’adressant à un médiateur. Organisée en modules couvrant différentes périodes, l’exposition se penche sur les traces de la santé à travers quatre thématiques : Des médecines du passé / Prendre en charge le handicap / Lire les maladies dans les os / Des corps marqués par la vie. Certaines de ces traces sont particulièrement éloquentes (l’avant-bras d’un pré-Néandertalien déformé par ses activités), étonnantes (un humérus amputé au Néolithique, attestant d’une maîtrise chirurgicale) et émouvantes (l’appareillage de la Dame de Bobigny, sorte de couffin pour soulager une handicapée gallo-romaine, sans doute atteinte de myosite). On rencontre même des situations extravagantes : des cas qui, non soignés, évoluent d’une manière et jusqu’à un point que les praticiens n’ont jamais vus, témoignant de l’extrémité où le patient a pu aller faute de recevoir des soins aujourd’hui banals mais ignorés alors. Et les dents, dans tout ça ? Mais elles sont en première ligne, prêtes à livrer une foule de réponses à qui sait les scruter.

Le graal du tartre. L’expression est du Docteur Alain Froment, intarissable sur le sujet et que les questions d’un béotien ne rebutent pas. L’os en général est l’archive où s’est déposée toute l’histoire d’une personne, explique-t-il, mais les dents sont un formidable conservatoire : on y lit l’état de santé général d’un individu ou d’une population ; leur état renseigne sur les pathologies et les habitudes alimentaires, elles présentent des signatures isotopiques qui livrent l’âge du sevrage par spectrométrie de masse, et c’est dans les cavités pulpaires qu’on prélève l’ADN… Le musée abrite d’ailleurs un grand nombre de mandibules, dont Arago 13 à l’unique molaire, trouvée à Tautavel et vieille de 440 000 ans, ou celle du « Hobbit » aux six dents, découverte il y a deux ans à Mata Menge (Florès) et datée de 700 000 ans, qui a permis d’établir que l’Homme de Florès descendait aussi d’Homo Erectus. Outre les questions de datation et de filiation, l’étude de l’aspect de la dent et de son émail est précieuse ; on sait par exemple que les caries sont rares avant l’agriculture et surtout avant l’apparition du sucre. Mais l’auxiliaire de recherche numéro un, c’est le tartre dentaire, notamment parce qu’il emprisonne des phytolithes d’où l’on déduit l’alimentation. Et aussi, complète Pierre Penicaud, parce qu’on y retrouve des traces de plantes médicinales, comme celles utilisées par un homme de Néandertal : l’Achilée Millefeuille pour ses vertus cicatrisantes et la Grande Camomille contre les névralgies. Toutes ces preuves, tangibles, non seulement de pratiques de soins individuelles mais de prise en charge collective de la santé se révèlent très troublantes : du fond des âges elles nous font parvenir un message, d’altruisme, d’esprit communautaire et de dévouement. D’authentiques bonnes pratiques, en somme…

Exposition
« Sur les traces de la santé »,

réalisée en partenariat avec l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), sous l’égide
d’Alain Froment, médecin et anthropologue au Muséum national d’Histoire naturelle, et d’Hervé Guy, archéo-anthropologue à l’Inrap. Jusqu’au 24 avril 2017.
Une introduction idéale à la redécouverte du nouveau Musée de l’Homme, totalement modernisé, un an après une réouverture très attendue qui a déjà attiré plus de 410 000 visiteurs.

Comment une société se protège-t-elle des atteintes physiques et biologiques ?
Telle sera la question au cœur des débats réunissant une vingtaine d’archéologues, médecins, anthropologues, historiens et sociologues. « Il ne s’agit pas, précise Alain Froment, co-organisateur, de raconter l’histoire de la médecine ou des épidémies, ni de dresser l’inventaire des découvertes archéologiques. Dans une approche pluridisciplinaire, ce colloque aborde la sociologie des soins, des primates à aujourd’hui, dans les sociétés sans écriture pour lesquelles les seules archives sont les indices du sol. » Modes de vie, états sanitaires des sociétés, écart entre guérison et soulagement, regard sur le handicap… tous les paramètres sont à croiser, tant il est vrai que « selon les époques et les groupes humains, une même pathologie ne fait pas un même malade ».

Colloque
« Archéologie de la santé, anthropologie du soin »

Les 30 novembre et 1er décembre, auditorium Jean Rouch du Musée de l’Homme.
Inscriptions closes mais captation prévue.

Histoire des maladies : les morts au service des vivants
Conférence de Philippe Charlier le 21 novembre à l’auditorium Jean Rouch.


