Face à une fraude à la carte vitale…

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  • Publié le . Paru dans L'Information Dentaire (page 30-32)
Information dentaire
L’Assurance maladie a détecté 149,4 millions de fraudes en 2012, selon le rapport annuel de la Délégation nationale de la lutte contre la fraude.
Elles correspondent notamment aux fraudes des assurés à l’obtention des droits (fraude aux conditions de ressources, à la composition du foyer, usurpation et faux papier d’identité, usage frauduleux de la carte Vitale, falsification ou fausse attestation de droits…).
Le chirurgien-dentiste est aussi un acteur de santé publique qui doit rester vigilant face à ces comportements qui réduisent les ressources disponibles pour le secteur de la santé, érode la qualité, l’équité et l’efficacité des soins procurés aux patients.

SITUATION

Je viens de terminer la réalisation des soins chez une nouvelle patiente.
Au moment du règlement, elle me présente une carte Vitale dont la photographie ne lui correspond pas et dont les nom, prénom et date de naissance sont ceux de l’une de mes patientes habituelles.
Dois-je réclamer à cette patiente ses papiers d’identité pour vérifier une possible homonymie ?
Suis-je tenu de refuser cette carte Vitale sachant qu’elle ne lui correspond pas ?
Dois-je faire une déclaration d’usurpation auprès de l’Assurance maladie ?
Suis-je tenu d’accepter cette carte Vitale sans commentaire car je ne suis qu’un professionnel de santé qui n’a pas à vérifier l’identité de ses patients ?
Quel doit être mon comportement face à cette tentative de f
raude ?

Réflexions du Professeur Anne-Marie Musset
Professeur des Universités – Praticien hospitalier Faculté de chirurgie dentaire de Strasbourg

Les questions sont nombreuses face à une telle situation. Les fraudes à l’Assurance maladie sont connues de tous et sont en général largement médiatisées, surtout quand le professionnel de santé est reconnu comme responsable. Cette situation concerne au départ une tentative de fraude de la part d’une patiente, elle fait appel à des problématiques légales, mais aussi humaines.
La fraude, en général, est inacceptable parce qu’il s’agit d’argent public, parce qu’il s’agit du problème de tous, on ne peut y être indifférent. L’ouverture des droits est un processus qui s’applique à tous les assurés, il convient de le respecter. La fraude vise à obtenir un avantage qui peut être injustifié ou illégal et cela est contraire au principe d’équité et d’universalité qui constitue le principe fondateur de notre système de santé.
La prise en soins du patient est une formalité que l’on peut parfaitement banaliser au moment de la première prise de rendez-vous lors de la constitution du dossier du patient. Si cette formalité est exécutée systématiquement pour tout nouveau patient, et pour tous les patients, elle revêt un caractère de routine qui permet de lever toute discrimination. Il est plus facile de prévenir la fraude que de la constater. Cette procédure permet aussi de renseigner correctement le dossier du patient. Or bien tenir et actualiser le dossier du patient est un élément majeur dans une démarche de qualité des soins. Cela me semble commencer par faire la connaissance de son futur patient à partir de la présentation de la carte Vitale et de ses papiers d’identité.
Ne faut-il pas être vigilant et s’assurer de l’identité du patient avant même d’entreprendre des soins ? Il sera beaucoup plus difficile de déterminer quelle attitude adopter si l’on s’aperçoit de la fraude alors que la réalisation des soins est terminée. A priori, il semble normal de refuser de prendre en compte une carte Vitale qui n’est pas celle du patient. En effet, il est hors de question d’attribuer à quelqu’un des remboursements de soins prodigués à quelqu’un d’autre. Il s’agirait d’une complicité de fraude, surtout si le praticien sait que la carte Vitale présentée ne correspond pas à son patient. Ce refus ne peut être brutal. Il faudrait l’expliquer et, dans la foulée, rappeler ou informer le patient de la gravité de son acte. On peut ainsi détailler rapidement les droits mais aussi les devoirs des patients vis-à-vis de la société, plus particulièrement de la protection sociale. Avant de faire une déclaration d’usurpation auprès de l’Assurance maladie, on peut dans un premier temps établir un dialogue avec son patient. Lorsqu’il présente une fausse carte Vitale au praticien, pourquoi ne pas lui en demander la raison ? Fréquemment, on se trouve alors face à une détresse sociale insoupçonnable. Dans la plupart des cas, la raison invoquée est l’absence d’ouverture des droits à la Sécurité sociale. Le patient a alors trouvé ce (mauvais) moyen pour accéder aux soins qui se révèlent le plus souvent urgents. Notre rôle peut aussi consister à orienter le patient vers une structure de permanence d’accès aux soins de santé qui s’occupera alors avec lui des démarches auprès de l’Assurance maladie. En attendant d’obtenir sa carte Vitale, le patient pourra avoir accès aux soins. Au-delà de ces actions visant l’accès aux aides sociales, l’éthique personnelle entre en jeu et il est certain qu’aucun praticien ne refuserait au moins de soulager les douleurs d’une personne qui se présenterait en consultation, en attendant une régularisation de sa situation administrative.
Ainsi, il n’y a pas de bonne attitude, mais une écoute attentive permettra d’éviter des problèmes et des conflits difficiles à gérer. L’accompagnement bienveillant des patients aboutira à cette relation de confiance mutuelle qui est une condition indispensable à la qualité des soins que nous voulons procurer aux patients.

