Le remboursement du patient peut-il orienter l’option thérapeutique ?

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 38-40)
Information dentaire

Les patients souhaitent des restaurations durables et esthétiques. L’arrivée de nouveaux matériaux et les avancées techniques dans le domaine du collage permettent d’offrir des options thérapeutiques moins mutilantes. Or la préservation tissulaire est un devoir qui s’inscrit dans le principe éthique de la non-malfaisance. Mais les garanties de prise en charge obsolètes, faibles ou non adaptées orientent parfois les demandes des patients qui recherchent l’optimisation de leurs remboursements vers des traitements désuets. L’éthique doit aider à y répondre.

Situation

Un patient présente fracture coronaire de sa 37. La dent est pulpée et ne présente aucune symptomatologie.
Je propose la reconstitution de cette dent par onlay (céramique ou composite) collé, mais le patient refuse cette option, m’expliquant qu’elle n’est pas prise en charge par sa mutuelle qui lui conseille de réaliser une couronne.
Je suis gêné, car la réalisation de cette couronne nécessitera une mutilation plus importante et, selon moi, un onlay serait tout à fait adapté.
Puis-je refuser la demande du patient et rester sur ma proposition de réaliser l’onlay ? Puis-je accepter de réaliser cette couronne, car le patient doit adhérer au plan de traitement ? En cas de refus de ma part, je crains qu’il quitte mon cabinet et la fasse exécuter par un confrère. Dois-je tenir compte de la prise en charge de la complémentaire santé de mon patient pour orienter mon traitement ?

Réflexions de Karim Nasr

Maître de Conférences à la faculté de chirurgie dentaire de Toulouse Praticien Hospitalier
Les conseilleurs ne sont pas les payeurs. » D’apparence simpliste et inadaptée, cette célèbre citation de Gabriel Meunier (1568) conduit à la réflexion, ramenée au contexte qui est celui présenté ici.
 
De prime abord, elle semble nous être adressée, nous renvoyant à notre relation de soins et à nos obligations de professionnel de santé : échanges d’informations sur les différentes options thérapeutiques, leurs balances bénéfices-risques, les connaissances médicales avérées… et les coûts.
Cependant, si le professionnel de santé peut participer à la délibération en vue d’une prise de décision acceptée d’un commun accord (on parle de « décision médicale partagée »), le patient reste le seul maître du choix final de son traitement.
 
Dans le cas présent, les options thérapeutiques sont donc toutes à considérer et à argumenter : restauration composite directe, onlay, couronne. Si les critères classiques (fonction, esthétique) sont souvent mis en avant, il convient d’insister sur la perte de chance. Dans le cas d’une dent, il s’agit notamment du raccourcissement de son cycle de vie dû aux réinterventions inévitables dans le temps, d’autant que le patient est jeune.
Par ailleurs, les nouveaux matériaux et techniques (CFAO, collage) autorisent aujourd’hui des restaurations partielles pérennes tout en conservant au maximum le capital biologique de la dent. De plus, bien que d’une mise en pratique souvent plus rigoureuse, le coût de ces restaurations est bien plus modéré pour le patient.
Là où le bât blesse, c’est lorsque, comme ici, les conseilleurs sont les payeurs. Dans notre système de santé tripartite, l’Assurance maladie (de par sa prise en charge) et les complémentaires santé (de par leurs remboursements) influencent le choix éclairé du patient, substituant aux informations médicales du professionnel de santé le montant du remboursement.
 
Alors que faire ? Si le patient (bien) éclairé fait le choix de la couronne, il revient au professionnel de santé de respecter son choix et d’optimiser l’acte thérapeutique avec son consentement : maintien de la vitalité pulpaire et choix de matériaux nécessitant une faible préparation périphérique (par exemple zircone monobloc) : une sorte de compromis positif.
Certains praticiens ne souhaitant pas se soumettre à ce type de compromis choisissent la voie de l’overlay et de la compromission, assimilant l’overlay (onlay à recouvrement cuspidien total) à une couronne. Cette démarche vise à en obtenir la prise en charge tout en limitant l’impact biologique de la restauration. Cependant, par l’absence de cerclage périphérique, cela ne peut être officiellement le cas, et cette assimilation reste à l’appréciation des dentistes-conseils. Toute la perversion du système ! Si l’overlay est unanimement reconnu pour être le « successeur de la couronne » (voir le n° 35 d’octobre 2016), ce n’est donc pas encore vrai dans les esprits et dans les faits.
Pour autant, nous notons une prise en considération de ce type de restaurations par les pouvoirs publics qui prévoient une revalorisation de la prise en charge des inlays-onlays-overlays à hauteur de celle des couronnes en 2019 (2018 pour les patients bénéficiaires de la CMU-C) : enfin ?
 

Réflexions de François Paysant

Maître de conférences à la faculté de médecine de Grenoble Praticien Hospitalier

Face à la difficulté retracée dans la situation, la réflexion sur ce sujet peut reposer sur deux piliers.
Le premier est la discussion que l’on peut avoir avec le patient. Elle va porter sur une information pour interpréter le sens de la proposition qui lui est faite et lui faire comprendre l’intérêt du traitement optimal. Cette argumentation scientifique pure peut être complétée par un calcul d’amortissement des frais non couverts par le nombre d’années d’usage du dispositif qui est proposé.
 
Si, malgré ces efforts pour convaincre, le patient persiste dans son refus, la recherche d’un deuxième avis pourrait être préconisée, le deuxième praticien aura peut-être des mots permettant l’adhésion au traitement proposé. Dans le cas de la persistance d’un refus, l’odontologiste sera en possibilité soit d’accepter de faire le travail de façon non idéale, soit de refuser de le faire en vertu de l’article R 4127-232 du Code de la santé publique, à condition que le patient puisse poursuivre les soins avec un autre praticien.
Le second pilier est notre relation vis-à-vis des organismes sociaux et des mutuelles. Si l’on consulte la CCAM (classification commune des actes médicaux), ces traitements (inlay-onlay) sont effectivement référencés, mais sont clairement dans la liste des actes non opposables à très faible prise en charge. C’est donc en connaissance de cause que les décideurs ont écarté le traitement conservateur au profit de la couronne prothétique, plus mutilante. Cela pose une question de fond : ces décisions relèvent-elles de la négociation, du compromis ? Ces décisions sont-elles fondées sur une véritable étude médico-économique car un traitement conservateur sera plus économique à terme qu’un traitement destructeur ? à cela, s’ajoute, comme il est rappelé ci-dessus, le nécessaire principe de non-malfaisance qui devrait idéalement aller jusqu’à la bientraitance. Concernant la prise en charge par les mutuelles, il en existe certainement qui prennent en charge les traitements dentaires optimaux : mais sont-elles financièrement abordables pour le plus grand nombre ?
 
De plus, depuis l’obligation pour tout salarié d’avoir une mutuelle, les contrats de groupe n’offrent pas véritablement au patient le choix du niveau de prestation.
Les pouvoirs publics semblent vouloir installer une prise en charge à 100 % des frais dentaires, optiques et auditifs. Il s’agit alors de construire un nouveau paradigme permettant une prise en charge des traitements conservateurs conformes aux données actuelles de la science.
Ne confondons jamais le quantitatif (100 %) avec le qualitatif (traitement de bientraitance) !

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