Challenge & stratégie

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  • Publié le . Paru dans Stratégie Prothétique n°5 - 30 novembre 2017 (page 305-308)
Information dentaire
Comme nous vous l’annoncions lors du précédent numéro de Stratégie prothétique, voilà le premier article de Challenge et Stratégie. Une introduction qui fixera le contexte de tous les articles plus techniques à suivre, destinée à partager avec ceux d’entre vous qui ne connaissent pas cet environnement, la difficulté d’être un petit patron de laboratoire, et qui évoquera sans doute bien des choses aux autres…

“Rendez-vous à Rio do Brazil le 17 décembre 2015 ... !”

« Ras le bol ! Juste envie de tout lâcher ! ». Je suis à la tête d’une entreprise de prothèses dentaires dont l’activité s’est développée au cours des 20 dernières années et qui affiche aujourd’hui une réussite certaine… J’en avais rêvé, de ce labo modelé à mon image, structuré à mon envie, partagée avec une équipe de collaborateurs aussi motivés que moi, servant des clients à l’écoute et satisfaits… pourtant, « Marre ! ». La porte claquée d’une salariée suite à un accrochage improbable m’a amené à me demander pourquoi je continuais à vouloir assumer ma petite entreprise. Le sentiment de ramer à contresens, de ne rencontrer que des murs érigés à la fois par les salariés, les clients, le comptable, les diverses institutions publiques, voire par une certaine ingratitude inhérente au métier, me décourage un peu plus chaque jour. Pire, l’impression d’être seul, désespérément seul aux commandes d’un navire dont je ne tiens plus la barre…
 
Et si ça ne suffisait pas, le secteur dentaire tout entier est en profond bouleversement : numérisation et digitalisation du travail, délocalisation de l’appareil productif, modifications du cadre législatif, problèmes de recrutement et de formation de la main-d’œuvre. Tous les acteurs historiques, dentistes ou prothésistes, sont tentés de faire d’importants choix stratégiques : volume ou différentiation, localisation de l’outil productif, technologie de production, type de gouvernance, structure physique et juridique, mode managérial. Et de nouveaux acteurs venant de l’industrie entendent rendre essentielle une place jusqu’ici accessoire.

Mon constat est sévère mais incontournable : il faut agir ! Mais je ne suis pas sûr de comprendre tous les tenants et aboutissants de cette problématique globale au secteur. Encore moins pour ma petite entreprise… La première réaction est de penser à fuir, un autre pays, un autre métier… Mais fuir serait admettre l’échec d’un long investissement aussi bien financier que personnel et ce en dépit de sincères convictions professionnelles. Une hypothèse inconcevable en premier choix, n’étant pas du genre à rendre les armes sans avoir exploré toutes les pistes. Et quand bien même, s’il fallait que ce soit un échec, ce ne saurait être sans en comprendre les raisons.
De manière fortuite mais opportune, une amie consultante en management me propose quelques outils et techniques qui vont donner rapidement des résultats. L’idée d’enfoncer le clou germe petit à petit, et aboutit au constat qu’un simple accompagnement ne suffirait pas. Une véritable remise en question est indispensable. Il convenait donc d’envisager une formation dans l’objectif de reprendre la main par l’acquisition et le développement de compétences en management et gestion d’entreprise, et ce faisant, prendre du recul.
La recherche d’une formation adéquate dans le secteur dentaire s’avère rapidement infructueuse. Tout le monde semble se poser les mêmes questions sans avoir trouvé de réponses efficaces. Entre l’usine et la niche de marché, chacun tente de trouver une place au soleil, quelques fois sans cohérence apparente, et surtout sans reproductibilité. Une formation hors du cadre dentaire donc ? Se greffe à cet instant l’idée qu’un laboratoire est une entreprise « comme les autres », et qu’elle nécessite une connaissance et une gestion à l’avenant. Ce constat, faussement évident, provoque le déclic qui m’amène à une analyse et une compréhension de mes besoins et objectifs sous un nouveau référentiel. Le processus m’angoisse puisque sortant des sentiers battus du dentaire, et donc, de ma zone de confort.

