Comment renforcer la prise en charge des patients éloignés de notre système de santé ? Les causes étant multiples, les solutions le sont également, ont montré les différents intervenants de la première table ronde. Depuis 2021, l’assurance maladie a, par exemple, mis en place avec succès une politique dite du « aller vers ». Mails, appels téléphoniques ou partenariats avec les associations et les collectivités locales pour mener des actions de terrain, l’assurance maladie se déploie tous azimuts vers les publics les plus démunis, particulièrement les demandeurs d’emploi en fin de droits, les familles monoparentales et les personnes souffrant de handicap. « Notre objectif est de faire entrer dans des parcours de soins des publics qui ne connaissent pas leurs droits, n’imaginent pas avoir les moyens de se faire soigner ou appréhendent le soin, explique Fanny Richard, directrice « Intervention et accès aux soins » à l’assurance maladie. Nous les accompagnons de la première consultation aux soins complets. »
Résultat : plus de 44 % de personnes précaires prises en charge en 2021. Le « 100 % santé », autre réponse des pouvoirs publics aux difficultés d’accès aux soins, est un succès indéniable, notamment pour le dentaire : en 2021, près d’une prothèse sur deux a été posée en reste à charge zéro.
Autre amplificateur du renoncement aux soins, la désertification médicale. La formation initiale des professionnels de santé étant une course de longue haleine, la réponse tient dans les délégations de tâches, voire les transferts de tâches voulus par les pouvoirs publics et plus ou moins bien acceptés par les professions elles-mêmes : création des assistants médicaux, transferts de certains actes médicaux aux pharmaciens (vaccination, prescriptions, renouvellement d’ordonnance…) ou encore accès direct aux kinés sans prescription médicale. « Les professions de santé doivent se réformer elles-mêmes, sinon les politiques le font à la leur place, le plus souvent à leur détriment », estime Philippe Tisserand, consultant, ancien président de la Fédération nationale des infirmiers (FNI).
On pense ici inévitablement au dossier de l’assistante dentaire de niveau 2, nos « hygiénistes à la française ». Si la profession est heureusement tombée d’accord sur l’ensemble des tâches délégables (radiographie, surfaçage, etc.), le dossier est en suspens au ministère de la Santé.
Redéfinir le zonage des professions de santé est également capital pour déployer une offre de soins pertinente. Le zonage des chirurgiens-dentistes date de… 2014. Fanny Richard a précisé que l’assurance maladie, en collaboration avec les ARS et les URPS des différentes professions, était en train de travailler à l’actualisation des zonages en adoptant une approche différente : cartographier en priorité la demande de soins de manière plus fine en allant jusqu’au quartier en zone urbaine.
Objectif : adapter l’offre à la demande. Enfin, permettre à tous de vivre en bonne santé passe aussi, et surtout, par une politique globale de prévention. « En dentaire, le soin est un échec », a rappelé Benoît Perrier, président de l’UFSBD. « Avec la prévention, on change la vie des gens », ajoute-t-il, soulignant comment permettre et accompagner les gestes d’hygiène bucco-dentaire quotidiens améliore la santé globale des résidents en EHPAD ou comment, grâce à MT’Dents, 2 enfants sur 3 ont désormais accès à des consultations dentaires. Il a également profité de l’occasion pour présenter la proposition qu’il adresse au gouvernement : le « 100 % Prévention » (lire page 12).
Deuxième sujet : le développement durable au cabinet
« Nous devons collectivement prendre conscience que l’urgence est là. Nous n’avons pas le choix, nous devons nous réinventer », alarme Alice Baras, chirurgien-dentiste qui a eu son « déclic écologique » il y une dizaine d’années, et est désormais formatrice et accompagnatrice de la promotion de la santé durable au sein des cabinets de santé. Elle est l’auteure d’un guide publié par l’ADF « Démarche écoresponsable au cabinet dentaire ». « Désolé de vous le dire, reprend-elle, mais la première étape d’une démarche éco-environnementale c’est « moins », la sobriété. »
Réfléchir à ses besoins réels, faire attention à ses déplacements, ceux de l’équipe et des patients, mieux choisir ses produits et fournitures en regardant les étiquettes pour éviter les produits toxiques. Faire confiance aux écolabels et acheter local, préférer les produits recyclables à usage unique, réduire le volume de ses déchets. Faire attention au « green washing », ses entreprises qui « verdissent » faussement leurs étiquettes. Reprendre un cabinet et le rénover plutôt que d’en créer un. Autant de gestes nécessaires pour l’environnement, mais aussi pour ceux qui travaillent dans les cabinets dentaires.
Car les praticiens comme les assistant(e)s sont des professionnels de santé à risque, exposés notamment aux perturbateurs endocriniens contenus dans les produits d’hygiène et de désinfection ou les biomatériaux, mais aussi à la pollution de l’air intérieur. « La profession a globalement un modèle peu écologique sur les achats, a renchéri Julien Laupie, secrétaire général de l’ADF. Nous fonctionnons trop souvent en commande/livraison en 48 heures avec un franco de port à partir de 50 euros. Nous devons, ensemble, avec les industriels, changer ce modèle. » L’association promeut le développement durable en pratique quotidienne depuis dix ans et essai de convaincre les praticiens de la nécessité d’agir. « Nous sommes la profession médicale la plus avancée sur ce sujet, estime Julien Laupie.
Pour aller plus loin, nous attendons des actes, des décisions de l’État. Il doit nous donner un cadre, une réglementation, des recommandations de bonnes pratiques qui s’imposent à tous et auxquelles nous nous adapterons. » Et de rappeler que sur les déchets de soins, par exemple, si la réglementation organise leur tri et la sécurité sanitaire, rien n’est fait en termes d’écologie dans leur traitement. Ou encore la problématique du cobalt, désormais devenu une substance classée cancérigène, mutagène et toxique pour la reproduction. « Le nouveau règlement européen l’a l’interdit dans les dispositifs médicaux. Très bien. Mais si on ne peut plus fabriquer de prothèses amovibles c’est un vrai problème. Que fait-on ? Nous avons soulevé la question auprès des autorités. On attend toujours la réponse de la ministre de la Santé… »
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