Visions en abyme d’un voyageur dans l’âme
Il y a de tout : des petits croquis saisis lors de séances à l’Académie, distraitement comme un écolier riant sous cape dans son cahier, des caricatures marquées de ce grotesque qu’il oppose au sublime, des cathédrales où sommeillent les futures arches de Notre-Dame, des châteaux où s’accroche un rêve de roman hugothique à jamais resté dans les ténèbres. Et puis des tempêtes, bien sûr**. Grande affaire là encore pour lui, née bien longtemps avant Guernesey et en particulier à la faveur de l’une de ses escapades avec Juliette Drouet, en 1836. Cet été-là, le peintre Célestin Nanteuil lui a fait prendre la suite de son calepin, en y laissant les premières feuilles déjà utilisées où Hugo pourra trouver un modèle à suivre, égaler ou dépasser, au gré de son périple breton et normand. Après les forts remparts crénelés de Fougères et la dentelle médiévale de ses toits et jardins, après Saint-Malo et le Mont-Saint-Michel, la muraille des falaises du Pays de Caux est pour lui comme un autre chemin de ronde ponctué de tours de guet et de révélations. Hugo s’abîme dans les réflexions qu’ouvre le gouffre sous ses pieds. La craie inspire le crayon, le bouillonnement alimente le lavis, et il noie le tout dans l’encre douteuse et le mauvais papier d’auberge dont les défauts cumulés réservent des aléas et surprises dont il tire un parti très créatif. Peut-être même faut-il voir là les prémices d’une pratique expérimentale laissant agir volontairement le hasard pour observer ce que ça « donne » et le corriger sinon diriger.
Très vite en tout cas, le style de Hugo se dessine : clairs-obscurs marqués, contrastes profonds, mystères de voûtes ombreuses serties de contreforts massifs, flanqués de ponts et de marches et hérissés de frêles flèches blêmes. Une même atmosphère tourmentée nimbe le tout, unifiant l’Aiguille d’Étretat et le Burg du Rhin…