Les recherches mènent au final vers un Executive MBA. L’objectif de ce type de formation est d’apporter une vision transversale de l’entreprise et du management. Elle permet ainsi une approche moins artisanale de la gestion d’une très petite entreprise (TPE). Ce type de MBA intègre le vécu et l’expérience des participants. Il met en perspective leurs particularités professionnelles en faisant fi des standards culturels des secteurs d’activité. Le partage et l’intelligence collective sont au cœur du dispositif pédagogique. Idéal pour prendre un peu de hauteur ! La formation que je choisis (Executive MBA EM Normandie, RNCP Niveau I) s’intègre au mieux dans mon activité professionnelle. Elle me bloque du mercredi au samedi, une fois par mois pour les séminaires, plus un important travail personnel et en équipe, de recherche et de remise à niveau en anglais. La durée courte du programme (12 mois) m’oblige en outre à clarifier mes priorités professionnelles et personnelles en me poussant à des choix.
Le programme aborde des sujets aussi diversifiés que : la stratégie d’entreprise, l’organisation du travail, la gestion du personnel, la communication interne et externe, la gestion de projet, l’innovation, la culture organisationnelle, les notions de leadership, l’analyse financière, une ouverture interculturelle, l’apprentissage de l’anglais… La réalisation d’un mémoire permet à chaque participant d’approfondir des thématiques qui lui sont chères. J’envisage alors de creuser sur les particularités organisationnelles des TPE, les concepts Agile et l’Entreprise Libérée.
 
De nombreux sujets abordés en MBA résonnent à mes oreilles, permettant d’aborder point par point chaque problématique d’une entreprise. Toutefois quatre jours de cours par mois, un mémoire à réaliser, une soutenance de celui-ci, des travaux d’évaluation à fournir… une grosse charge de travail supplémentaire alors que mon cadre professionnel est déjà bien lourd ; le stress et la fatigue sont forcément au rendez-vous. Les maîtres mots : organisation et engagement ! Heureusement, la bienveillance, l’ouverture et l’empathie émanant du groupe et de l’équipe encadrante MBA amène une dynamique qui me permet de me concentrer sur l’essentiel.

L’année s’avance, chaque séminaire apporte son enseignement et les transformations s’opèrent. Un changement dans ma posture de dirigeant d’entreprise se perçoit. Au fur et à mesure de nouvelles questions surgissent. Les différentes interventions, le partage avec le groupe MBA et la confrontation au terrain me permettent de prendre du recul et de développer ma capacité de décision et d’organisation, ainsi que mes compétences de communicant et de manager. J’apprends, j’envisage, j’analyse et j’applique : Juste idéal !
Le sujet de mémoire finit d’ailleurs par s’imposer de lui-même. Il doit me permettre de creuser plus profond sur ce qui fait l’essence même de l’entreprise : ceux qui y travaillent et le lien qu’ils entretiennent avec elle. L’orientation très managériale de cette recherche me conduit à « La démarche de l’Entreprise Libérée comme réponse aux problématiques des Très Petites Entreprises : le cas d’un laboratoire de prothèses dentaires ». Mon directeur de thèse, ravi d’un sujet aussi original, le sourire en coin et le sourcil moqueur, me dit guilleret : « Rendez-vous à Rio do Brazil, pour la soutenance de ton mémoire, le 17 décembre 2015… ! ». Les mois qui suivirent et le travail à fournir me firent comprendre son air narquois…

J’ai enfin le sentiment de ne plus subir et de reprendre la main sur la gestion de mon entreprise. Dépassant la simple réactivité, je me sens à nouveau acteur proactif et même scénariste de mon activité.
En interne, j’adopte un mode de management plus collaboratif, cherchant ainsi un engagement plus prononcé des salariés et un potentiel démultiplié de solutions. Le projet d’entreprise n’est plus uniquement l’affaire du dirigeant. Il est partagé par mes équipes, ainsi qu’une certaine maîtrise et expertise amenant un sentiment d’apaisement général.
 
