Au commencement était la femme
Sapiens ne consacrait pas alors qu’un jour par an à lui reconnaître une place, une image, des prérogatives, des pouvoirs : il y travaillait des journées entières, gravant, sculptant ou polissant ces statuettes dites aujourd’hui Vénus.
Ce qu’elles expriment reste indécidable. Avec ses 27 000 ans, celle de Lespugue est regardée comme le plus vieil emblème d’une féminité liée à la fécondité – c’est en tout cas dans ce sens que l’opinion commune interprète ses rondeurs généreuses. Mais des sens, on peut en trouver d’autres, surtout quand on tourne et retourne sa forme losangée de carte à jouer. Le geste qui l’a créée peut fort bien être d’inspiration plus polysémique, traduire autant un idéal de beauté ou un désir sensuel, qu’une vénération, une recherche de conciliation et d’intercession auprès de forces figurant la fertilité, de la femme ou de la terre pourvoyeuse de vie et de ressources. Mais ce geste peut aussi résulter, déjà, de cet énigmatique élan qui porte à la création artistique, et c’est alors bouleversant d’en reconnaître la présence dès l’origine dans les us des hommes, sinon dans leurs gènes. Aucune hypothèse n’est à écarter, et d’autres peuvent se faire jour selon l’évolution sociale du regard. En effet, au cœur de cette exposition qui radiographie une production née il y a 40 000 ans, la Vénus de Lespugue et ses sœurs nous interrogent de plus belle à l’heure où stéréotypes liés au genre et biais cognitifs sont battus en brèche. L’approche s’en trouve renouvelée, déconditionnée : on s’avise que ces premières œuvres d’art façonnées de main d’homme peuvent provenir de celles d’une femme, exprimer la pleine réalisation d’une féminité plurielle, non essentialisée ou réduite à une fonction unique.
Lors de la découverte de Lespugue voici tout juste 100 ans, personne n’aurait vu ainsi cette matrone rhomboïde…