De Funès, « comique national »*
Tambour battant, cette exposition et son catalogue font revivre dans toute sa verve la star du rire avec un vrai propos : montrer comment le parcours de l’acteur suit pas à pas les changements de pied d’une « certaine idée de la France », gouvernée au sommet dans un esprit de sérieux et de force, mais travaillée à tous les étages par un esprit critique porté à voir la farce du pouvoir et à rire sans entrave.
D’un côté la vision autoritaire, de l’autre le désir libertaire : on composa, et l’acteur y aida.
Personne n’incarne mieux le contraste de cette France des Trente Glorieuses roulant vers la modernité en DS escortée de pompe officielle et lestée de casseroles brinquebalantes. Le pays qui se rêvait en gloire sentait comme lui le besoin réflexe de l’égratigner, d’en voir le ridicule avant qu’il ne la tue, comme si la grandeur demeurait fallacieuse et qu’il fallait, pour mieux en éprouver la solidité, ébranler par le rire les piliers des chantiers ambitieux. Ce pays outragé, martyrisé mais libéré, cette France du Général dont l’élite avait tendu un regard saint-cyrien vers le bleu horizon aimait le frotter aux bleus dérisoires du particulier. On avait voulu l’ordre, la hauteur, la hiérarchie, mais chacun bricolait à louvoyer, dénigrer, aplatir. Habitués à être écoutés et obéis, les patrons à grands discours voyaient leur autorité remise en cause, leurs exordes discutés, leur personne raillée. Un cran plus bas, le chefaillon se contentait d’une rhétorique des plus binaire : « C’est ça ou la porte ! »
De Funès jouait tout ça très bien. Antithèse du massif Gabin qui, patron ou truand, endossait pleinement la figure de l’autorité patriarcale, il adorait faire le ludion entre clair abus de pouvoir et hypocrite contrition du faux-jeton. Plutôt conservateur par ailleurs, son personnage de tyran conciliant de mauvaise grâce se révélait subversif…