Vis-à-vis de l’environnement, la stratégie est clarifiée, l’avantage concurrentiel identifié. Si ce dernier reste encore à afficher davantage au travers d’une politique de développement et de communication maîtrisée, cela ne tient plus qu’à la stabilisation d’un environnement sectoriel très fébrile, généré en particulier par le règlement arbitral de la loi Santé Touraine.
 
La prise de recul me conduit à considérer aujourd’hui les solutions numériques non comme un but, mais comme un moyen pour les prothésistes et les chirurgiens-dentistes à sublimer un savoir-faire unique, au service de la valeur ajoutée de chacun. Cette association offre une opportunité de déjouer une concurrence internationale à bas prix et à bas coûts de main-d’œuvre. Cette vision suggère que la véritable valeur ajoutée d’un laboratoire français réside dans la qualité de ses services et de ses produits, basée sur une expertise technique, redonnant ainsi au facteur humain toute sa dimension.
 
La démarche pour y parvenir repose sur le développement de différents outils : la formation (initiale et continue ; intrasectorielle et transverse), la recherche et le développement de nouvelles solutions techniques et matérielles, l’innovation incrémentale et radicale, une communication interne et externe efficace, une différenciation stratégique, un management et un leadership adaptés aux dynamiques de changement et aux enjeux intergénérationnels actuels.
 
Dans notre entreprise, je pourrais vous mentir en soutenant que tous les indicateurs sont aujourd’hui au vert : du chiffre d’affaires à l’engagement et au bien-être des collaborateurs, de la satisfaction client à la diversification technologique, en passant par mon plaisir retrouvé à entreprendre. En apparence, c’est pourtant bien le cas ! Mais envisager la structure humaine dont on a la responsabilité comme une véritable entreprise pousse à toujours considérer le « lendemain » comme un univers à construire. Il doit être à même de permettre à chacun des acteurs qui le compose d’évoluer vers un mieux-être : mieux travailler, mieux vivre son travail, mieux produire, mieux soigner, mieux communiquer, et mieux partager. Ne pas subir pour mieux préparer le « lendemain » suivant.
 
Une chose est certaine, cette démarche est une quête, difficile mais tellement enrichissante, sans fin mais à la progression infinie… et il faut savoir s’arrêter par moments sur le bord de la route pour en constater les bienfaits. Ainsi, si l’on devait évaluer une entreprise à la façon dont se referment ses portes, la dernière salariée qui a quitté la nôtre en juin dernier, l’a poussé tout doucement, les larmes aux yeux d’être obligée de changer de région pour des raisons familiales.
 
Pour commencer, nous aborderons lors du prochain numéro un sujet essentiel qui vous proposera de vous projeter dans l’avenir avec de bons outils puisque nous parlerons de stratégie. Chacun pourra y trouver sa voie de réflexion, ses axes de projection. Rendez-vous au prochain numéro !

Si je ne devais garder qu’une image de cette aventure, à la symbolique multiple, ce serait celle de cette femme brésilienne qui, chaque matin, tentait de nous vendre ses paréos devant notre hôtel. Ce lien qui s’est tissé avec elle tout au long de notre semaine de séminaire brésilien, a fini par nous laisser tenter au travers d’un sourire, à lui acheter bien plus qu’un foulard. L’entreprise commence là, sans doute…
 
Je tenais à partager avec vous, avec l’expertise d’Anna Fortoul, cette aventure et peut-être vous inciter, voire vous accompagner, dans cette démarche qui pousse à passer du patron de laboratoire que vous êtes, au chef d’entreprise que vous auriez envie de devenir. Le but est sans doute de trouver globalement un second souffle nécessaire à la survie de notre profession, mais surtout individuellement de retrouver d’avantage de plaisir, de confiance et de sens dans l’exercice de notre si beau métier ; retrouver cette envie d’entreprendre, celle du premier jour, qui nous a poussés à acheter ou à créer un laboratoire de prothèse dentaire. Hervé Maréchal

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