Situation
Je reçois un patient majeur qui présente une carie importante sur la dent 35 à l’origine de douleurs continues et insomniantes. Or, il ne mange ni ne boit pour respecter une période de jeûne auquel il s’astreint.
Réflexions du Professeur Hervé Blocquel
Membre du Comité national odontologique d’éthique
Comment répondre à nos responsabilités médicales tout en respectant l’intérêt et les convictions du patient ? Comment répondre aux diversités culturelles, tout en continuant à appliquer des soins avec rigueur et selon les données acquises de la science ? Quels sont les principes et les précautions à respecter ?
L’examen préalable du patient
Avant de soigner, il est nécessaire de connaître le motif de la consultation : la dent, la douleur, l’état de fatigue ? Suivront l’histoire de la maladie, et les antécédents du patient.
Par ces motifs et le jeu de questions-réponses se mettent en place un dialogue et une communication objective et surtout compréhensible. L’empathie du praticien et l’intérêt qu’il porte aux réponses, les précisions apportées par le patient, permettent de capter son attention, de gagner sa confiance et de s’assurer de la parfaite compréhension des propos tenus par le praticien.
Passer directement à un « diagnostic sémiologique » et, pire encore, à un traitement symptomatique, éveillera pour le patient une peur de ne pas avoir été compris et, par voie de conséquence, une méfiance vis-à-vis du praticien, pouvant aller jusqu’au rejet.
Lorsque ce lien est créé, il est aisé pour le praticien de commencer sa recherche séméiologique. Pour être complet, et continuer à capter l’intérêt du patient, nous faisons passer notre interrogatoire et nos observations par une recherche organisée autour des vocables : qui, que, quoi, où, quand, comment, pourquoi.
Cette anamnèse est axée sur les côtés dérangeants, principalement la douleur, sa spécificité et, dans ce cas précis, la douleur insomniante. Quantifier la valeur de cette douleur est à ce stade indispensable pour trouver les facteurs aggravants, les gênes et les conséquences occasionnées par la dent. L’examen de la bouche est systématique, pour s’attarder ensuite sur la dent causale. Elle fera elle-même l’objet d’un examen minutieux qui sera complété par un examen radiographique, à la fois pour confirmer la séméiologie et avoir à disposition un support pour expliquer notre thérapeutique. Cet examen complémentaire est indispensable et apportera la preuve de la recherche de l’information préalable au consentement éclairé du patient.
Le diagnostic et le plan de traitement spécifique
La rigueur apportée au déroulement des examens permettra au praticien de poser un diagnostic positif, étiologique et différentiel, de mettre en évidence les facteurs aggravants, en particulier les douleurs insomniantes, et de rechercher les origines de l’état de fatigue.
C’est à ce stade que le jeûne intensif sera mis en évidence par l’état de sécheresse buccale, la qualité de l’haleine, le degré d’attention du patient, son état d’épuisement. Cette prise de conscience par le praticien va lui permettre de situer son niveau d’explications, ses orientations thérapeutiques, et de pouvoir les adapter à la spécificité du cas en évitant de proposer un protocole opératoire préétabli. À ce stade aussi, le praticien doit envisager les conséquences d’un refus de soins (infection locale potentiellement évolutive, notamment en cas de terrain général fragilisé).
L’opération communication : information préalable, principe et précautions à respecter
C’est maintenant que l’opération de communication devient essentielle. Quelles solutions trouver pour soulager ce patient ? Dans quelles conditions ? Selon quelles règles respectueuses de son mode de vie ? Quelle est la limite de l’acceptable pour lui, sans gêner le déroulement de la thérapeutique ?
En s’appuyant sur le diagnostic et sur les documents radiographiques, commence, patiemment, l’explication objective de la thérapeutique qui aboutira à un soulagement et soignera correctement la dent. La solution adaptée au cas de la dent et des signes associés locaux, régionaux, généraux sera apportée avec des mots simples, des explications précises, des limites et des justifications fondées. Il faut aussi expliciter l’utilité et l’impérieuse nécessité du traitement et les conséquences prévisibles en cas de refus.
L’esprit de la communication
Ce type de communication dans un cadre relationnel satisfaisant facilitera la confiance du patient et réduira le risque contentieux imputable à l’insuffisance du consentement éclairé. Un dossier complet associé à des examens complémentaires apportera une preuve supplémentaire à cette recherche du consentement éclairé. C’est dans cet état d’esprit, cette éthique humaniste reposant sur les fondamentaux, la sensibilité et l’émotion que nous respecterons notre serment d’Hippocrate et que nous éviterons de nous transformer en intelligence artificielle.
Réflexions du Docteur François Paysant
Maître de conférences à la faculté de médecine de Grenoble – Praticien Hospitalier
Comme les propos introductifs le rappellent : les professionnels de santé ne doivent faire aucune exception au principe de non-discrimination.
La question qui est posée : le jeûne rituel est-il de nature à amender ce principe ?
Le professionnel doit mettre en œuvre les soins conformément aux données actuelles de la science, plus précisément aux bonnes pratiques professionnelles. Respecter les bonnes pratiques professionnelles pour chacun est la garantie de ne faire aucune discrimination. Comment pourrait-on accepter que l’on emploie une technique moins performante pour une catégorie de patient ?
Dans le cas présenté, c’est-à-dire une carie dont les soins nécessitent de mettre de l’eau en bouche, il nous semble que la technique utilisée ne doit pas être modifiée, pour des raisons de qualité du soin. Les quelques centilitres d’eau, même s’ils sont avalés (ou recrachés), ne sont pas de nature à dénaturer l’esprit du jeûne rituel, ils ne dénaturent pas la restriction sur le plan physiologique ni l’effort de privation auquel le jeûneur s’astreint. Cela devient symbolique ; libre à chacun d’estimer la place de ce symbolisme dans la pratique de sa religion. Le patient sera confronté à sa propre décision, soit il considère que, par la douleur de la carie, cela constitue une maladie grave et donc un motif de report de jeûne, soit il considère que sa carie ne peut constituer une cause de report de jeûne, et dans ce cas il fait disparaître l’indication urgente de la traiter durant la période de jeûne.
Il n’en demeure pas moins que le professionnel de santé devra, lors de l’information qu’il doit à son patient, lui expliquer la technique et lui demander un consentement express pour éviter de se trouver dans un conflit en plein soin. En médecine, il est préconisé de discuter des traitements un mois environ avant le début du jeûne. En matière de soins dentaires, cela ne peut se faire qu’en début de séance ; cette discussion doit toujours être menée avec tact.
** Ancien président du Comité consultatif national d’éthique, conférence organisée par la Mutuelle complémentaire de la Ville de Paris et de l’Assistance publique (MCVPAP), le 15 octobre 2015.
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