Secret médical, complémentaires santé et « consultants »

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 28-30)
Information dentaire
Dans un récent arrêt (17 juin 2015, n° 385924) remarqué par la presse professionnelle, le Conseil d’État a rappelé que « le secret (…) s’étend à toute information de caractère personnel confiée à un praticien par son patient ou vue, entendue ou comprise par le praticien dans le cadre de son exercice ».

Appelée à contrôler le bien-fondé de la sanction d’interdiction d’exercer pendant trois mois, infligée à un médecin, la Haute Juridiction a clairement écarté la bonne foi du praticien comme circonstance atténuante et confirmé la sanction.
L’occasion de rappeler* le degré de protection dont jouit ce principe fondamental, souvent ignoré dans sa portée, par les médecins comme par les chirurgiens-dentistes, et de répondre aux multiples interrogations que nous font remonter nos confrères, notamment avec la multiplication des intervenants extérieurs à la relation médicale et l’émergence des « consultants ».

Pourquoi cet arrêt est-il si important ?
Cet arrêt n’a rien d’exceptionnel au fond. Le praticien invoquait une « intention prophylactique ». Il n’a révélé l’information, apprise hors consultation, qu’au conjoint de la patiente. Les juges répondent, en quelque sorte : « Il n’y a pas d’exception qui vaille ! » L’intangibilité du secret est ainsi rappelée pour justifier une lourde sanction. On peut même dire que c’est un arrêt banal dans son genre.
Régulièrement, le Conseil d’État et la Cour de cassation se prononcent sur des litiges concernant le secret médical. Et leurs réponses sont toujours identiques depuis des décennies. L’année dernière, le même Conseil d’État a jugé un litige presque identique et donné la même réponse : « Le secret (…) ne couvre pas seulement les données à caractère médical d’un patient, mais couvre également toute information de caractère personnel relative à ce dernier, qu’elle ait été confiée au praticien par le patient ou que le praticien l’ait vue, entendue ou comprise dans le cadre de son exercice » (5 février 2014, n° 360723).
Si les plus hauts magistrats administratifs prévoient aujourd’hui de donner un peu plus d’écho à leur décision (notamment par un communiqué et une publication dans le recueil du Conseil d’État), c’est probablement parce qu’on constate que la règle du secret est singulièrement malmenée depuis quelques années. Le phénomène des « consultants » et les projets d’open data, sont deux exemples de menaces concrètes.

Comment justifier une sanction aussi lourde ?
En matière de violation du secret médical, trois mois d’interdiction d’exercice est une sanction « de sévérité moyenne ». Et souvent, le plaignant qui gagne en disciplinaire s’adresse ensuite aux juridictions civiles pour obtenir des dommages-intérêts.
La patiente aurait pu porter plainte au pénal. Elle pouvait aggraver le cas du médecin en saisissant le Tribunal correctionnel sur le fondement de l’article 226-13 du Code pénal : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende. »

Comment s’applique alors le Code de déontologie ?
Tous les codes de déontologie mettent en avant le caractère « sacré » du secret médical. Mais le principe va bien au-delà de la déontologie. De nombreuses règles de droit protègent les informations confidentielles contenues dans le dossier médical du patient, un « droit individuel fondamental ».
On peut citer le texte que tout chirurgien-dentiste est censé connaître, celui du Code de la santé publique (CSP, article L.1110-4) : « Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant. » Il rappelle, surtout, que seule la loi peut déroger au principe : « Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne (…). »

Les « praticiens-consultants » bénéficient-ils de dérogations ?
Les « consultants » agissent en toute illégalité ! Ils sont engagés par des complémentaires santé sans aucune précision dans leurs contrats sur l’étendue de leur mission et le contenu concret de leurs « consultations ». Pourtant, ils se permettent d’adresser des demandes de plus en plus pressantes aux assurés pour accéder aux dossiers médicaux. Une telle pratique, en l’absence d’une dérogation expressément prévue par la loi, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, tombe sous le coup des dispositions pénales, disciplinaires et civiles qui répriment la violation du secret médical.

Y a-t-il infraction lorsque les documents sont communiqués par le patient ?
En effet, certains assureurs ont tenté de contourner la loi en incluant, dans les contrats d’assurance complémentaire, des clauses de « communiquer des informations » à la demande. De telles clauses ne permettent en aucun cas de lever le secret médical. Leur validité a été clairement remise en cause par la jurisprudence. Ainsi, par un arrêt de principe, la Cour de cassation a consacré la nullité de la clause qui oblige l’assuré à communiquer à l’assureur des informations couvertes par le secret médical pour obtenir le remboursement garanti par le contrat (Cour de cassation, 1re chambre civile, 18 mars 1986, n° 84-15702).
Cette jurisprudence, régulièrement réaffirmée, se comprend aisément à la lecture des « clauses » contractuelles en question. Elles sont très vagues et ne mentionnent jamais une renonciation du patient à la confidentialité légale qui protège ses données médicales. Ces clauses, figurant dans des contrats de groupes, ne peuvent pas non plus être opposables à chaque patient-assuré au titre des données médicales personnelles le concernant.