Virologie et viralité. L’épidé-miologiste, l’informaticien et le communiquant sont dans la même nef, au Palais de la Découverte. Qu’est-ce qu’ils se disent, ayant chacun sa vision du viral et voulant soit stopper, soit encourager sa propagation ? Avec malice, cette exposition fait le tour de la question à travers trois grands thèmes (Qu’est-ce que la contagion ? / La diversité de la contagion / Nous sommes contagieux). Déployant une scénographie immersive et ludique, riche de 24 éléments interactifs, Viral se propose de décrypter les multiples aspects et mécanismes de la contagion, des maladies infectieuses aux bâillements, du fou rire à la rumeur, du bug du millénaire à l’influence des réseaux sociaux sur nos comportements. Car, si la contagion est d’abord un phénomène biologique, c’est aussi un processus émotionnel et, par extension, social. Dans tous les cas, la force du virus, sa dynamique, sa capacité à muter, à déjouer les obstacles et à pénétrer au cœur des systèmes humains ou informatiques, ont sur notre époque un pouvoir de fascination qui aujourd’hui doit plus à Matrix ou au marketing de la PlayStation qu’à Pasteur.

Bugs, buzz, brr…
Peu de sujets d’effroi alimentent autant l’imaginaire collectif et nourrissent mieux les fantasmes que la propagation – forcément inexorable – d’un virus. On ne compte plus les films dont c’est le ressort depuis les débuts du cinéma, sur un canevas à jamais immuable : accident de laboratoire, dispersion de créatures effrayantes, acmé de la menace et écrasement du monstre (ou calcination, désintégration, autodestruction, enfin c’est selon…). L’observation, grossie au microscope, de cultures de souches est certainement l’origine de cet archétype, sur le plan de l’image. Mais la compréhension du mécanisme même de la contagion proliférante s’est révélée bien plus redoutable pour notre psychisme : il n’est plus nécessaire de montrer les horribles bébêtes, Alien l’a bien prouvé dans certains opus. L’informatique puis le virtuel sont venus à point nommé pour renouveler le genre : la transposition du danger était un jeu d’enfant mais elle a changé radicalement la représentation du virus. De grossi, il s’est re-miniaturisé pour s’introduire dans les ordinateurs, avant d’exercer sa menace de façon totalement fantomatique. Ce qui prime aujourd’hui dans les fictions, c’est le rapport entre l’infimité de la cause et la vitesse de diffusion de ses effets à l’échelle planétaire. Comment, dans un tel contexte de contamination des esprits, ne pas faire l’amalgame entre le bug de l’an 2000, les risques de pandémie de Zika, le hacking des données de la NSA (National Security Agency) ou les 387 millions de dollars perdus par le laboratoire Ariad pour les 114 caractères du récent tweet de Bernie Sanders ?

Rumeurs malignes. Mutatis mutandis, on peut toujours corriger le tir et parfois inverser l’effet d’un message parti trop vite. On joue sur les mots, faits pour ça, et le voilà qui troque sa charge virale infectieuse contre un record de likes. C’est acrobatique, mais celui qui y parvient se voit crédité d’une sacrée santé ! Contre une vidéo, c’est plus compliqué, ce n’est pas Donald Trump qui dira le contraire (quoique…). Il y a des vidéos plus létales que la grippe espagnole. Sans même songer ici aux effets contaminants d’images insoutenables, on peut difficilement lutter contre une vidéo bad buzz dans un monde qui subordonne l’identité d’un individu à son empreinte numérique, qui exige de lui une e-reputation pour exister (quelques cas de résistance à l’infection sont rapportés, mais restent isolés, forcément), et sans taches qui puissent rejaillir sur les autres. Peut-on malgré tout s’en prémunir ? Peut-on, d’ailleurs, déterminer à l’avance si une vidéo deviendra virale ? Connaît-on les raisons de la viralité, ses caractéristiques récurrentes, ses critères de réussite ? Oui, mieux, en parcourant cette exposition qui réunit exemples historiques et scientifiques pour comprendre comment naissent et se répandent les rumeurs, comment des échos, colportés plus ou moins innocemment ou carrément déformés, ont un impact bien réel – y compris pathologique – sur des personnes et sur la société.

Le rire, c’est contagieux ! Vous pourrez en faire l’expérience sur place (après celles du tunnel aux microbes géants, de la balance à bactéries, du jeu de contagion, des modèles mathématiques et de tant d’autres dispositifs de géosciences, biologie, chimie, astronomie…). Eh oui, de même qu’il suffit de voir un bâillement pour bâiller, le rire déclenche le rire, et même le fou rire, et tout ça c’est de la contagion. En plus, c’est ancestral, paraît-il ; l’homo sapiens était ridens, déjà, et de toutes ses dents. Aristote, Rabelais, Bergson ou G.B. Milner n’ont pas dit autre chose, mais l’anthropologie l’atteste : c’est un comportement social qui dépasse le contrôle individuel, et tout se rapporte au cortex pré-moteur. Dans le même registre, d’autres expériences vous attendent : outre le rire collectif et les bâillements, vous pourrez déclencher des applaudissements et des mouvements de foule. À vous de choisir le meilleur entraînement en vue du Congrès. Attention, vous serez pris en photo en pleine action, pour une collection de sourires. Le rire c’est la santé, mais vous avez une réputation de sérieux à tenir. Enfin, tenir… ?

Viral. Du microbe au fou rire, tout s’attrape
Palais de la Découverte. Jusqu’au 27 août 2017
Exposition conçue et réalisée par Ciencia Viva à Lisbonne, en coproduction avec Universcience et Heurêka à Helsinki.

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