Le secret professionnel aujourd’hui

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 44-46)
Information dentaire
Après avoir exploré la définition et l’atteinte au secret professionnel dans l’article publié le 1er mars dernier ; nous nous proposons d’aborder les exceptions au secret, qui doit notamment être levé quand les intérêts supérieurs de la collectivité sont en jeu.

II. Les exceptions

Personne ne peut délier le chirurgien-dentiste du secret médical, hormis en application des dérogations légales ou jurisprudentielles, pas même son patient.
En effet, il était traditionnel d’observer que ce dernier, qui ne peut connaître parfaitement la nature de l’affection dont il souffre, ne peut savoir exactement de quelles informations il délierait son praticien et qu’en outre cela serait dangereux pour le secret professionnel car des tiers (administration, compagnie d’assurances, etc.) pourraient faire pression sur le malade pour obtenir la levée du secret par son intermédiaire.
Ce dernier principe est aujourd’hui discuté : depuis la loi du 4 mars 2002, le secret médical serait non seulement une obligation déontologique, mais aussi un droit du patient, ce qui permettrait à celui-ci de délier son praticien de cette obligation1.
Quoi qu’il en soit, le praticien ne doit pas faire obstacle à l’information qu’est en droit de recevoir le patient sur l’affection dont il souffre, information qui lui est due (droit consacré par la loi du 4 mars 2002), sauf exception prévue par l’article R.4127.239 du Code de la santé publique : « Sous réserve des dispositions de l’article L 111.7 (le droit à l’information) et pour des raisons légitimes que le chirurgien-dentiste apprécie en conscience, un patient peut être laissé dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave. »
L’accès du malade à l’information est légitimé par le fait que le praticien est gardien du secret dans l’intérêt du patient : le secret, dit la jurisprudence, n’est pas opposable au patient, notamment quand la détermination de ses droits dépend de renseignements médicaux. En outre, le secret médical ne doit pas être un instrument de protection du chirurgien-dentiste, mais du patient : il doit jouer dans les relations entre praticiens et tiers et non dans la relation entre le chirurgien-dentiste et son patient.
Enfin, on rappellera que la mort du patient ne lève en aucun cas le secret professionnel (voir l’affaire Gubler : ce médecin a été radié par la juridiction disciplinaire de l’Ordre pour avoir publié un livre sur la maladie du Président Mitterrand après la mort de celui-ci). De même, cette obligation de secret perdure pour le praticien, alors même qu’il ne serait plus inscrit au tableau de l’Ordre, ayant cessé toute activité professionnelle.
D’après le Conseil d’État, « le secret médical institué dans le seul intérêt du patient continue à s’imposer à un professionnel de santé radié du tableau de l’Ordre »2, d’où d’ailleurs le problème récurrent de la conservation des dossiers médicaux après la cessation de l’exercice notamment quand le cabinet dentaire n’a pu être cédé à un successeur.

Les exceptions au secret


Cependant, le secret doit céder le pas, notamment quand les intérêts supérieurs de la collectivité sont en jeu.
Ces limites sont posées par l’article 226-14 du Code pénal ainsi libellé : « L’article 226-13 [article interdisant toute révélation, Ndlr] n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret » (déclaration obligatoire des maladies contagieuses, vénériennes, professionnelles, des accidents du travail, des décès, etc.), mais ceci concerne essentiellement les médecins.
En outre, l’article 226-13 du Code pénal n’est désormais plus applicable dans un certain nombre de cas de maltraitance décrits par la loi n° 2015-1402 du 5 novembre 2015 « tendant à clarifier la procédure de signalement de situations de maltraitance par les professionnels de santé » :
« 1° À celui qui informe les autorités judiciaires, médicales ou administratives de privations ou de sévices, y compris lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique ;
2° Au médecin ou à tout autre professionnel de santé qui, avec l’accord de la victime, porte à la connaissance du Procureur de la République ou de la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes relatives aux mineurs en danger ou qui risquent de l’être, mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 226-3 du Code de l’action sociale et des familles, les sévices ou privations qu’il a constatés, sur le plan physique ou psychique, dans l’exercice de sa profession et qui lui permettent de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises. Lorsque la victime est un mineur ou une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique, son accord n’est pas nécessaire ;
3° Aux professionnels de la santé ou de l’action sociale qui informent le préfet et, à Paris, le préfet de police du caractère dangereux pour elles-mêmes ou pour autrui des personnes qui les consultent et dont ils savent qu’elles détiennent une arme ou qu’elles ont manifesté leur intention d’en acquérir une. »

Le signalement aux autorités compétentes effectué dans les conditions prévues par la loi ne peut engager la responsabilité civile, pénale ou disciplinaire de son auteur, sauf s’il est établi qu’il n’a pas agi de bonne foi.
Il est à noter que l’exception au secret pour protéger le mineur en danger existait déjà pour les chirurgiens-dentistes dans l’article R.4127-235 du Code de la santé publique : « Lorsqu’un chirurgien-dentiste discerne, dans le cadre de son exercice, qu’un mineur paraît être victime de sévices ou de privations, il doit, en faisant preuve de prudence et de circonspection, mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour le protéger et, le cas échéant, alerter les autorités compétentes s’il s’agit d’un mineur de quinze ans, conformément aux dispositions du Code pénal relatives au secret professionnel. »
De nombreux autres textes constituent encore des exceptions légales à la règle du secret médical ou professionnel puisqu’ils imposent au chirurgien-dentiste, comme à tout citoyen, l’obligation de dénoncer certains faits dans des cas précis :
– lorsque la dénonciation est susceptible de prévenir ou de limiter les effets d’un crime ou d’empêcher qu’un nouveau crime soit commis ; article 223-6 alinéa 1 du Code pénal : « quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 e d’amende » ;
– lorsqu’il s’agit de porter assistance à une personne en péril ; article 223-6 alinéa 2 du Code pénal : « sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours » ;
– en vertu de l’obligation générale de témoigner en justice qui pèse en principe sur le chirurgien-dentiste ou le médecin comme sur tous les citoyens.
Dans ce dernier cas cependant, s’il était interrogé ou cité comme témoin sur des faits connus de lui dans l’exercice de la profession, le chirurgien-dentiste doit se présenter et prêter serment, et refuser de témoigner en invoquant le secret professionnel3.

