Au service de mon patient en tenant compte de ma santé

  • Par
  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 34-36)
Information dentaire
60 % des chirurgiens-dentistes seraient confrontés au burn out à un moment de leur carrière. D’autres souffrent de stress, affaiblis par une diminution ou une douleur physique. Comme tout homme, le praticien peut être malade. Cependant, la responsabilité d’un cabinet dentaire et de la prise en charge de patients conduit parfois à oublier son mal-être, ses souffrances physiques ou morales, pour se consacrer à sa profession. Ce déclin de la vigilance, la fatigue, voire l’infirmité peuvent diminuer la qualité des soins et faire prendre des risques aux patients, contraires au devoir de sécurité et d’attention. Faut-il traiter les malades, se soigner d’abord ou, parfois, prendre la douloureuse décision de cesser son exercice professionnel ?

Situation

« Il est 22 h, je suis en consultation au cabinet et trois patients attendent encore dans la salle d’attente. Ma journée a été épuisante, comme celle d’hier. J’ai le sentiment d’être au service de mes patients, mais aux dépens de ma santé. Ce soir, mon geste chirurgical n’est plus aussi précis, ma vue se trouble, ma main tremble et je souffre encore de douleurs dans le dos. Faudrait-il refuser de prendre en charge mes patients, parfois des urgences, pour être dans une meilleure condition physique ? Dois-je aller au bout de mes forces pour répondre à la demande de plus en plus pressante des patients qui souffrent aussi ? »

Réflexions du Docteur Marie-Claire Théry-Hugly
Présidente de la Société de psychologie Odontostomatologique et Médicale
Je suis stressée, complètement stressée… et même complètement speedée… J’aime être stressée, le stress me dope ! Je n’arrête pas, je commence tôt le matin, je grignote à peine le midi, je termine tard le soir… C’est bien, les affaires marchent, je suis créative, performante… Et puis… Toutes les contraintes, les urgences… Le temps passe… de plus en plus, les patients… Ils me fatiguent, je n’arrive plus à les supporter, je suis débordée et je ne sais pas dire non, je leur parle brutalement, je perds la maîtrise de mes gestes… C’est trop, je craque… Le burn out !
En effet, la fatigue chronique et l’épuisement sont les éléments principaux de la plainte du professionnel soignant. Des attitudes cognitives négatives vis-à-vis de soi-même, d’autrui et du travail sont habituelles. Le risque de dépression et de suicide est omniprésent. C’est le SEPS, Syndrome d’Épuisement Professionnel des Soignants.
En Ile-de-France, près de 60 % des praticiens chirurgiens-dentistes présenteraient un niveau dit « pathologique » pour au moins l’une des trois composantes du burn out :
– l’épuisement émotionnel : le praticien n’est plus motivé par son travail qui devient une corvée ;
– la dépersonnalisation : le développement d’attitudes impersonnelles, détachées, négatives, cyniques et, à l’extrême, de maltraitance envers les patients ;
– la réduction de l’accomplissement personnel, la diminution de l’estime de soi, de ses compétences.
Le SEPS pose le problème de l’éthique de la relation d’aide : quelle distance établir pour apporter l’aide tout en étant respectueux de la personne et ne pas se consumer soi-même ? Jusqu’où donner de soi-même ? Dans quel esprit d’équité ? Le SEPS pose la question de la responsabilité, de la justice et finalement de l’amour.
Il appelle nécessairement des réflexions psychologiques et philosophiques.
Le burn out n’est pas une fatalité : « Lorsque la baignoire déborde, l’étourdi essuie, le sage ferme le robinet. » Encore faudrait-il apprendre aux praticiens à repérer les premiers signes, physiques, cognitifs ou comportementaux du stress.
En fait, c’est la prévention du stress bien en amont d’un burn out qui s’impose. Celle-ci peut être réalisée dans le cadre de véritables programmes de gestion du stress qui devraient être généralisés, ne serait-ce que pour renforcer le bien-être et la qualité de vie au travail. Bien que, plus que dans les autres professions, il y ait un manque d’intérêt évident de la part des chirurgiens-dentistes pour ce problème resté tabou.
Mais beaucoup d’autres pistes de réflexion sont à dérouler sur ce thème du soignant-malade !
Un médecin a-t-il le droit d’être malade ? Un chirurgien-dentiste a-t-il le droit d’avoir mal aux dents ? Un psychologue peut-il être dépressif ? Vis-à-vis de lui-même, aux yeux de ses patients ? Continue-t-il à inspirer confiance (« quelle confiance peut-on continuer à avoir en notre médecin s’il n’est pas en pleine possession de ses moyens pour prendre soins de nous et ne pas se tromper ? ») ? Ou bien, au contraire, cela rassure-t-il le patient de voir que son praticien pourra mieux le comprendre dans sa maladie et avoir pour lui de l’empathie s’il a vécu lui-même la maladie ? Mais alors, sérieusement, devrait-il avoir toutes les maladies pour soigner tous ses patients ?
L’un de nos plus éminents urgentistes a-t-il le droit, publiquement, à l’antenne, après l’attentat de Charlie Hebdo, de s’effondrer, littéralement submergé par l’émotion ? Quelle image donne-t-il de lui, de sa “force”, de sa maîtrise dont ses malades ont besoin justement dans l’urgence ? C’est un homme, ce n’est pas Dieu !
Quoique l’on ait pu penser des médecins, de leur savoir, de leur puissance, de leur maîtrise du temps sur la maladie et la mort (maîtres du temps, n’est-ce pas l’apanage de divinités ?), ils restent des êtres humains, physiquement, psychologiquement, “émotivement”.
Mais ne demande-t-on pas à ces hommes, justement, d’être des “surhommes” pour continuer avec tant d’abnégation à approcher des patients atteints du virus Ebola en risquant d’être contaminés ?
Nous restons des êtres humains avec nos forces et nos faiblesses qu’il faut avoir le courage de reconnaître et d’accepter, c’est d’ailleurs ce qui prouve notre force et notre sagesse de soignants.