Réflexions du Professeur Jean-Paul Markus
Professeur à la faculté de droit de Versailles
Directeur du Master 2 Droit public et privé de la santé, Université de Versailles-Saint-Quentin

Comme à chaque fois qu’il est confronté à un problème, le juriste sort sa boîte à outils, en l’occurrence le Code de déontologie. Ensuite il relativise, face à des situations qui relèvent souvent moins de la fraude organisée que de la détresse humaine.
Le code est clair : est interdit « tout acte de nature à procurer à un patient un avantage matériel injustifié ou illicite » (art. R. 4127-221). Cette disposition suppose que le chirurgien-dentiste agisse en toute connaissance de cause, ce qui est le cas ici. Par ailleurs, si aucun texte n’oblige les chirurgiens-dentistes libéraux à dénoncer les patients fraudeurs, l’article 40 du Code de procédure pénale oblige « toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire (ce qui peut être le cas des hospitaliers) qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit (ce qui est le cas de la fraude à la carte Vitale), d’en donner avis sans délai au procureur de la République (en d’autres termes la police) ». Enfin, il faut rappeler que chaque professionnel de santé est comptable de l’argent du budget social, ce que rappelle par exemple l’article R. 4127-238 du Code de déontologie : « Le chirurgien-dentiste est libre de ses prescriptions (mais) doit les limiter à ce qui est nécessaire à la qualité et à l’efficacité des soins. » Tout cela plaide pour un signalement sans complaisance de tout fraudeur, sous peine de subir à son tour une sanction disciplinaire, et pourquoi pas de faire l’objet de poursuites pénales par la Sécurité sociale, conjointement avec le fraudeur (ce qui suppose tout de même de prouver une complicité). Mais encore faut-il être sûr de soi : s’il est possible d’exiger une carte d’identité pour un chèque en paiement des honoraires (L. 131-15 du Code monétaire et financier), ce n’est toutefois pas permis pour la carte Vitale qui n’est pas un moyen de paiement au sens financier. Reste que notre système pénal comme nos institutions ordinales ne sont pas à même de traiter l’ensemble des fraudes. D’autant que la fraude à la carte Vitale prend des formes radicalement différentes. Il paraît moral de dénoncer aux autorités ce qui s’apparente à une fraude organisée : lorsqu’un patient « bien sous tous rapports », qu’il est possible de situer à un niveau moyen ou élevé dans l’échelle sociale, présente la carte Vitale d’un autre, c’est assurément qu’il cherche à profiter d’un système social dont le praticien est aussi le défenseur. Inversement, lorsqu’un patient visiblement défavorisé cherche à échapper au régime CMU ou à d’autres régimes d’aide médicale, la logique juridique doit composer avec la logique humaine : sans le rejeter dans l’immédiat ni le stigmatiser, il convient de l’orienter vers les services à même d’assurer sa prise en charge.

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