Figure marquante du rayonnement artistique de Fontainebleau autour de sa forêt, sa forte personnalité a réveillé le bois dormant en sonnant joyeusement la diane des conventions. Son caractère libre et entreprenant lui faisait une habitude de prendre les taureaux par les cornes, traçant son sillon avec la calme puissance du bœuf sans se refuser la fougue du cheval jamais vraiment dompté, ni l’écart majestueux du cerf ou l’autorité royale du lion. De grands noms de tous les arts doivent à son flair et à sa fidélité de s’être connus et fait connaître, et les connaisseurs saluent un éventail de dons si peu soucieux de faire la roue.
À quel diable d’animal a-t-on affaire, pour réunir tant de traits de chaque espèce ? On ne peut songer, outre au critique d’art à jamais phénix des hôtes de ce bois, qu’à l’artiste qui a le mieux compris l’âme des animaux dans toute sa diversité, au point de les peindre comme personne, et souvent même comme des personnes : Rosalie Bonheur, dite Rosa. Elle en a cultivé la compréhension intime depuis son enfance baignée d’art à Bordeaux puis Paris, au sein d’une famille qui accueille Goya en exil et où tout le monde est peintre, sculpteur, fondeur d’art. Son père qui l’instruit seul lui a en outre fait découvrir le chant de la terre de George Sand ainsi que, dans la mouvance de l’écrivaine et de Pierre Leroux, les écrits de Lamenais dont elle tire sa conviction que les animaux possèdent une âme, qu’elle saura scruter dans leur regard avec une émouvante acuité ralliant tous les suffrages.
Son talent force l’admiration d’un siècle d’hommes enclin à mesurer chichement la place au beau sexe. D’aucuns aimeraient la cantonner dans le genre animalier tenu pour mineur ? C’est impossible. Son art est majeur, elle est majeure. Les deux vérités crèvent les yeux. Rosa Bonheur ne peint pas des biches ou des bichons sur des toiles à décorer les murs. Elle les installe…