Un certain « Je dirais même plus »
Ouvrir un album de Tintin, c’est entrer dans un univers qui ne quitte plus le lecteur, qu’il ait 7 ou 77 ans. C’est à vie que ces planches le marquent, et cela très au-delà de l’intrigue, aussi riche en rebondissements qu’elle soit. Parce que les images font bien davantage que servir et illustrer les péripéties : c’est même parfois à leur détour qu’elles imprègnent la sensibilité et s’impriment dans la mémoire. Une vignette, indépendamment de son rôle toujours essentiel et indispensable au récit, suffit à camper une atmosphère qui raconte sa propre histoire par la porte qu’elle ouvre dans l’imaginaire. On n’a jamais mieux marché sur la Lune qu’avec Tintin, c’est l’exemple le plus fort, mais jamais mieux vogué non plus vers une Île Noire, une Étoile Mystérieuse, une Licorne engloutie, un temple noyé de jungle. On y est, c’est certain, et en même temps on est ailleurs, embarqué dans son propre voyage par un détail, un climat, un rien. Les paysages et personnages d’Hergé possèdent la faculté rare entre toutes de s’offrir à la pleine et entière appropriation personnelle tout en créant une communauté de perception. Chacun a son Nestor, ses Dupondt ou son Tchang, mais tout le monde gravite autour du même Tournesol, épouse les humeurs d’Haddock et se retrouve chez soi à Moulinsart. Par un phénomène aussi étrange qu’universel, tout lecteur fait immanquablement la même expérience : il s’absorbe, rêveur et fasciné, dans la galerie de portraits des pages de garde qui ouvrent et ferment chaque aventure, sûr que la prochaine en surgira, par un ressort encore ignoré mais qui fatalement s’y trouve déjà en place et qu’il pourrait détecter d’un œil sagace, sinon déclencher en le touchant du doigt.
Eh bien, c’est très exactement sur ce secret et intime mécanisme que repose la nouvelle invention de l’Atelier des Lumières, tout droit sortie de…