Cardiologues et parodontistes : dialogue européen pour actualiser les connaissances

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire n°11 - 18 mars 2020
Information dentaire
Les 18 et 19 février 2019, la Fédération Européenne de Parodontologie (EFP) a organisé, conjointement avec la World Heart Federation (WHF), une conférence de consensus pour réévaluer les preuves de l’association entre maladies cardiovasculaires et parodontite. La précédente conférence de consensus datait de 2012 et ne réunissait que l’EFP et l’Académie Américaine de Parodontologie (AAP, États-Unis).
Ainsi, 21 experts, cardiologues et parodontistes, se sont rassemblés à Madrid dans le but de produire un document commun. Des recommandations ont été émises, non seulement pour le monde médical (médecins et odontologistes), mais aussi pour les malades et les pouvoirs publics.

Quatre revues systématiques ont servi de base aux experts. La première est centrée sur les associations épidémiologiques. La deuxième explore la plausibilité des mécanismes biologiques, la troisième rapporte les études d’intervention. Enfin, la quatrième traite des risques et des complications potentiels chez les patients sous anti-thrombotiques (agents antiplaquettaires et anticoagulants) nécessitant un traitement parodontal. Ce dernier point ne sera pas traité ici, chaque pays ayant des recommandations détaillées relativement spécifiques.

Cette conférence de consensus, destinée à être publiée dans des revues scientifiques à comité de lecture, est disponible en anglais dans le Journal of Clinical Periodontology et dans Global Heart, journal officiel de la World Heart Federation dont l’objectif est la prévention et le contrôle des maladies cardiovasculaires dans le monde. La France était représentée par le Dr Jean-Baptiste Michel, cardiologue et directeur de recherche INSERM (UMRS 1148), et le Pr Philippe Bouchard, parodontiste (Université de Paris, Hôpital Rothschild AP-HP). Nous résumons ici les grandes lignes de cette conférence.

Preuves épidémiologiques

Le premier constat a été d’observer, au cours des cinq dernières années, l’importance qualitative et quantitative de l’information scientifique, tant épidémiologique que biologique, venant consolider la preuve d’une association indépendante entre la parodontite sévère et plusieurs maladies non transmissibles, en particulier cardiovasculaires. Il existe en effet des preuves épidémiologiques robustes témoignant du lien entre parodontite et cardiopathies ischémiques, la prévalence de l’infarctus du myocarde étant accrue chez les patients atteints de parodontite. On observe aussi un taux d’AVC plus important et une plus grande mortalité cardiovasculaire chez ces patients. Les malades atteints de parodontite ont une prévalence plus élevée de maladie cardiovasculaire subclinique (dysfonction endothéliale) que les non-malades. Concernant l’association entre parodontite et artérite des membres inférieurs, le niveau de preuve épidémiologique existe mais reste limité. Encore plus limité est le lien avec la fibrillation atriale. Le risque de récidive d’un infarctus du myocarde chez un patient atteint de parodontite n’a pas été mis en évidence jusqu’à aujourd’hui.

Liens biologiques

L’étude des mécanismes biologiques associant parodontite et maladies cardiovasculaires repose en partie sur un risque plus élevé de bactériémie en cas d’inflammation gingivale. Cette inflammation, lors d’une parodontite, autorise le passage de bactéries à facteurs de virulence élevés dans la circulation sanguine. Les études montrent la présence d’ADN et des sous-produits de ces bactéries dans les plaques d’athérome. Des parodontopathogènes comme Porphyromonas gingivalis ou Aggregatibacter actinomycetemcomitans ont démontré leur viabilité dans des cultures de plaque d’athérome. Des modèles animaux ont montré que ces pathogènes parodontaux pouvaient promouvoir la formation des plaques d’athérome. Le caractère chronique et inflammatoire des parodontites entraîne la production locale et à distance de molécules pro-inflammatoires. On observe aussi une augmentation du fibrinogène plasmatique (prédictif du risque d’accident cardiovasculaire) chez les patients atteints de parodontites. Les neutrophiles périphériques des patients atteints de parodontite produisent aussi un taux plus élevé de dérivés réactifs de l’oxygène et de protéase que ceux des patients sains. Enfin, maladies parodontales et maladies cardiovasculaires partagent certains facteurs génétiques (polymorphismes) qui expliqueraient des réactions immunologiques communes.