Pourquoi les pouvoirs publics laissent-ils faire ?
Les pouvoirs publics ne laissent pas faire. Comme dans l’arrêt du Conseil d’État, chaque fois que l’infraction est constatée, la sanction est très lourde.
D’ailleurs, face à ces dérives et au détournement de la loi, notamment l’article L.1111-7 du CSP (accès du patient à son dossier), qui ont suivi la promulgation de la loi du 4 mars 2002, le ministre de la Santé a rappelé, dès 2004, les modalités d’accès au dossier médical et le devoir de chaque professionnel de santé de protéger ces informations confidentielles contre l’intrusion des tiers, pratiquant une pression sur le patient (voir encadré ci-contre, extrait de l’arrêté du 5 mars 2004, JO du 17 mars 2004).
De son côté, la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) insiste régulièrement sur les limitations d’accès à des informations confidentielles, sauf exceptions prévues par la loi. Ainsi, dans son dernier guide destiné aux professionnels de santé (édition 2011, p. 10), la CNIL rappelle que « les médecins des compagnies d’assurance ou les employeurs ne peuvent être considérés comme des tiers autorisés à obtenir le dossier médical des patients ». Même lorsque le patient, intimidé par l’assureur, se soumet, la CNIL insiste : « Le consentement du patient ne suffit pas à exonérer le professionnel de santé de son obligation de secret professionnel. »

Comment font alors les complémentaires santé ?
Il ne faut pas oublier que les assureurs, spontanément ou intentionnellement, agissent comme de nombreux acteurs, publics ou privés, en dehors de la légalité tant que les personnes (physiques ou morales) concernées, individuellement ou collectivement, n’ont pas entrepris les actions nécessaires devant les juridictions compétentes.
Le système « consultant » s’installe en toute illégalité parce que les confrères sont pris individuellement, leurs patients soumis au chantage au remboursement, et que les uns et les autres ont si peu de moyens pour faire respecter la loi face à la puissance financière des assurances complémentaires.

Quel est le pouvoir de l’Ordre face à ces dérives ?
Les contrats des consultants soumis à l’Ordre ne mentionnent jamais l’accès à des informations confidentielles couvertes par le secret. Les seules « missions » généralement mentionnées dans les contrats de consultants prévoient qu’ils « conseillent la complémentaire dans la conception et la production des contrats santé, notamment en ce qui concerne les prestations (…) l’information générale des adhérents ou assurés, le conseil à ceux-ci en cas de demande spécifique (…) ». De telles dispositions ne sont pas contraires aux principes déontologiques et l’Ordre ne peut dès lors s’y opposer. Mais, une fois le contrat validé par le Conseil de l’Ordre, les « consultants » vont bien au-delà de ces missions.
Il faut cependant savoir que les praticiens « consultants » doivent être inscrits au Conseil de l’Ordre. Ils sont dès lors justiciables des juridictions disciplinaires. Toute plainte pour violation du secret médical, quel que soit le mode d’obtention des documents et, à plus forte raison, lorsque l’on exerce un chantage sur le patient pour ce faire, devrait se conclure par de lourdes sanctions.

Quelle conclusion pratique pour nos confrères ?
La communication d’informations médicales aux praticiens-consultants est aujourd’hui légalement impossible, car elle viole les règles du secret médical. La pratique a cependant été mise en place par des complémentaires santé. Pris en otage, le patient cède un droit fondamental pour être rapidement remboursé. Les « consultants » et leurs employeurs savent qu’il ne va jamais se plaindre devant les tribunaux et retarder ainsi la prise en charge de son traitement médical.

Il appartient aux chirurgiens-dentistes, individuellement, et à nos instances professionnelles, collectivement, de faire respecter l’inviolabilité des dossiers médicaux au contenu desquels les tiers non autorisés par la loi ne peuvent accéder, quel que soit le subterfuge utilisé.

Arrêté du 5 mars 2004
« (…) Les professionnels de santé (…) doivent veiller à ce que les modalités d’accès au dossier assurent la préservation indispensable de la confidentialité vis-à-vis de tiers (famille, entourage, employeur, banquier, assureur, etc.). De son côté, la personne doit exercer son droit d’accès au dossier avec la pleine conscience du caractère strictement personnel des informations de santé qu’elle va détenir. Il convient de l’informer des risques d’un usage non maîtrisé, notamment du fait de la sollicitation de tiers qui sont exclus du droit de réclamer directement ces informations aux professionnels, aux établissements de santé ou aux hébergeurs.
« Ces tiers peuvent plus facilement exercer des pressions illégitimes
pour que la personne leur transmette directement des informations de santé qui la concernent et dont elle doit préserver le caractère confidentiel (…). »

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