Le voyageur de l’étrange
La jeunesse de Chirico (prononcé Kirico, à l’italienne) est aussi cosmopolite que sa famille, d’origine ottomane, qui l’a fait naître et s’élever en Grèce avant de se transplanter à Munich l’année de ses dix-sept ans, en 1905. Après quelques séjours à Milan, Rome, Florence et une visite de Turin doublement marquante – il arpente la ville aux arcades dans les pas de Nietzsche qui y fut saisi de démence –, Giorgio de Chirico s’établit peintre à Paris en 1911. À vingt-trois ans, pétri de culture antique, de mythologie, de philosophie allemande et d’européanité, la question de la nationalité lui est assez étrangère : il vient de partout et son art puise à des sources multiples et lointaines, distinctes en tout cas de celles qui influencent ses confrères.
Cette originalité frappe aussitôt Apollinaire : « L’art de ce jeune peintre est un art intérieur et cérébral qui n’a point de rapport avec celui des peintres qui se sont révélés ces dernières années. Il ne procède ni de Matisse ni de Picasso, il ne vient pas des impressionnistes », écrit dès 1913 le poète qui parle de « peintures étrangement métaphysiques » et y intéresse le marchand Paul Guillaume. Voilà de Chirico et sa peinture métaphysique lancés par ce trouveur de mots qui invente, dans le même temps, celui de surréalisme. Et d’ailleurs, le peintre va d’emblée être encensé par le mouvement qui, autour de Breton, s’habillera plus tard de ce nom et crèvera de dépit de ne pas le voir rallier ses rangs.
C’eût été une recrue de choix car de Chirico, qui par antériorité, indépendance et dédain, ne se déclarera jamais surréaliste, a fourni au groupe en gestation de nombreux brins d’ADN. Parmi lesquels, à l’évidence, le climat insolite chargé de silence et de mystère diffus, l’onirisme et « l’inquiétante étrangeté » freudienne, ainsi que les jeux de rapprochements hors logique…