Réflexions du Docteur François Paysant
Maître de conférences des Universités – Faculté de médecine de Grenoble
Profession libérale, c’est la liberté de ses choix. Comme tous les libéraux, le chirurgien-dentiste sera confronté à de nécessaires positionnements quand sa santé se dégradera ou lorsqu’un excès de fatigue le submergera.
Profession médicale, mais profession de service aussi, il devra se positionner entre l’arrêt de l’activité et le risque qu’il fait prendre à ses patients s’il continue d’exercer à un moment où sa capacité est susceptible d’être altérée.
En cas de pathologie aiguë traumatique ou médicale (infarctus, cancer…), la décision d’arrêt s’impose, et la problématique est de trouver la meilleure solution pour ne pas laisser la patientèle sans soins et pouvoir reprendre son activité au terme de cette pathologie aiguë si cela est possible.
Mais la situation est tout autre en cas de maladie chronique, car le début est insidieux et la dégradation très progressive. Se pose alors la question de la prise de conscience par le praticien de sa maladie et d’un éventuel déni (la pathologie psychiatrique, l’alcoolisme chronique par exemple). À chaque pathologie ses déficiences, et sa cinétique de dégradation. Il paraît évident que le praticien peut continuer à exercer lors des premiers symptômes. Cependant, à un moment vont se croiser la courbe de la diminution de la capacité avec le seuil d’efficience minimale. Quand la maladie aura réduit la capacité du praticien à un niveau inférieur au seuil, ses patients seront en situation de danger.
Situation aussi complexe, la fatigue à laquelle peut être rattachée une entité bien spécifique, le burn out (fatigue physique et psychique). En effet, la fatigue peut être spontanément résolutive, ou peut s’améliorer en allégeant la charge professionnelle. Elle peut être d’origine professionnelle ou non (hygiène de vie ou activité sportive excessive). Pour un praticien, s’avouer fatigué au point d’arrêter son activité professionnelle n’est pas facile.

Analysons ces situations en termes de responsabilité.
La fatigue, voire la maladie, n’est pas exonératoire pour le praticien (comme pour tout citoyen) de son obligation de porter assistance à personne en péril.
En revanche, seul le résultat de l’acte de soin sera analysé en cas d’insatisfaction du patient et non les circonstances dans lesquelles le praticien est intervenu : les fautes de maladresse, d’inattention pourront être retenues. Si le praticien fait valoir son état de fatigue ou une maladie débutante, ses arguments ne seront nullement exonératoires de sa responsabilité. Bien au contraire, le praticien se sachant diminué commet une faute disciplinaire s’il a fait courir un risque au patient alors qu’il n’était pas dans un état permettant de pratiquer le soin en toute sécurité.
Le monde de la santé en établissement de soins a mis en place un dispositif de lutte contre la fatigue d’origine professionnelle en instaurant le repos de sécurité qui est devenu réglementaire. Par ailleurs, pour ce qui est des questions de santé du praticien, le service dédié de santé au travail pour les personnels de ces établissements se prononce sur l’aptitude à la fonction. Enfin, le recours à l’arrêt de travail est plus facilement utilisé car peu pénalisant financièrement pour la personne malade et, dans ces établissements, la poursuite des soins au patient est assurée par le reste de l’équipe.
Pour conclure, ces situations de maladie ou fatigue des praticiens libéraux justifiant ou non un arrêt sont complexes, nous ne pouvons que préconiser à titre préventif l’adhésion à une protection sociale de bon niveau de sorte que les décisions ne soient pas prises sur des critères financiers.

Thèmes abordés

Commentaires

Laisser un commentaire

Sur le même sujet

Vie de la profession

Du nouveau dans la certification périodique

Même si la certification périodique des professionnels de santé est théoriquement entrée en vigueur le 1er janvier 2023, quelques textes...
Vie de la profession

Le protoxyde d’azote a désormais une valeur limite d’exposition professionnelle

25 ppm (partie par millions) sur une période de 8 heures, soit 45 mg de protoxyde d’azote par mètre cube...
Vie de la profession

L’Ordre contre les denturistes

Le Conseil national de l’Ordre des chirurgiens-dentistes (ONCD) porte plainte contre le dirigeant de la structure « France Denturiste », mais aussi...
Vie de la profession

L’Assemblée nationale adopte une proposition de loi renforçant la sécurité des professionnels de santé

L’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité, le 18 avril, une proposition de loi (PPL) visant à renforcer la sécurité des professionnels...
Santé publique Vie de la profession

Corrèze : un centre dentaire fermé

« La sécurité des patients n’étant plus assurée », l’ARS Nouvelle-Aquitaine a définitivement fermé un centre de santé dentaire à Brive, rapporte...
Vie de la profession

Un nouveau bureau et un nouveau président pour l’ANCD

Le 13 mars, le conseil d’administration de l’Académie nationale de chirurgie dentaire (ANCD) a élu son nouveau bureau dont voici...