À bon port
Depuis les Phocéens venus il y a 2 600 ans y fonder la cité, des voyageurs partis de tous les horizons ont un jour abordé sa calanque, le bien nommé Vieux-Port. Par vagues successives, ils ont apporté sur son sable puis ses quais leur mémoire, leur culture, leurs rêves et c’est de ces sédiments que Marseille est née, inlassablement redessinée au fil des siècles. Pour les archéologues, les historiens, les urbanistes, les sociologues, cette ville – la plus ancienne de France – est un formidable objet d’études, une mine inépuisable. Mais ils sont loin d’être les seuls à creuser le sujet : les ingénieurs s’y emploient depuis toujours, avec une constance défiant le temps et tous les obstacles. Le site en lui-même, stratégique, a très tôt révélé l’évidence de sa vocation portuaire ; son histoire n’est donc qu’une suite ininterrompue et logique d’aménagements au service du même but : optimiser son potentiel en termes d’accessibilité et de capacité, c’est-à-dire s’ouvrir et s’étendre. La ville quant à elle, du fait même de sa position clé, a dû nécessairement s’enclore, se protéger au cœur d’une emprise par ailleurs plus recluse, enserrée dans ses trois massifs.
Port et ville vont ainsi longtemps différer dans la temporalité de leur développement, mais pas dans ce qu’il implique : des travaux gigantesques dans les deux cas. Dès avant la vague d’Hausmannisation commune aux grandes villes, Marseille a produit ses plans d’extension, d’aménagement, d’embellissement, reflets d’une volonté de puissance et d’attractivité, mais aussi de préoccupations hygiénistes hantées par le spectre de la peste et par l’obsession rampante de miasmes mortifères que favoriserait la concentration de l’habitat dans le cadre étroit et sinueux d’une trame médiévale. Débordant ses enceintes, des générations d’ingénieurs ont tranché dans le vif et le dur. Avec des moyens différents…