Effet du traitement parodontal

Une association tend vers la causalité lorsqu’elle est confirmée par des études intervention démontrant que le traitement d’une maladie a un effet sur celle à laquelle elle est susceptible d’être associée. Les travaux publiés sur la prévention primaire se limitent à des études d’observation sur de larges populations extraites de registres ou d’enquêtes nationales. Il est effectivement presque impossible de mettre en œuvre des essais cliniques randomisés de puissance adéquate (c’est-à-dire incluant un grand nombre de sujets) en raison des problèmes d’éthique, de méthodologie et de coûts inhérents à ce type d’investigation. Néanmoins, on observe de façon constante au cours du temps une diminution de l’incidence (nouveaux cas) d’événements cardiovasculaires (infarctus du myocarde et AVC) en cas d’hygiène dentaire satisfaisante (brossage), de visites dentaires régulières, d’actes réguliers de prophylaxie (détartrage) et de traitement parodontal. Ces études sont toutes comparées à des groupes contrôle (enquêtes ou études cas-contrôle). De façon intéressante, ces études sont menées dans de nombreux pays et les résultats vont toujours dans le sens d’une réduction de l’incidence des événements cardiovasculaires. En résumé, la progression de la maladie athéromateuse et de ses complications pourrait être impactée par un traitement parodontal efficace (suppression de l’inflammation, c’est-à-dire du saignement au sondage et absence de poche parodontale > 4 mm) indépendamment du contrôle des facteurs de risque traditionnels des maladies cardiovasculaires. En ce qui concerne la prévention secondaire, aucune étude à ce jour ne permet d’affirmer ou de réfuter le bénéfice du traitement de la parodontite pour prévenir ou retarder la récurrence d’événements cardiovasculaires. Enfin, l’effet du traitement de la parodontite sur les marqueurs biologiques des maladies cardiovasculaires semble modéré mais réel.

Les experts ont souligné le rôle des statines dans la prévention des maladies cardiovasculaires via la diminution du LDL cholestérol. Certains travaux ont cherché à montrer le rôle positif des statines dans le traitement de maladies parodontales, laissant entendre que les patients sous statines seraient protégés du risque parodontal. Deux méta-analyses récentes n’ont pu mettre en évidence ce rôle positif.

Concernant l’augmentation du risque cardiovasculaire suite à un traitement parodontal non chirurgical, le groupe d’experts a conclu, après examen attentif de la littérature, que ce dernier était sans risque. De même, chez les patients avec un risque cardiovasculaire avéré, le traitement parodontal peut être entrepris sans augmenter ce risque, dans le respect des recommandations professionnelles.

Informer les patients

Sans entrer dans le détail des recommandations, les experts ont souligné la nécessité d’informer les patients de l’association entre maladies cardiovasculaires et santé orale en général et parodontite en particulier. Cette information doit être dispensée tant par les médecins que par les odontologistes. Chez les patients atteints de maladie cardiovasculaire nécessitant un traitement parodontal, plusieurs séances de 30 à 45 minutes sont préférables à une technique de désinfection globale pratiquée en 48 heures afin d’éviter un pic de bactériémie et l’inflammation systémique qui en découle. Chez ces patients, les odontologistes doivent insister particulièrement sur l’enjeu des visites régulières et de la prévention individuelle par brossage dentaire biquotidien. Les experts de diffuser l’information aux malades dans les cabinets de cardiologie et de médecine en général à l’aide de flyers expliquant les méthodes de prévention des maladies orales.

Pour conclure, il existe (1) des preuves épidémiologiques de l’association entre parodontite et maladie athéromateuse, (2) une cohérence mécanistique au lien biologique, (3) un bon niveau de preuve montrant que le traitement parodontal a un effet préventif bénéfique. Il n’existe donc plus aujourd’hui de raison de douter de l’association. Le lien de causalité n’est cependant pas encore établi. Il convient donc, en l’absence de preuve tangible, de ne pas inquiéter les malades en les informant, mais ne pas les informer de l’association serait une faute en regard des connaissances actuelles.

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