Le cas de la « réquisition »


De même, pour rapporter la preuve d’une infraction ou l’implication de la personne poursuivie, les officiers de police judiciaire (OPJ) peuvent, sur autorisation et sous le contrôle du Procureur de la République ou sur commission rogatoire du juge d’instruction, procéder à un certain nombre d’investigations. Ils peuvent alors requérir le concours des chirurgiens-dentistes.
Le terme « réquisition » et le caractère contraignant qu’il suppose est source de confusion.
Si la réquisition a pour objet d’obtenir le témoignage du chirurgien-dentiste sur des faits qu’il a connus dans son activité professionnelle (date de consultation, adresse du patient, objet de la consultation, nature des traitements…) et plus généralement ce qui a trait au patient pris en charge, cette réquisition n’a pas pour effet de délier le praticien de son obligation au secret professionnel et, quelle que soit la nature du renseignement demandé (« administratif » ou purement médical), il ne peut que refuser de répondre à la réquisition et n’encourt ce faisant aucune sanction.
En revanche, le chirurgien-dentiste ne peut refuser à un juge d’instruction l’accès ou la saisie d’un dossier contenant des renseignements nécessaires à son enquête, la Cour de Cassation ayant jugé4 que « les pouvoirs que le juge d’instruction tient de l’article 81 du Code de procédure pénale ne souffrent en principe aucune restriction, le secret imposé au médecin ne met pas obstacle à la saisie par le juge d’instruction d’un dossier contenant des renseignements médicaux ».
Cette perquisition, pour éviter tout excès, ne pourra avoir lieu qu’en présence d’un membre du conseil départemental de l’Ordre et ne peut concerner que des documents « utiles à la manifestation de la vérité »5.
Enfin, il faut rappeler que la règle du secret professionnel ne peut priver le praticien du droit de se défendre lorsque sa responsabilité ou sa bonne foi sont mises en cause.
Cependant, le dossier médical du patient ne doit pas être communiqué spontanément à l’avocat du demandeur ou au Tribunal civil qui, de toute façon, avant de statuer, confiera à un expert la mission de rechercher si une faute a été commise et quelle est l’ampleur du préjudice.
Quant au praticien mis en cause, il doit limiter sa révélation aux seuls faits lui portant préjudice sans faire état de confidences reçues ou de renseignements extérieurs à l’affaire6.

Secret et contrôle fiscal


Le principe général est que le secret médical est opposable à l’administration fiscale.
Si le praticien fait l’objet d’un contrôle fiscal, son fichier est couvert par le secret, et la nature des soins dispensés ne peut en aucun cas faire l’objet de demandes de renseignements de la part de l’administration des impôts. Ainsi, selon l’article L.13-0 A du livre des procédures fiscales : « Les agents de l’administration des impôts peuvent demander toutes informations relatives au montant, à la date et à la forme des versements afférents aux recettes de toute nature perçues par les personnes dépositaires du secret professionnel en vertu des dispositions de l’article 226-13 du Code pénal. Ils ne peuvent demander de renseignements sur la nature des prestations fournies par ces personnes. »
Cet article est complété par l’article L.86 A du même livre des procédures fiscales selon lequel : « La nature des prestations fournies ne peut faire l’objet de demandes de renseignements de la part de l’administration des impôts lorsque le contribuable est membre d’une profession non commerciale soumis au secret professionnel en application des articles 226-13 et 226-14 du Code pénal. »

La juridiction administrative veille au respect du secret et oppose une certaine restriction aux pouvoirs d’investigation de l’administration. Interprétant les articles ci-dessus, le Conseil d’État admet que la législation fiscale concernant les titulaires de bénéfices non commerciaux soumis au secret professionnel permet à l’administration d’accéder à des documents non comptables comportant des données nominatives (par exemple, un carnet de rendez-vous), mais à condition que ces documents ne fournissent aucune indication, même codée, sur la nature des prestations7.

Si le praticien doit recouvrer ses honoraires en justice contre un patient indélicat, il peut produire la feuille de soins pour prouver la réalité de sa prestation.
En effet, le Conseil d’État, dans un arrêt n° 3069 du 7 décembre 1990, avait jugé que la production d’une feuille de soins ne constituait pas par elle-même une violation du secret médical, alors que les restrictions apportées au secret « sont des conséquences nécessaires des dispositions législatives provoquant le remboursement des frais occasionnés par les soins ».

NOTES

1 Voir à ce sujet l’opinion du Professeur Laude dans le numéro spécial du Bulletin de l’Ordre National des médecins, novembre-décembre 2012, page 7.
2 C.E. 17 juin 1998 RFJ 7/9 n° 827, Rec. 236.
3 Chambre criminelle de la Cour de Cassation, arrêt du 5 juin 1985 ;
« les médecins sont dispensés de témoigner en justice ».
4 Arrêt de la chambre criminelle du 24 avril 1969- Dalloz 1969, 637.

5 Arrêt de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation du 23 mars 1977.Dalloz 1977, I.R. 348.
6 Voir Cour de Cassation – Arrêt du 18 juin 1984.
7 Arrêt du Conseil d’État du 7 juillet 2004 n° 253711, dit « arrêt Wiedemann ».

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