Thomas W. Evans, dentiste de Napoléon III

  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 36-37)
Information dentaire
Affirmer que l’école dentaire de l’Université de Pennsylvanie doit son existence à une carie de Napoléon III serait aller un peu vite en besogne… Et pourtant…

L’histoire débute le 23 décembre 1823, lorsque naît à Philadelphie Thomas Wiltberger Evans qui, selon la légende, s’essaye au métier de dentiste sur les chiens du quartier de la 37e rue. Le jeune Quaker est bien décidé : il pratiquera un jour son art sur des humains.
Son diplôme en poche, il commence à travailler dans les années 1840 à Lancaster, en Pennsylvanie, où il se spécialise dans les plombages en or. Sa personnalité, son talent et ses succès ne laissent pas indifférent, au point d’attirer l’attention de l’un de ses confrères, Cyrus Brewster, installé à Paris depuis 1833, où il côtoie une prestigieuse clientèle dont George Sand, Mérimée, Delacroix, Balzac, et quelques monarques comme Louis-Philippe et Nicolas Ier. Evans l’y rejoint en 1847, et reprendra peu après sa clientèle, en même temps que la tête du cabinet situé rue de la Paix.
Son destin a basculé peu de temps avant grâce à la banale dent cariée d’un personnage peu banal… Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III. Alors sujet à une rage de dents, il fait quérir Brewster, mais ce dernier est introuvable et c’est Evans que l’on envoie soulager le grand homme. Cette rencontre assoit définitivement la réputation du praticien et le propulse dans la sphère des “riches et célèbres”. Et sans doute vient-il à bout de cette carie avec maestria, puisque Napoléon III le nommera « chirurgien-dentiste officiel de l’empereur ». « À partir de ce moment, ce dernier le prit comme confident en plus de praticien. Ce fut une occasion fantastique pour Evans qui la saisit à pleine main », estime Denis Kinane, doyen de l’école dentaire de l’Université de Pennsylvanie. Car si Evans est un praticien sérieux, attaché à sa profession et novateur, c’est aussi un « self-made man typique du XIXe siècle », selon la description de Samuel Hugues, rédacteur en chef de la Gazette de Pennsylvanie. Et si son portefeuille se garnit grâce à son activité de chirurgien-dentiste, il s’arrondit par le biais de l’investissement immobilier.

Self-made man et conseiller diplomatique
À cette époque, Paris est en pleine mutation. Haussmann est à l’œuvre et la capitale se modernise. Les audacieux sont à l’affût des bonnes affaires. Et Evans, qui assiste aux réunions organisées par Napoléon III, est l’un des premiers initiés et sait faire fructifier les informations glanées. Il investit dans l’immobilier, mais aussi dans l’art. Il acquiert notamment plusieurs toiles de Manet, qu’il connaît personnellement et avec qui il “partagera” une maîtresse, Méry Laurent, muse du peintre, qui aura aussi une longue aventure avec le dentiste qui l’entretiendra dans de somptueuses demeures.
La proximité d’Evans avec l’empereur est telle que ce dernier en fait également un conseiller officieux, l’envoyant en mission diplomatique auprès du président Lincoln en 1864 durant la Guerre de Sécession. A son retour, il rapporte que la fin du conflit est proche, ce qui participera peut-être à la décision de l’empereur de ne pas intervenir en faveur du Sud. Cette confiance impériale va de pair avec une fidélité sans faille d’Evans, même après la reddition des troupes de Napoléon III aux Prussiens et la proclamation de la République.
Son rôle et son influence, qui s’étend au-delà de la France, puisqu’il est amené à côtoyer et à soigner toutes les têtes couronnées d’Europe, conduisent Denis Kinane à comparer Evans à « un Benjamin Franklin du XIXe siècle ». Car le chirurgien-dentiste est aussi un précurseur.

Au service de sa profession
Evans a à cœur d’élever sa profession. D’abord en exigeant le respect pour lui et ses confrères, chose malaisée à une époque où les chirurgiens-dentistes ne sont pas tenus en haute estime (sa proximité avec Napoléon III n’est pas sans l’aider dans cette tâche…). Ensuite en adoptant une démarche de pionnier. Il est ainsi l’un des premiers à utiliser le protoxyde d’azote comme anesthésiant et contribue au développement du caoutchouc vulcanisé pour la réalisation de prothèses, entre autres innovations.
Et c’est aussi en pensant à sa profession qu’il organise sa succession. S’il s’éteint à Paris en 1897, à l’âge de 73 ans, c’est aux États-Unis qu’est destiné son héritage. Une première partie sert à ériger un monument funéraire impressionnant, obélisque de granit de 30 mètres de haut qui domine le cimetière de Woodlands, dans l’ouest de Philadelphie. La seconde partie est un legs à l’Université de Pennsylvanie pour créer une école de chirurgie dentaire. Le testament ayant été contesté par la famille, il ne sera effectif que plus d’une décennie après la mort d’Evans et c’est en 1912 que débutent les travaux du Thomas W. Evans Museum and Dental Institute, inauguré en 1915.
Pendant ses cent ans d’existence, des milliers de futurs praticiens ont appris à exercer leur art dans ses murs, dont une restauration a débuté l’an passé. « Je ne pense pas qu’Evans était doué pour la modestie, estime Denis Kinane. En fait, je pense qu’il se prenait très au sérieux. Mais il avait raison, parce qu’il a vraiment fait beaucoup pour l’odontologie et il a vraiment rendu service à l’humanité pendant sa vie. »

Ce carrosse, ayant appartenu à Thomas W. Evans, aurait servi à la fuite de l’impératrice Eugénie en 1870.
Le mémorial de Thomas W. Evans au cimetière de Woodlands.

Sources : « The Philly dentist who helped fix Napoleon III’s bad tooth », Todd Bookman, NewsWorks, février 2015 ; « A collection from Napoleon III’s Dentist, now on view at Penn », Eve M. Kahn, The New York Times, juillet 2015.

Trésors exposés

L’an passé, l’université de Pennsylvanie a présenté une exposition rassemblant des objets marquants de la collection léguée par Thomas Evans, disséminés pendant cinquante ans dans les bureaux et les entrepôts universitaires depuis la fermeture des galeries du musée Evans. Elle proposait des portraits et des statuettes représentant des chefs d’état français et russes, des montres de gousset en or parsemées de diamants fabriquées en Suisse et en Prusse, ainsi qu’un carrosse noir construit à Paris dans les années 1860, restauré récemment par des artisans Amish, portant le monogramme du Dr Evans sur ses portes (il aurait servi à l’impératrice Eugénie lors de sa fuite de Paris après la reddition des forces de Napoléon III en 1870). Cinq ans ont été nécessaires à Lynn Marsden-Atlass, curatrice de l’université de Penn, et Denis F. Kinane, doyen de l’école de médecine dentaire de Penn, pour retrouver la trace des objets et des œuvres d’art du Dr Evans.
Certains ont été vendus aux enchères par l’université dans les années 1980, dont deux natures mortes de Manet vendues pour 1 million de dollars chacune.

Denis Kinane, doyen de l’école dentaire
de l’Université de Pennsylvanie

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